23/01/2009 – Le foncier, pierre angulaire de la départementalisation (partie II)

"Ici, à Mayotte, beaucoup de gens confondent la notion d'occupant et celle de propriétaire. On peut être propriétaire d'un bâtiment mais pas du sol, et dans ce cas l’occupant devrait payer un loyer". Andrée Jouve Bouiller, chef de France Domaine, un service de l'Etat créé en janvier 2007 qui est chargé de la gestion de la politique immobilière de l'Etat et de son patrimoine mobilier, n'est pas au bout de ses peines. C'est son service qui est chargé de s'occuper des dossiers de vente des terrains privés appartenant à l'Etat, dont la plupart sont occupés par des familles qui y ont construit leur maison depuis des dizaines d'années.

France Domaine doit également gérer le domaine public de l'Etat, notamment la ZPG avec le concours de la DE, en délivrant des autorisations d'occupation temporaire (AOT) sur des terrains que l'Etat ne peut normalement pas vendre. "Il est prévu de privatiser certaines zones de la ZPG, mais l'Etat ne peut pas céder gratuitement ses terrains", tient-elle à rappeler.

En ce qui concerne le domaine privé de l'Etat, la situation est différente de celle du domaine public, car les occupants ont la possibilité de racheter les parcelles à l'Etat. Les parcelles du domaine privé de l'Etat sont situées sur toute l'île, mais sont le plus souvent occupées sans titre. C'est le cas par exemple de la rue de la Pompe à Mamoudzou, et d'autres parcelles à Labattoir, Pamandzi, Ouangani ou Barakani.

"Certains croient acheter une parcelle à un propriétaire privé alors que c'est à l'Etat"

"Le cadastre ne permet pas de définir avec certitude ce qui appartient à l'Etat", constate Andrée Jouve Bouiller, "Seule la conservation de la propriété immobilière permet de remonter assez loin dans le temps pour savoir qui est le propriétaire, un particulier, l'Etat ou la CDM par exemple. Certains croient acheter une parcelle à un propriétaire privé alors que c'est à l'Etat."

Sur les parcelles du domaine privé de l'Etat dans les zones rurales, le conseil général possède un droit de préemption pour se porter acquéreur, et en zone urbaine ce sont les communes. Avant de faire une vente, l'Etat fait une déclaration d'intention d'aliéner et la commune du lieu de la vente ou la CDM ont deux mois pour y répondre. C'est pourquoi les occupants ne sont pas forcément assurés d'avoir le titre de propriété des terrains qu'ils occupent.

"Cela donne aux communes la possibilité d'intervenir dans ce que l'on fait et leur permet de réaliser leur aménagement communal", précise Yves-Marie Godefroy, le Trésorier payeur général (TPG) de Mayotte, qui remarque toutefois que cette limitation du pouvoir de l'Etat "est une pratique très peu développée ici."

En outre, sur beaucoup de ces parcelles, France Domaine rencontre également des difficultés car il y a encore des terrains appartenant à l'Etat sur lesquels sont construits des bâtiments administratifs de la CDM et inversement. "Nous sommes dans une période de répartition des patrimoines où on doit procéder à des échanges de terrains", explique le TPG de Mayotte.

L'AOT est la seule façon d'obtenir un permis de construire dans la ZPG

En ce qui concerne la ZPG, qui appartient, elle, au domaine public de l'Etat, la situation est beaucoup plus problématique, car le domaine public étant inaliénable, l'Etat ne peut normalement pas vendre ces terrains. Cependant, il existe une procédure qui permet la vente de ce domaine en le privatisant grâce à un arrêté préfectoral : c'est ce qu'on appelle le déclassement, qui s'effectue parcelle par parcelle. "Pour le moment, quelques parcelles en ont fait l'objet, par exemple l'hôtel Sakouli ou la pointe de Koungou. Mais même s'il y a un déclassement, les lois sur le bord de mer restent applicables, avec par exemple l'obligation de laisser un passage à la plage", souligne la responsable de France Domaine.

Pour l'instant, les habitants des villages côtiers sont soit des occupants sans titre, soit des personnes ayant des AOT qui sont délivrées par le préfet après une étude effectuée par la DE. France Domaine fixe ensuite le montant de la redevance annuelle qui correspond à un loyer. Certaines personnes qui ont une AOT veulent devenir propriétaires car elles ne peuvent pas léguer, céder ou louer leur terrain.

Une AOT n'est pas constitutive de droits réels et est délivrée seulement à titre personnel, pour une période de 10 ans en général. Si l'Etat reprend cette parcelle pour une raison d'intérêt public, il n'y a normalement aucune indemnisation, et toute occupation illégale devrait légalement faire l’objet d’une expulsion. "Mais L'Etat n'agit pas de cette façon à Mayotte, on ne peut pas demander un loyer ou expulser", tient à rassurer Andrée Jouve Bouiller, qui reconnaît toutefois que les déclassements et les acquisitions de terrains vont prendre du temps car il faut traiter les dossiers au cas par cas.

Pour procéder à une acquisition, les occupants doivent aller à France Domaine avec un dossier pour prétendre à un déclassement puis une acquisition du terrain. "L'AOT est la seule façon d'obtenir un déclassement et donc un permis de construire dans la ZPG", précise Andrée Jouve Bouiller qui rappelle que "dans l'objectif de la départementalisation, il faut régler cette situation pour pouvoir mettre en place la fiscalité locale. Le problème, c'est qu'on ne connaît pas du tout les gens qui habitent sur la ZPG, mis à part ceux qui ont une AOT."

Pas de régularisation pour le domaine de l'Etat

"Une partie des occupants est au courant de sa situation juridique mais préfère rester dans l'inactivité, dans l'attente d'une même opération que celle décidée par la CDM dans le cadre de la régularisation foncière, mais c'est juridiquement impossible pour l'Etat", tient à rappeler Andrée Jouve Bouiller, qui, comme le TPG de Mayotte, réfute le terme de régularisation en ce qui concerne le domaine foncier de l'Etat.

Mais à quel prix seront vendus ces terrains à ses occupants ? "Le projet de décret d’application des textes de lois sur la ZPG prévoit que le prix de base sera fixé par France Domaine à partir de la valeur du marché immobilier de Mayotte, mais que le prix de cession des terrains variera en fonction de l'ancienneté d'occupation, de la taille de la famille et de ses revenus", précise la responsable de France Domaine. "Le prix sera déterminé en fonction de la situation de chacun. Normalement, il y aura une décote mais elle n'a pas encore été fixée." Pourtant, même si le prix est moins élevé que celui du marché, l'expérience montre que payer à l'Etat un terrain qu'on occupe depuis longtemps n'est pas si facile à réaliser pour les Mahorais : "Nous avons 200 demandes d'acquisition par an, mais seulement 20% des dossiers aboutissent, la plupart du temps à cause d'un défaut de paiement. Nous n'avons donc que 40 à 50 actes de vente par an", constate Andrée Jouve Bouiller.

Pour Yves-Marie Godefroy, Mayotte devrait peut-être prendre l'exemple de la Guadeloupe et de la Martinique, qui ont été et sont encore confrontées au même type de problème : "Aux Antilles, une Agence pour la mise en valeur des espaces urbanisés dans la ZPG a été créée, avec toute une réglementation définissant le processus pour pouvoir occuper cette zone. Cette agence permet de procéder aux répartitions en fonction de l'aménagement global du territoire". A quand une agence similaire pour Mayotte ?

Julien Perrot

 


 

La ZPG, domaine inaliénable de l'Etat en Outremer

La "loi littoral" a pour but de protéger et de mettre en valeur le littoral français. Elle vise notamment à protéger tous les espaces situés à proximité du rivage de la mer dont la "zone des 50 pas géométriques" (ZPG), zone spécifique à l'Outremer.

Créée par Colbert au XVIIème siècle pour des raisons militaires, ce domaine public de l'Etat inaliénable et imprescriptible se définit comme une bande littorale de 50 pas larges ou pas du roi (81,20 m) comptés à partir du rivage (y compris les mangroves, marais salants et endigages) le plus haut de la mer (marée la plus haute connue). En Métropole, c'est une bande de 100 mètres.

 


 

ZPG, dans l'attente d'un décret d'application

Le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) est applicable à Mayotte mais avec des spécificités. Les articles L5331-4 jusqu'au L 5331-7 du CG3P traite de la ZPG et de son avenir et précisent la règle qui va s'appliquer, mais le décret d'application n'est toujours pas sorti. "On ne peut pas encore traiter le problème de la ZPG car la partie réglementaire n'a pas encore été publiée. Il y a aussi le rôle important du Padd (Plan d'aménagement et de développement durable, toujours sur le chevet du Conseil d'Etat, ndlr). Quand on aura les deux, cela nous permettra de mieux définir le classement des zones dans la ZPG, entre les zones urbaines et l'urbanisation future, et les zones d'espaces naturels, qui, elles, seront confiées au Conservatoire du littoral", explique Yves-Marie Godefroy, le Trésorier payeur général (TPG) de Mayotte.

"Toute la difficulté réside dans cette répartition : ce n'est pas France Domaine qui va le déterminer mais le préfet en s'appuyant sur ses services techniques. La politique immobilière de l'Etat est sous la responsabilité du préfet qui décidera du classement des zones dans la ZPG". Pour pouvoir faire des déclassements dans les zones urbaines, les communes devront faire des PLU (Plan local d'urbanisme) et les arbitrages se feront ensuite sous la houlette du préfet en fonction du Padd et des PLU.

Actuellement, une partie de la ZPG de Mayotte a été rachetée par le Conservatoire du littoral pour la protéger et la maintenir en espace naturel, à Papani, Moya, Sazilé et Mtsamboro. L'Etat peut ensuite concéder la gestion de ces zones au conseil général. "Pour l'instant, on traite au cas par cas", précise le TPG de Mayotte. "Le décret d'application des articles du CG3P permettra d'avoir une règle pour une gestion plus globale de la zone urbaine de la ZPG. Nous disposerons de la ZPG de manière plus large et nous pourrons donner des terrains aux collectivités locales. En attendant, on va continuer à en déclasser et à en céder au profit des collectivités locales pour les infrastructures publiques à intérêt général et pour faciliter la construction de logements sociaux dans les 10 ans."

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