22/03/2010 – Entretien avec le vice-consul de France à Anjouan

 

 

 

{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Pourquoi avoir réouvert le consulat de France à Anjouan ?

Frédéric de Souza : C'est une volonté politique, suite aux réunions du GTHN (Groupe de travail de haut niveau). C'est à l'occasion de ces réunions qu'il a été décidé qu'il fallait réouvrir le consulat à Anjouan, à la demande des autorités locales. Il avait auparavant fermé en urgence en mars 2008.

 

MH : L'intérêt de cette antenne consulaire est-il qu'elle permet aux Anjouanais de faire leur demande de visa sans avoir à se déplacer à Moroni ?

FS : Oui, absolument. Quand un Anjouanais voulait se rendre à Mayotte, c'était un véritable parcours du combattant. Ils ne sont pas déjà pas très riches, alors payer un voyage et un séjour jusqu'à Moroni, attendre plusieurs jours et éventuellement revenir avec un refus – ce qui était assez souvent le cas – ce n'était pas vivable. On a donc réouvert cette antenne consulaire et depuis, on délivre énormément de visas.

 

MH : Combien de visas ont été délivrés depuis la réouverture du consulat ?

FS : En janvier 2009, on a délivré environ 150 visas, deux mois plus tard, on en était à 300, et à la fin de l'année, on délivrait 400 à 500 visas par mois. En 2009, on a dû dépasser les 5.000 demandes, et on a délivré 4.000 et quelques visas. Donc, un taux de refus très faible. Ce sont des visas court séjour de trois mois.

 

"Si j'appliquais la réglementation des visas à la lettre, on délivrerait peut-être 1 ou 2% des demandes"

 

MH : Quels sont les critères pour les délivrer ?

FS : Si j'appliquais la réglementation des visas à la lettre, on délivrerait peut-être 1 ou 2% des demandes… Normalement, il faut vérifier tout un tas de critères, de solvabilité notamment. Pour faciliter la vie des Anjouanais, on a énormément simplifié la procédure, avec une attestation d'accueil, la garantie de retour de l'hébergeant, et 2 ou 3 papiers, au lieu de la vingtaine au départ. On applique aussi surtout un tarif très faible puisque le visa est à 9 €, contre 60 € normalement.

 

MH : Que se passe-t-il pour l'hébergeant lorsque la personne ne revient pas aux Comores ?

FS : Jusqu'à présent, nous avons été très larges. On a aujourd'hui un taux de non retour de 40%. On avait prévu plus, donc on est malgré tout assez satisfait de ce chiffre. On n'a pas mené une politique de répression très forte en ce qui concerne les hébergeants, mais depuis quelques temps on s'est aperçu qu'il y avait beaucoup d'abus au niveau de Mayotte, avec souvent des hébergeants qui ne connaissent même pas l'hébergé, ce qui montre qu'il y a tout un trafic qui se fait là-dessus. Alors la Paf à Mayotte commence maintenant à rendre visite aux hébergeants pour leur demander des comptes, lorsque la personne ne revient pas. Car tout visa qui est délivré fait l'objet d'un contrôle retour : on donne le visa à la personne, elle s'en va à Mayotte, et elle est censée revenir se présenter au consulat pour signaler son retour. C'est ainsi que l'on peut contrôler les retours et se retourner ensuite vers les hébergeants.

 

"Il y a 6 à 8 départs par jour de kwassa, avec la complicité de tous. C'est une industrie énorme"

 

MH : Il n'y a que des visas touristiques, pas de visas saisonniers pour travailler ?

FS : A 90%, ce sont des visas touristiques. Nous avons quand même quelques visas long séjour pour des étudiants ou des gens qui vont rejoindre leur famille. Mais là, on ne décide pas tout seul, on demande l'aval de la préfecture de Mayotte. Il n'y a pas de demandes de visas saisonniers : les personnes demandent des visas court séjour, soit disant pour aller voir leur famille, pour des soins ou pour une cérémonie, en fin de compte, la véritable raison du voyage, c'est d'aller travailler. Donc, ils vont travailler 3 mois puis ils reviennent.

 

MH : Pouvez-vous nous parler de la coopération française avec l'île autonome d'Anjouan ?

FS : La semaine dernière, notre ambassadeur est venu à Anjouan. Il a passé 3 jours entiers à parcourir l'île, pour inaugurer un marché que l'on a ouvert dans le Nyumakélé et une école pour handicapés à Domoni. Il est aussi allé dans le petit village de Brémani, dans le Nyumakélé, pour visiter le site où sera sans doute installée une nouvelle maternité. Les gens du Nyumakélé n'ont pas d'accès facile aux soins, et comme ce sont principalement eux qui sont candidats à l'immigration clandestine, notamment pour des raisons de santé et pour accoucher à Mayotte, il me semble de bon sens d'aller installer une maternité là-bas.

La coopération française est également en train de construire une route de 9 km pour relier le village isolé de Djimilimé. Il y aussi des projets de captage d'eau du côté de Sima. On s'intéresse également aux femmes entrepreneurs qui veulent lancer une ligne artisanale.

 

MH : Est-ce qu'il y a aussi une coopération policière pour essayer de démanteler les filières de kwassa-kwassa et de trafic d'êtres humains ?

FS : Il y a 6 à 8 départs par jour de kwassa, avec la complicité de tous. C'est une industrie énorme : il y a des rabatteurs, on loge, on nourrit, on répare, il y a des mécaniciens moteurs, tout un éventail de petits métiers autour de ça, et bien entendu des complicités locales. Il y a des gens qui sont censés arrêter ce trafic et qui en profitent ensemble.

A la fin du premier semestre de cette année, il va vraisemblablement y avoir une coopération policière mise en place. Nous recevons d'ailleurs actuellement pas mal d'appels de candidats et la sélection est en train de se faire pour que nous ayons un agent de la police française chargé de coopérer avec les autorités locales, qui sera sur place en permanence.

"On propose régulièrement de l'argent aux agents qui travaillent ici, ça va jusqu'à 3.000 ou 4.000 € pour avoir un visa !"

 

MH : Des ressortissants français et anjouanais portent de graves accusations contre vous, de trafic d'influences pour l'obtention d'un visa et notamment de l'assurance, par l'intermédiaire de gens qui se réclament de vos amis…

FS : Oui, il y a tout le temps ce genre d'accusations de gens mécontents. Je n'ai absolument pas de relation privilégiée ni avec les compagnies d'assurance, ni avec les compagnies de transport. On propose régulièrement de l'argent aux agents qui travaillent ici, ça va jusqu'à 3.000 ou 4.000 € pour avoir un visa ! C'est énorme, et j'avoue que je ne comprends pas pourquoi tout cet argent qu'ils sont prêts à dépenser pour des visas, ils ne l'utilisent pas sur place… En France aussi, il y a tout un réseau, surtout de la part de Grands-Comoriens.

Quand nous sommes arrivés ici pour ouvrir le consulat, on a décidé de faciliter les choses aux Anjouanais, en mettant le visa à 9 €, en leur demandant un billet aller-retour et une assurance voyage. Les compagnies maritimes avaient des tarifs assez élevés : je suis allé les voir et leur ai demandé un effort. Une compagnie, le Maria Galanta, a accepté de baisser de 50% ses billets pour les Anjouanais qui auraient un visa délivré par le consulat. Je suis ensuite allé voir les assurances avec le même discours et il n'y en a qu'une sur les 3 qui existent sur place qui a accepté de les baisser considérablement. Evidemment, les gens vont au moins cher et cette assurance a pris le marché en grande partie. Je reçois bien sûr aussi des demandes des autres assureurs.

Toutes ces rumeurs sont infondées. Je suis allé voir la compagnie maritime concurrente du Maria Galanta et elle a, elle aussi, encore baissé ses billets. Je joue là-dessus pour faire baisser encore plus le coût du voyage. C'est ma préoccupation parce que plus on baisse le coût du voyage, moins les gens seront tentés d'aller vers les kwassa-kwassa. Actuellement, le passage en kwassa-kwassa est dans les 200 €. Avec 30 personnes dedans, ça fait un passage dans les 6.000 €, c'est très intéressant, surtout quand on voit des promotions, au port, de barques à 600.000 francs comoriens (1.200 €).

 

Propos recueillis par Julien Perrot & François Macone

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