21/08/2009 – Economie : Conseil général

 

 

{xtypo_dropcap}25 M€{/xtypo_dropcap}, 27 M€, 31 M€ ? Le flou persiste encore autour du montant exact du déficit affiché par le budget de la Collectivité. Il revient aux magistrats de la Chambre régionale des comptes de le déterminer, eux qui coucheront bientôt dans un rapport leurs observations définitives, ainsi qu'une liste de recommandations pour rétablir l'équilibre. S'il est certain que des coupes sombres ne pourront être évitées, beaucoup craignent des mesures drastiques de licenciements parmi les effectifs pléthoriques de la Collectivité. Actuellement, les magistrats buteraient sur la difficile estimation du nombre d'agents contractuellement liés à la CDM. Un chiffre qui naviguerait entre 3.000 et 5.000 personnes.

Concernant le déficit budgétaire, pour l'heure la prévision la plus alarmiste de 31 M€ a été avancée par le président Douchina lui-même, lors de la session plénière du 15 juillet dernier : "Le rythme des dépenses n'a eu de cesse d'augmenter (…). Le budget 2008 n'était pas sincère (…) et nous nous sommes retrouvés avec un déficit de 31 M€ en 2008", avait-il alors déclaré en substance.

Si M. Douchina a hérité d'une situation financière indéniablement fragilisée, principalement imputable à la vertigineuse augmentation du rythme des dépenses d'investissement de la Collectivité entre 2004 et 2008 (109 M€ d'investissement en 2008, contre 48 M€ en 2004) et d'une masse salariale, elle aussi en forte croissance et représentant près de 50% du budget de fonctionnement de la CDM, M. Oili, son prédécesseur, ne saurait être désigné comme le seul responsable de cette situation, comme s'échinent à le répéter les membres de la majorité actuelle.

 

Les effets pervers des accords de Tsingoni

 

En effet, depuis son arrivée au pourvoir en mars 2008, M. Douchina n'a eu de cesse de militer, honorablement mais vainement, pour la mise en place d'une "nouvelle culture administrative", en faisant même de cette idée un des cinq points clef du programme politique de son mandat, comme pour se distancier encore un peu plus des agissements de son prédécesseur. Il prônait une culture de résultats, demandait un tableau de bord pour suivre tous les dossiers en cours avec chaque service ou direction.

Pourtant, malgré nombre d'annonces d'intention sonnantes et trébuchantes, et en dépit de quelques réunions entre élus et services aux allures de grand messe, en coulisse le capitaine du CG n'a jamais eu les coudées assez franches pour opérer un changement de cap radical, et une certaine atonie s'est doucement mais sûrement installée.

En cause : "les accords de Tsingoni". Négociés au lendemain du second tour des cantonales 2008, ces accords tacites, âprement discutés entre les conseillers généraux fraîchement élus sous la houlette de Zoubert Adinani, ancien maire de Tsingoni et figure incontournable du paysage politique mahorais, n'ont dégagé qu'un consensus politique trop fragile et de toute évidence conçu pour un seul objectif : arriver en rang uni, pour autant que faire se pouvait, le 29 mars.

Si le choix de la priorité politique des élus, toutes tendances confondues, n'a pas à être discuté, il est évident qu'il a occulté tous les autres dossiers, et à eu pour effet de transformer l'objectif en ultime échéance : une fois la consultation atteinte, le consensus n'avait plus lieu d'être, et le jeu des alliances et des courses en solitaire a ainsi repris dès le lendemain du 29 mars, seulement un an après l'élection de la nouvelle assemblée, deux ans avant son renouvellement en mars 2011.

Rattrapé par des flots intarissables de factures impayées, focalisé sur le 29 mars, paralysé par la peur de déstabiliser "la paix sociale", tout autant que par celle de perdre le soutien d'une majorité dont il savait le soutien fragile, M. Douchina était trop occupé à court-circuiter les partisans toujours en poste de l'ancien président. Aucune mesure significative, porteuse d'un message, d'un parti pris ou d'une orientation idéologique forte, n'a donc pu être proposée ou imposée par le président du CG, même lorsque la situation réclamait un arbitrage politique urgent : dossier des transports scolaires et en commun, CDTM, marché de Mamoudzou, Cnam, croisières…

 

L'AFD, le cheval de Troie

 

La dernière illustration en date de cet abandon généralisé des commandes publiques a été donnée lors de l'adoption du budget supplémentaire, en juin dernier. Sans connaître les estimations à la baisse des recettes douanières pour 2009 (aujourd'hui évaluée à plus de 15 M€), alors que la crise mondiale contracte une récession globalisée et que la commande publique locale, notamment dans le bâtiment, est en berne, réduisant d'autant les importations, la majorité a tout de même voté un budget supplémentaire de 34 M€.

Pour beaucoup d'observateurs, c'est cette ultime désinvolture qui aurait conduit la préfecture à interpeller la Chambre territoriale des comptes (CTC), même si le président Douchina avait annoncé le 15 juin dernier être l'auteur de la saisine. De toute évidence, qu'ils aient été saisis par le conseil général ou par la préfecture, début juillet, ce n'était plus qu'une affaire de jours pour que les magistrats de la Chambre débarquent dans les couloirs des services de la maison décentralisée. Car en réalité, face à une telle situation, l'État cherchait sans doute depuis un moment une faille pour s'introduire dans les méandres financiers de la Collectivité et s'intéressait de plus en plus à certaines pratiques qu'il soupçonne entachées d'illégalité… Avec ses 20 M€ avancés en juin dernier, il en a eu toute la légitimité.

En effet, le 8 juin 2008, au cours d'une session plénière, Ali Mohamed, DGA chargé de l'économie et des finances, annonce que c'est aux côtés de deux banques que la CDM va contracter un prêt d'un montant global de 50 M€. La Banque de la Réunion prêtera 30 M€ et l'Agence française de développement (AFD), organe étatique s'il en est, 20 M€. Selon M. Mohamed, l'établissement de crédit proposait "un taux bonifié, moins cher que les conditions du marché".

Une ristourne qui va coûter très cher au final, puisque l'AFD produira au préalable, comme avec beaucoup de ses clients, un audit indépendant. Contrairement à celui commandé au cabinet Mensia par la nouvelle majorité, dont les conclusions étaient préoccupantes mais pas alarmistes, l'AFD aurait mis à jour une situation financière "à même de mettre en péril la Collectivité à plus au moins court terme", comme l'explique une source proche du dossier.

 

Une deuxième chance

 

Si les observations de la CTC devraient mettre à jour des erreurs de gestion, de l'incohérence, et sûrement une dose de malhonnêteté politique (prébende, népotisme, gaspillage de l'argent public…), il n'en reste pas moins que ces stigmates restent l'apanage des jeunes démocraties. Et Mayotte est une démocratie jeune.

En 2004, la décentralisation, pourtant réclamée et promise de longue date, a confié aux élus du conseil général les pleines commandes de la Collectivité. Des responsabilités énormes, qui n'ont pas été précédées d'une campagne de formation, qu'on aurait pourtant crue indispensable à la hauteur des enjeux. Alors, bien sûr, les élus ont affiché d'emblée des carences évidentes de technicité, de compétences, dans la gestion des équipes parfois et les services n'ont pas suivi.

Si certains ont cherché au plus vite à rattraper ces lacunes, notamment par le biais de formations, ou au prix d'une d'implication décuplée dans l'appréhension et la compréhension des aspects législatifs, administratifs ou réglementaires des dossiers, endossant avec humilité leur statut de jeunes démocrates, d'autres se sont laissés griser par de nombreux avantages qu'offre la fonction, oubliant l'immensité de la tâche à accomplir.

Six années ont passé, et cette ingérence nécessaire de la Chambre territoriale des comptes devrait permettre que cette nouvelle période qui s'ouvre soit celle de la maturité politique pour les élus de la Collectivité. Il convient en effet de répondre à l'urgence de développer l'économie de cette île pour créer des emplois et dégager des ressources financières indispensables, de répondre aux besoins croissants de la population, afin de créer les conditions favorables à la poursuite du développement et ainsi réussir la départementalisation.

 

François Macone

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