21/04/2009 – Tribune Libre – Les Rois : le trône de l’identité

Ainsi, à l’heure où les uns s’agitent – à juste titre – les mahorais ont su défendre leur «singularité» en demandant plus de République. Il me semble de fait que ce qui a vraisemblablement pesé dans ce vote est cette notion de «différence», laquelle est solidement nouée à la «quête d’identité.» Cette notion est elle-même liée à l’Histoire de Mayotte, elle en est son Histoire. Non pas cette «identité» qui a nourri tout un mode de pensée post-moderne, qui l’en a même gavée, ni cette identité telle qu’elle constitue une crispation et un repli sur soi. Cette identité-là ne se couple pas non plus avec un discours sur la «colonisation» qui, disons-le d’emblée, sinon est vide de sens, du moins est un calque abusif dans le contexte de Mayotte. Il s’agit plutôt d’une identité qui s’attèle à satisfaire la «réalisation du sujet mahorais» au sein d’un système qu’il a choisi: la République Française.

Se «réaliser» en se réappropriant son discours, en en devenant le sujet. Car, il faut le dire, le mahorais est fragmenté, il est simulé à travers des discours, des idées et des concepts dont il n’est aucunement l’auteur, mais qui font tout de même autorité. La raison en est que les vrais auteurs ont la «légitimé» de parler «au nom de.» Le mahorais a donc un effet de présence, sa voix à défaut d’être légitime, est rendue bâtarde, étouffée volontiers par des tiers. Se réaliser est, autrement dit, d’abord s’apprendre, se connaître pour épouser son discours, pour en être entièrement porteur. On ne saurait éviter les écueils d’un système choisi avec clarté sans donner une place privilégiée à la notion d’ «identité.»

Il apparaît, convenons-en, que le sujet qui cherche à se réaliser tâtonne, s’agrippe, chancèle, trébuche, se relève; en un mot, il est soumis à une permanente turbulence de va-et-vient ponctuée tantôt d’échecs, tantôt de petites victoires, souvent insignifiantes aux yeux de l’impatient, mais intrinsèquement liées aux changement. Cependant, dès lors qu’il  y a changement, dès l’instant où se trace le moindre mouvement, apparaît un «avant» et un «après», l’espace-temps mesurable qui permet de constituer l’Histoire.

Entendons par-là que le futur ne peut, ni ne devrait d’ailleurs, dépendre seulement de l’ «état présent» comme dans le processus de Markov – car le présent s’appréhende plus facilement avec le passé, et le futur avec le présent. Ainsi le «présent» qui est souvent décrit comme «immédiateté» – son caractère supposé sans «média»-, «urgence», ne doit pas se dresser en dictateur face au passé qui peut, une fois maîtrisé, l’éclairer. Non point qu’il faille le renier – ce qui laisserait un trou béant entre le passé et le futur et créerait une schizophrénie – mais le rendre plus intelligible à travers le passé. Il faut, pour le dire autrement, une perpétuelle «re-présentation», c’est-à-dire une mise au jour sans complexe.

Nous voulons signifier ici que l’Histoire de Mayotte étant une «quête d’identité» permanente, cette notion ne saurait être renvoyée perpétuellement sine die alors qu’elle constitue l’énergie nécessaire au mécanisme de développement. Il ne s’agit pas d'associer passé et passéiste, mais de reconsidérer un processus qui vient de franchir une étape: le statut de Département. Apprécié sous cet angle, ce statut n’est qu’un «état» qui doit s’apprécier à travers le prisme d’autres états qui le précèdent. Ceci permet de construire un futur avec assurance et clairvoyance.

Ces «états» sont des espaces aux contours imprécis. Des espaces amorphes, des espaces-miroirs qui absorbent toute image qui se présente à eux. Au regard de l’Histoire de Mayotte, l’Histoire de la quête identitaire, il semble se dégager trois états, qui sont des situations de crise:

Le premier état est nécessairement la crise majeure de l’Histoire de Mayotte: il constitue le «Big Bang», l’incipit, l’introduction qui va façonner les discours qui par la suite le convoqueront à l’esprit avec fierté. Entendons ici la cession – ou vente, c’est selon- de l’île à la France en 1841 par le Sultan Andirantsouli.  Le second est l’introduction dans les temps modernes de la notion de «Départementalisation» de l’île. Entre les deux, notons d’entrée de jeu, un fil conducteur: la volonté d’ancrage dans la République et donc de reconnaissance semble, plus d’un siècle plus tard, faire écho au désir du Cadi Omar d’être promu à la Légion d’Honneur. Une forme de reconnaissance qui témoignait de son admiration pour ce grand pays qu’est la France. C’est donc une validation et une continuité. Le troisième est les années 70 qui constitue une sorte de synthèse des deux derniers. Il s’agira ici de défendre  le geste d’Andriantsouli, de montrer qu’on l’a assumé, qu’on l’épouse sans ambiguïté.

Ces trois «états» sont donc porteurs de discours, au sens foucaldien du terme, enveloppés d’une constante qui est le droit à la parole. Le droit de légitimer sa singularité face à la décolonisation, en ce qui concerne le troisième. On apprend surtout qu’en terme identitaire, Mayotte se dresse telle une «singularité» aux yeux de beaucoup: mais rien de très impressionnant dans tout cela puisque, comme souligné plus haut, les mahorais n’ont jamais eu ce sentiment d’être «colonisés.»

Avant d’en venir au quatrième «état», notons qu’on ne saurait y voir, à l’instar de A.Comte concernant l’humanité, un processus d’enfance tendant vers la maturité. Comprenons,qu’il n’y a pas lieu de constituer une dichotomie entre ce que les «anciens» ont fait – en les considérant manipulés par exemple – et ce qu’il reste à construire. Ni ne devons-nous y dresser une «rupture», mais plutôt une continuité en phase avec son temps et vigilante sur son héritage.

Le statut de département est alors le quatrième «état.» Nous le considérerons comme ultime dans la mesure où il intègre les trois états précédemment décrits avec un effet miroir intéressant: le désir évoqué du Cadi Omar, en l’occurence celui de a reconnaissance, se trouve exprimé par les présents cadis qui, loin de défendre avec une cécité Oedipienne des valeurs religieuses dans ce qu’elles ont de plus archaïque, défendent leur statut de «dignitaires », leur rôle dans la société. Le désir du Sultan Andriantsouli de confier l’île à la France pour la protéger est réitéré par la volonté farouchement défendu des mahorais de s’ancrer davantage dans la République.

Les années 70 constituent donc le moment de crise où survient la fragmentation d’un peuple qui déjà cherchait sa voie. L’Union des Comores, puis l’ONU vont le démembrer, s’approprier sa bouche, sa glotte, sa pensée et faire d’un discours fallacieux la métonymie du peuple mahorais. On le démembre  et on l’invente en l’enfermant dans une gangue de «texte» de comptine politique. Il a donc une présence dans un discours où il est  véritablement absent puisqu’il ne le porte, ni n’entend le porter. Pourtant, on le dédouble, l’aliène, le somme d’être ce qu’on veut qu’il soit: son corps est alors colonisé, dépossédé, au point où finalement, il n’existe qu’à travers les mots à son propos.

D’où cette dualité qui va resurgir: «Nous voulons rester Français pour être libre!» / «Karivendzé!» (ne ne voulons pas). C’est entre ce tiraillement, où le «vouloir» se situe dans un espace limitrophe entre l’être et le non-être, que l’acte de parole va donner naissance à l’esprit et la voix d’un peuple. La «réalisation du sujet» dont nous parlons passe ainsi par le texte dit, la pensée qui prend sa matérialité dans la voix; et cela sur un espace de représentation politique. Et le corps qui abrite cette voix de tout un peuple est le projet commun, le projet politique au sens premier du terme.

Succession donc de transitions qui petit à petit transforment l’effet d’identité. Nous sommes donc dans un «processus», une construction patiente, aucunement Franckeinsteinienne, -il ne s’agit pas de modeler un corps-patchwork- mais plutôt créer une symphonie, une voix plurielle dans le singulier. Ceci trouve sa plus belle métaphore dans la revendication de la départementalisation de l’île. Ce combat a donné les prémices de la politique moderne puis «post-Mayotte-département» qui reste à construire: une politique audacieuse, visionnaire, intelligente.

Par conséquent, pour que le «»sujet mahorais» advienne, pour qu’il ne soit victime d’un système omnivore friand des pertes de repères, il paraît intéressant qu’il puisse assumer son passé, quitte à le nuancer pour le marier à son temps.  le «combat» pour la réalisation de l’identité du sujet mahorais permet de puiser toute la morale, toute l’étendu d’une pensée souvent caricaturée et méconnue.

En effet, en s’accrochant à une idée qu’ils crurent fructueuse pour le futur, les «anciens» ont su défendre une vision de la France qui dépasse celle que la jeunesse plus attirée par du «palpable»: Cette France qui protège, qui garantit la liberté. La France était pour eux une idée, ils la concevaient comme une force créatrice, puissante par le seul fait qu’elle chérisse la Liberté. Ils n’ont demandé que cela: la reconnaissance de leur combat. Pas de situation politique, ni de palace, mais juste vivre avec le sentiment que la jeunesse à venir goûte à la Liberté. Ils nous ont légué une devise riche, sage, claire: «Rahachiri.»

Cela signifie «nous sommes vigilants», non point paranoïaques, mais conscients. Si on décompose le mot on obtient d’une part: «Raha-chiri» (joie-siège) et d’autre part «Ra-ha-chiri» (nous somme de siège). Cela prend ainsi tout son sens: «Nous sommes les fières souverains.»

Aujourd’hui, la jeunesse se distancie petit à petit des «ancêtres», car le temps passe, car l’heure est à la «rupture», il faut montrer qu’on est plus lucide. Cependant, elle importe, transpose des discours pour prévenir un danger, par exemple l’introduction du débat de nos confrères aux Antilles que l’on doit mesurer à l’aune de notre propre identité, mais la connaît-elle? Elle s’oppose à un monstre omnivore s’appelant «Capitalisme» quand bien même elle l’a appelé de ces voeux. Ne faudrait-il pas qu’elle l’assume au lieu de jouer à Colin-Maillard avec un système qui comme l’Hydre se régénère à chaque coup reçu? Ce combat, aussi louable soit-il, n’est-il pas vain? Il nous faudrait donc prioriser le débat.

Il conviendrait ainsi, sans en faire un point de circonvolution absolu, inventer –  mettre au jour- un vrai patrimoine qui ne soit pas que pur mécanisme rhétorique pour justifier le tout et le rien. Commencer donc par rendre Hommage à ces figures qui ont ouvert la voie avec tant de sagesse.

                                             MAANDHUI Yazidou, auteur de «Le palimpseste du silence ou le silence des Dieux»

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