{xtypo_dropcap}D{/xtypo_dropcap}es réservoirs à sec, des travailleurs dans l'impossibilité de se rendre sur leur lieu de travail et par conséquent non payés, des chefs d'entreprises qui descendent dans la rue, l'hôpital qui tourne au ralenti, des routes qui sont désertes, impossibilité de faire les courses pour le foutari du ramadan, telles sont quelques-unes des conséquences de la grève chez Total qui a duré plus de dix jours.
Lors de la première semaine de conflit, les stations étaient complètement fermées, hormis pour les véhicules prioritaires que sont les ambulances, les véhicules des médecins et infirmiers libéraux, ceux de la police, de la gendarmerie et des pompiers. Au marché noir, le prix du carburant (provenant en partie d'Anjouan) s'est envolé : de 2,30 à 10 €.
Lundi, constatant l'inefficacité des négociations et les désagréments et dangers croissants pour les Mahorais, la préfecture a décidé de réquisitionner une partie des salariés de Total pour distribuer du carburant à une vingtaine de catégories de véhicules. Sur cette liste élargie figuraient notamment les pêcheurs et professionnels de la mer, les taxis, la presse et les camions frigorifiques transportant des denrées périssables. Cette liste a suscité la controverse, certains particuliers ou professionnels comme les moniteurs d'auto-écoles, estimant qu'elle ne reposait sur aucun critère objectif.
Des chefs d'entreprises et artisans dans la rue !
"Il faut ouvrir les stations pour tous ou les fermer pour tous", a-t-on pu entendre mercredi dans les manifestations du rond-point El Farouk à Kawéni. Des chefs d'entreprises et artisans ont ponctuellement bloqué ce lieu stratégique mercredi matin, pour faire part de leur ras-le-bol et peser indirectement sur les négociations entre la direction de Total et l'intersyndicale CGT-Ma, Cisma-CFDT, UTFO.
Celle-ci tout comme de nombreux Mahorais estiment que Philippe Goron, directeur de Total Mayotte (en congé) aurait du se présenter dès le départ à la table de négociations. Celui-ci précise que la direction de Total a toujours été présente lors des négociations menées sous la médiation de la DTEFP et que les propositions de la direction ont été rejetées par les grévistes. Les deux parties ont en fait réellement négocié à partir de ce mercredi après-midi, par visioconférence à la préfecture, M. Goron se trouvant à la direction parisienne de Total.
Tout le monde, y compris Salim Nahouda de la CGT-Ma, salue le travail de médiation des services de la préfecture. “La préfecture a joué un rôle très intéressant car sans elle ni la DTEFP, Philippe Goron ne serait pas venu s’assoir à la table des négociations. Nous leur sommes reconnaissants, ils ont été des facilitateurs de la démarche."
Vers la mise en place d’un service minimum en cas de grève
Les grévistes réclamaient un “vrai” 13e mois. Ils ont en obtenu un demi pour 2010 et doivent négocier à partir de janvier 2011 pour obtenir 100% d’un 13e mois à la fin de l’année 2011. Sur le plan salarial toujours, l’application de la convention collective nationale des industries pétrolières est acquise. Les postes restent à classifier selon la grille nationale (pour l’instant ils le sont selon une grille interne à Total Mayotte) et les rémunérations seront prises en compte depuis 2008.
Les calculs étant compliqués, la direction de Total et les syndicats se sont entendus pour le versement d’une prime de 660 € pour les salariés entrés chez Total avant le 1er janvier 2009 et de 380 € pour les autres, en attendant de régulariser la situation une fois les calculs terminés. En ce qui concerne la participation au bénéfice, l’intersyndicale a demandé à ce que cette disposition apparaisse dans la prochaine mise à jour du Code du travail de Mayotte.
Enfin pour tous les autres points, les deux parties doivent ouvrir des négociations en janvier 2011. Désormais, le dialogue social doit prévaloir. Personne ne veut plus subir un tel blocage de l’île en cas de nouveau conflit social chez Total. François Mengin-Lecreulx, secrétaire général aux affaires économiques et régionales de la préfecture a émis l’idée d’organiser un service minimum pour Total Mayotte en cas de grève, comme cela se fait dans l’Hexagone à la SNCF et à la RATP, également en situation de monopole dans leur secteur. Aujourd’hui, c’est le soulagement qui prédomine chez les automobilistes mahorais et à travers toute l'île.
Faïd Souhaïli
"Un conflit social ne doit pas entraîner une catastrophe économique"
De plus en plus pénalisés par l'enlisement du conflit, plusieurs chefs d'entreprises se sont réunis mercredi matin au rond-point SFR à Kawéni pour une manifestation qui a perturbé la circulation pendant une petite heure. L'objectif était de se faire remarquer et exposer à la préfecture leurs difficultés.
"La situation ne peut plus durer ainsi, nous avons du mettre nos employés au chômage technique et de nombreuses entreprises vont connaître des difficultés à payer leurs charges à la fin du mois", annonce Charles-Henri Mandallaz, directeur de Garcia location.
Précision importante pour les chefs d'entreprises, ils n'en ont absolument pas après les employés de Total. "Nous ne remettons pas en question le droit de grève des salariés de Total, nous ne sommes normalement pas concernés par ce conflit, mais nous nous retrouvons pris en otage par cette situation de monopole qui est impensable dans un futur département, et illégale en France", rappelle M. Mandallaz.
Les "manifestants" ont donc fait savoir à la préfecture que la liste des véhicules ayant droit au carburant réquisitionné n'était pas assez exhaustive, selon eux il faut permettre aux entreprises de tourner et aux salariés de se rendre au travail. "Si ça continue il risque d'y avoir carrément des licenciements. Le directeur de Total doit rentrer à Mayotte et négocier avec ses employés, la préfecture nous a assurés qu'il revenait aujourd'hui (mercredi, ndlr) et qu'une sortie de conflit était donc possible rapidement. Ils se sont beaucoup investis dans ce conflit, que l'absence du directeur a fait trainer en longueur."
"Je connais personnellement des employés de Total, je travaille avec eux, je n'ai rien à leur reprocher quant à cette grève", poursuit le directeur de Garcia location, "mais un conflit social ne doit pas entraîner une catastrophe économique, et à terme il va y avoir un risque de violence, les gens sont à cran et la préfecture en a bien conscience." Au-delà de l'urgence causée par le conflit, les chefs d'entreprises exigent la fin de ce système de monopole. "La préfecture est consciente du problème et doit plancher sur le sujet. Les consommateurs ont le droit d'avoir au moins deux propositions et de choisir leur prestataire."
Le CHM se met au ramassage scolaire
Après avoir annoncé, le vendredi 13 août, que tous les services ne seraient plus assurés à compter du lundi suivant, le centre hospitalier de Mayotte a finalement été soulagé par la mise en place des réquisitions. La réquisition pour les véhicules des personnels médiaux et paramédicaux concernant uniquement ceux travaillant en libéral, le CHM a passé une convention avec un transporteur pour le ramassage du personnel hospitalier, qui a démarré mardi, avec un peu de difficultés en raison des files d'attente démesurées aux stations.
"Le transport est divisé en deux zones – nord et sud – et bien qu'il ne permette pas d'aller chercher l'intégralité du personnel, nous pouvons tout de même assurer un retour à la quasi normalité cette semaine", nous apprenait l'Agence de santé de l'océan indien dès mardi. Les véhicules appartenant au CHM ont également droit à du carburant.
Les employés de Jumbo Score pénalisés
Chez Bourbon distribution Mayotte, qui comprend le supermarché Jumbo Score et les magasins Snie (à l'exception de celui de Kawéni), les réserves de gasoil étaient encore suffisantes en début de semaine pour assurer l'approvisionnement des magasins quelques jours. Seuls les véhicules frigorifiques font partie de la liste ayant droit au carburant réquisitionné.
"Nos réserves ne dureront pas éternellement et nous connaîtrons bientôt des difficultés, d'autant qu'elles nous servent également pour le déclenchement des extincteurs en cas d'incendie, pour les fours à pain et à d'autres activités qui ne fonctionneront plus correctement si nous épuisons le gasoil pour les camions", prévient le directeur du groupe BDM, M. Lievore. "Mais nous sommes avant tout pénalisés sur la fréquentation du magasin. Pour la journée de lundi 16 août, nous avons connu une baisse de chiffre d'affaires de 20%."
La réquisition de la station Total située à côté de Jumbo Score n'arrange pas non plus les affaires du directeur, qui a vu son parking envahi par la file d'attente, bloquant carrément le rond-point et l'accès au magasin, un problème d'organisation qu'il espère bien voir résolu. Mais surtout, ce sont les employés qui sont les grands perdants. "De plus en plus de personnel ne peut se rendre au travail, pour l'instant nous sommes suffisamment pour fonctionner, mais ça ne va pas durer, et pour eux c'est très dur car s'ils ne viennent pas du tout, ils ne sont pas payés".
François Mengin-Lecreulx, SG de la préfecture, chargé des affaires économiques et régionales
MH : Pourquoi, aujourd'hui encore, la société Total a-t-elle le monopole de la distribution du carburant sur l'île ?
FML : Il faut remonter à l'année 2003. A l'époque, le conseil général a passé un appel d'offres auquel aucune société n'a répondu, le marché n'étant pas assez intéressant. Total a été contraint d'accepter par le ministère de l'Outremer, avec forcément des conditions exceptionnelles, qui n'ont pas été remises en cause depuis. Il n'est d'ailleurs pas forcément question pour nous de remettre en cause ce monopole, mais nous avons donné l'assurance aux chefs d'entreprises de réexaminer la question très prochainement.
Il faut tout de même signaler que depuis son arrivée, la société Total a fait de lourds investissements pour Mayotte, plus de 40 M€, notamment pour le dépôt de Longoni, investissements faits sur ses fonds propres. La situation aujourd'hui est assez critique, je pense qu'il y a désormais la place pour un deuxième opérateur, mais il faut étudier dans quelles conditions faire venir cet opérateur et en discuter avec Total, discussion qui aura lieu au plus haut niveau.
Je précise que la crise que nous connaissons aujourd'hui peut être résolue sans remettre en cause le monopole : à titre d'exemple, la SNCF a le monopole du transport ferroviaire en France – même si cela va changer – et il existe une convention qui permet un service minimum en cas de grève. Même chose à Mayotte pour EDM. Dans un premier temps nous allons donc faire en sorte qu'une telle convention soit mise en place pour éviter un blocage de l'île en cas de nouveau conflit.
Réactions recueillies par Hélène Ferkatadji
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.