{xtypo_dropcap}H{/xtypo_dropcap}abitué à réaliser ce type d'enquête à travers le monde et dans les Dom en particulier, c'est la première fois qu'Ipsos relève, parmi les 5 "socio-styles" définis à Mayotte, une différenciation des groupes en fonction du sexe des personnes interrogées : 2 groupes essentiellement constitués d'hommes, 2 groupes de femmes et un mixte.

De plus, si on considère ensemble les profils des "jouisseurs" et des "frustrés", les deux groupes masculins, l'institut constate que la situation sociale est "potentiellement explosive" pour 40% de la jeunesse mahoraise. L'enjeu est de réussir à proposer à ces groupes des emplois, des espoirs, sous peine d'en perdre complètement le contrôle.

Vendredi dernier, Jean-Paul Brouchot directeur général de l'institut d'études et sondages Ipsos océan Indien a présenté à l'Auberge du rond-point la première enquête sur les styles de vie des jeunes Mahorais. Cette première étude multidimensionnelle de l'impact des "socio-trends internationaux" sur les "socio-styles de vie locaux" des jeunes Mahorais a été réalisée en septembre 2008 à partir d'un échantillon représentatif de 370 personnes âgées de 15 à 24 ans qui ont passé des entretiens d'une heure et demie. Depuis huit ans, Ipsos océan Indien a mené des études similaires à Maurice, Madagascar et la Réunion. A Mayotte, l'institut a travaillé avec l'agence Angalia pour recueillir les informations (voir encadré).

Elaborée par Bernard Cathelat dans les années 1970, la méthode de l'étude des styles de vie considère l'individu dans sa globalité et dans toutes ses dimensions psychologiques et comportementales, ce qui permet de déterminer les grandes tendances pour les 7 à 8 années à venir (voir encadré). C'est "un tableau de bord de l'évolution et de la diversité des mentalités, des modes et des styles de vie", explique Jean-Paul Brouchot, "un tour à 360° de l'individu".

 

Une différenciation des groupes en fonction du sexe

 

Grâce à un croisement entre les tendances socio-politiques, de consommation et d'information-communication des individus, on peut définir une typologie des différents "socio-styles de vie" pour chaque groupe d'individus. Dans les Dom, Ipsos a mené des études similaires en 1999-2000 et en 2007 et a pu dégager par exemple 8 socio-styles aux Antilles et 12 à la Réunion.

A Mayotte, 5 "socio-styles" des jeunes ont été définis : 28,1% sont des "cocooners", 23,7% des "jouisseurs", 22,6% des "raisonnables", 18,5% des "frustrés" et 7,1% des "hédonistes".

Les cocooners sont de très jeunes filles à la recherche d’une vie tranquille et sage, entre ouverture moderniste et cocooning familial, dans une société paisible sous la protection d’un Etat paternaliste et de dirigeants de grande moralité. Les jouisseurs sont des adolescents qui rêvent de vivre enfin libres pour profiter de la vie, partagés entre les sirènes d’une consommation de frime et une utopie écolo. Les raisonnables sont des jeunes femmes partagées entre leur destin programmé de mère de famille soumise et moraliste et un rêve de Cendrillon. Les frustrés sont des jeunes gens défavorisés, peu éduqués, frustrés de "chances", crispés sur une identité culturelle de rejet défensif et sur les traditions machistes. Les hédonistes enfin sont à la recherche individualiste de plaisirs matérialistes et d’épanouissement personnel indépendant, dans une société ouverte à la modernité, c'est le seul groupe vraiment mixte.

Jean-Paul Brouchot relève que les hédonistes sont beaucoup moins nombreux que dans les autres Dom et la Métropole et précise que "plus de 40% des jeunes sont potentiellement une source d'explosion sociale : les frustrés ont envie de consommer et les jouisseurs veulent profiter pour eux seuls". D'autant que, comme l'institut l'a constaté dans tous les pays développés et dans les Dom, la mondialisation peut construire un stress permanent sur les individus à cause de l'imprévisibilité, de la précarité et de l'incommunicabilité des sociétés modernes.

 

74% pensent qu'ils seront heureux demain, contre 46% aujourd'hui

 

Face à la mondialisation, les individus ont à la fois une stratégie de répulsion et de fascination, sauf à Maurice, qui est "le seul territoire au monde où il n'y pas de répulsion", précise Jean-Paul Brouchot. Pour fuir l'insécurité globale de la société, les individus peuvent effectuer un repli sur eux-mêmes, sur leur sphère privée, familiale et individualiste : c'est ce qu'on appelle le "bunkering", le "cocconing" ou le "zen". A l'inverse, ils peuvent se prononcer pour un "hyper-moralisme répressif" où la loi, l'ordre et le contrat sont érigés en valeurs absolues, dans une stratégie défensive.

Dans les résultats de cette enquête, on apprend que 79% des jeunes sont pour le département, 26% pour l'autonomie associée et 2% sont indépendantistes, sachant que cette étude prend en compte par extrapolation et selon la méthode des quotas, toute la population de l'île, y compris les clandestins. Cette volonté d'autonomie ou d'indépendantisme est par exemple très sensible chez les "frustrés" qui, exclus de la société de consommation par l'absence d'études ou d'emploi, se réfugient dans un très fort repli sur eux-mêmes et rejettent tout ce qui vient changer leur système, tout comme les "jouisseurs" qui profitent au maximum du système, se pensent "malins" et peuvent imaginer perdre de leur liberté dans un cadre départemental plus formel.

Le changement de statut suscite tout de même de nombreux espoirs chez les jeunes qui pensent qu'ils seront heureux demain à 74%, contre 46% aujourd'hui, mais comme le souligne Jean-Paul Brouchot, "c'est un espoir matérialiste et financier plus que social". 71% des jeunes ont confiance dans la France et 79% estiment être respectés par les wazungu. De l'autre côté, on note un rejet des Comoriens : 71% se méfient des Comoriens installés à Mayotte et 68% estiment qu'ils sont trop nombreux sur l'île (alors qu'un tiers de l'échantillon interrogé est constitué de jeunes clandestins d'origine comorienne…).

 

Désaffection pour la politique, mais pas pour la religion

 

A l'instar des études qui ont pu être menées sur les jeunes en Métropole ou dans les Dom, on note également une nette désaffection pour la politique au profit d'un intérêt pour les mouvements associatifs : 47% n'ont pas de préférence politique locale, 45% n'ont pas envie de voter, 73% n'ont pas envie de militer en politique, mais 58% sont prêts à donner du temps bénévole et 61% à faire partie d'associations culturelles et sportives. Les hommes politiques locaux sont quant à eux jugés très sévèrement : 77% sont considérés comme "opportunistes", 76% comme ayant des "visions personnelles" et 70% sont "sourds". Pourtant, 73% des jeunes ont confiance dans le gouvernement, beaucoup plus éloigné…

Même si les valeurs occidentales matérialistes sont de plus en plus intériorisées par les jeunes Mahorais, il en est tout autrement du rationalisme cartésien, de la désaffection de la pratique religieuse et du relativisme des croyances que l'on peut constater en Métropole : 89% des jeunes Mahorais estiment que la religion est importante, 78% déclarent être pratiquants (dont 41% réguliers), 91% croient en la prière, 70% au cadi, 63% aux guérisseuses et 56% aux sorts.

Concernant le monde économique, les jeunes ne semblent pas avoir une grande estime pour les patrons : 65% pensent qu'ils sont frileux, 64% qu'ils ne sont pas solidaires et 60% qu'il n'y pas de dialogue avec eux. Enfin, le futur changement de statut suscite de grands espoirs, car aujourd'hui 80% des jeunes Mahorais estiment qu'ils sont moins bien traités et reconnus que dans les autres Dom-Tom, 66% que Mayotte est une île oubliée, 62% qu'ils sont une charge, 59% s'estiment incompris et 56% pensent qu'ils ne sont pas respectés. Il y a donc beaucoup de travail pour changer tout ça.

 

Julien Perrot

 

{mospagebreak title=Les 5 "familles" mahoraises}

 

 

{xtypo_dropcap}L'{/xtypo_dropcap}étude sur les socio-styles menée par Ipsos fait apparaître 5 principaux groupes, avec bien évidemment des nuances. Voici quelques éléments qui permettent de repérer ces 5 catégories, parmi de nombreux autres éléments mis à jour par cette étude qui porte pour chacun sur près de 2.000 questions. Les achats envisagés à court terme, les achats sur lesquels des économies pourraient être réalisées si nécessaire, le type de commerce fréquenté, les choix politiques, la position face à l'alcool, les drogues, la polygamie, l'homosexualité, les mzungus ou les clandestins… Avec cette étude, ces données existent désormais pour chaque catégorie, chaque tranche d'âge, en fonction du niveau d'études, des revenus disponibles… Nous vous présentons là un aperçu de ces groupes.

 

Les cocooners (28,1%)

Les cocooners (28,1%)

Les cocooners sont à 86% des jeunes filles, avec une grande proportion qui ont fait des études supérieures longues. D’origine et de culture subjective "africaine-malgache", elles ont une culture TV de romances et cartoons (sur CanalSat). Leur modèle social est le communautarisme de cohabitation tolérante, mais elles ont un certain rejet de "trop" de Comoriens. Elles ont pour objectif de vie l'installation dans un cocooning de vie familiale harmonieuse où la femme aurait plus de personnalité, de liberté et de pouvoir. Peu religieuses, mais assez traditionalistes, leur morale personnelle est stricte sur la sexualité. Leur morale sociale prône à la fois le respect des règles, le rejet de la violence et de la drogue. Ouvertes au progrès moderne, aux voyages de découverte, elles veulent cependant garder les jeunes au pays et sont contre l’expatriation.

Avec un sentiment positif à l’égard de la France, leur vision du progrès social est la plus optimiste, notamment sur l’insertion des jeunes, mais sans envie de militer ni participer : leur priorité reste le recentrage familial. Elles considèrent cependant avec méfiance les chefs religieux, les journalistes et les politiciens carriéristes. Elles sont en attente de leaders plus éthiques. Leur image des entreprises locales est médiocre et "frileuse" et elles ont une préférence pour un développement économique d’initiative étatique publique, donnant une plus grande importance au tourisme, non seulement pour l’argent mais aussi les échanges humains. Elles sont théoriquement favorables à la lutte contre la pollution, sauf à toucher à l’automobile.

 

Nema, la cocooner

Nema est une jeune lycéenne de 18 ans. Elle prépare actuellement un bac pro pour se diriger dans le secrétariat. Comme beaucoup de ses copines de classe, elle voudrait travailler dans l'administration, un travail stable et bien payé qui lui permettrait d'assurer tranquillement une vie familiale. "A Mayotte beaucoup de personnes sont employées dans des administrations, c'est un secteur que je trouve sécurisant. Surtout dans une période de crise comme celle que l'on rencontre actuellement."

Même si elle souhaiterait voyager, Nema n'est pas très motivée pour aller faire ses études en France, trop contraignant selon elle. "Je suis déjà allée en France, et j'avoue que je n'ai pas vraiment aimé. Les gens sont tout le temps pressés, personne ne fait attention à toi. Et puis le climat est vraiment difficile. Lorsque j'y étais, j'étais tout le temps couchée au fond de ma couette. Je préfère effectuer mes études supérieures ici et après trouver directement du boulot."

Dans la vie, Nema se définit comme une jeune fille plutôt traditionnelle. Même si elle s'habille à l'occidentale, elle prône la préservation des traditions mahoraises. Elle nous explique que même si elle aime regarder les chaines du câble et les séries américaines, en matière de musique elle préfère les artistes locaux. M'toro Chamou, Babadi et Lathéral voici les artistes qu'elle écoute en boucle sur son lecteur mp3. Entre tradition et modernité, c'est ainsi qu'elle se voit; une parfaite adéquation avec une société mahoraise en pleine mutation.

Politiquement, la jeune fille n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler une femme engagée. Comme beaucoup de jeunes de son âge, elle préfère rester en retrait de la vie politique. Elle n'est d'ailleurs pas sûre d'aller voter pour le référendum, un combat gagné d'avance selon elle. Pourtant, elle se déclare favorable au changement de statut. "Je suis pour la départementalisation, mais je ne sais pas trop ce qu'on va obtenir. Je pense que ce sera plutôt des choses positives et que Mayotte va encore se développer. En tout cas, c'est sur que le oui va l'emporter."

 

Les hédonistes (7,1%)

Les hédonistes (7,1%)

Les hédonistes sont de jeunes adultes de plus de 21 ans, des jeunes femmes pour les 2/3. Ils constituent la catégorie la plus aisée et la plus active et sont surtout des employés du service public. Ils sont à la recherche d’un travail stable, d’épanouissement personnel dans une bonne ambiance, comme le métier d'enseignant. Les hédonistes sont les plus voyageurs, les moins nés à Mayotte, d’origine "africaine-malgache" et de culture subjective "créole" ou "chrétienne". Ils sont anti-communautaristes et ouverts à la mixité d’habitat, bien qu'ils demeurent réticents devant "trop de Comoriens". Ils appartiennent à une classe sociale privilégiée, sont clients de supermarchés, sensibles à la publicité et aux produits nouveaux à essayer en promotion. Heureux et optimistes, égocentrés, pas pressés d’assumer la charge d’une famille, ils ont une grande permissivité sexuelle et sont socialement préventifs plutôt que répressifs.

Bon vivant, innovateurs, aspirant à la réussite et à l’argent pour profiter du progrès moderne, les hédonistes sont la catégorie la plus équipée en high tech et voiture (d’occasion) et la plus équipée en produits financiers. Les hédonistes sont très sensibles à l’écologie et prêts à des efforts personnels. C'est le profil le plus consommateur d’informations locales et internationales et le plus demandeur de nouveaux media. Très méfiants vis-à-vis des religieux, des juges et surtout des politiciens "pourris, carriéristes, de mauvaise foi", les hédonistes sont favorables à un développement autarcique, mais ouverts aux compétences de travailleurs étrangers et au tourisme comme meilleure chance de développement à partir du secteur loisirs. Les hédonistes sont toutefois frustrés que Mayotte soit "oubliée" de la France et de l’Europe et moins bien traitée que les Dom.

 

Maïna, l'hédoniste

Maïna fait partie de la catégorie des hédonistes. Une frange qui ne représente que 7,1% de la jeunesse mahoraise, ce qui s'explique probablement par le niveau de vie assez élevé de ces personnes qui rentrent pourtant à peine dans la vie active. Indépendance et modernisme, voici ses principales caractéristiques. La jeune femme est ce qu'on appelle communément une working girl. Taxi, boulot dodo, tel est son train de vie. A vingt-quatre ans, cette jeune diplômée d'une école d'ingénieur a su mener son début de carrière avec tout le succès qu'elle en escomptait. Aujourd'hui elle travaille dans une grande entreprise et elle compte bien gravir une à une les marches de l'ascenseur social qu'elle n'a pas encore franchi.

Issue d'une famille modeste, elle a su s'en sortir seule, à force de volonté. Maintenant qu'elle est parmi les catégories sociales les plus aisées, elle ne s'interdit rien. A l'école, j'enviais mes copines. Elles avaient toujours plus que moi. De beaux jouets, puis de beaux habits, et plus tard de supers appartements et des voitures, alors que moi j'étais obligée de galérer deux heures tous les matins dans les transports en commun. C'est pour ca que désormais, dès que j'ai envie de quelque chose, je me l'offre."

Elle se considère ainsi comme une bonne vivante. Maurice, Afrique du sud, Vietnam. Deux à trois fois par an, elle part en voyage pour le tourisme, mais c'est aussi l'occasion de s'adonner au shoping et refaire sa garde-robe. Une activité difficilement praticable à Mayotte. Même si elle considère que les tarifs pratiqués à Mayotte son prohibitifs, elle demeure pourtant une grande cliente de la grande distribution. "Je suis prête à payer ce qu'il faut pour avoir des produits de qualité. C'est d'autant plus facile pour moi que pour le moment je n'ai pas d'enfant."

Tout comme son compagnon, un Métropolitain qui habite Grenoble, elle n'est pas pressée de fonder une famille. "Mon copain vit actuellement en France et moi je suis ici. Ce n'est pas facile mais ca permet aussi d'avoir une certaine liberté. On se voit deux fois par an."

 

Les raisonnables (22,6%)

Les raisonnables (22,6%)

Les raisonnables sont de jeunes adultes de plus de 21 ans, à 80% des jeunes femmes. Issues de familles nombreuses, modestes ou pauvres, c'est le profil le plus déjà marié. Ce sont surtout des ouvrières-employées du secteur privé ou des chômeuses. Les raisonnables sont les plus "comoriennes" et les plus musulmanes et religieuses parmi les jeunes, mais elles se sentent aussi "citoyennes du monde", sont contre le communautarisme et désireuses que les Comoriens soient mieux intégrés à la société mahoraise.

Plutôt optimistes pour leur avenir personnel, les raisonnables acceptent le modèle programmé d’un mariage et d’une maternité précoces, d’une vie de famille traditionnelle, tout en espérant cependant plus de considération et de liberté pour les femmes. Rêvant d'une belle maison et d’une voiture familiale, elles sont à la recherche d’une vie équilibrée entre travail et famille, sage, discrète. Elles sont d’une grande moralité, surtout sexuelle, avec des valeurs raisonnables du travail, de l'effort et de la persévérance. Mais elles rêvent aussi d’un coup de chance pour vivre une autre vie plus libre : "partir ailleurs" pour s'épanouir dans un travail de bureau ou de tourisme.

Les raisonnables sont les plus pessimistes sur l’évolution sociale : à la fois le climat social et la moralité, la délinquance et le pouvoir d’achat, les inégalités et la peur de la mondialisation, malgré des progrès dans l’éducation. Sans aucune préférence politique, elles sont très critiques de tous les politiciens qui ne dialoguent pas, et sont en attente de leaders plus éthiques et plus à l’écoute. Elles sont néanmoins les plus confiantes en général, surtout dans les religieux, la justice et les medias. Plutôt favorables à un développement économique autarcique, appuyé sur la France, à partir des activités traditionnelles, en plus du tourisme, elles sont en même temps insensibles à l’écologie. Consommatrices modestes, attirées vers les entrepôts, elles regardent surtout RFO Mayotte, avec une préférence pour les love stories et les novellas.

 

Anliat, la raisonnable

Anliat est issue d'une famille d'origine comorienne. Ses parents habitent Mayotte depuis qu'elle est née et ils ont leurs papiers tout comme elle. La famille subsiste grâce à la boutique de quartier que tient son père. De temps en temps elle y est caissière; un travail ennuyeux qu'elle souhaite ne plus avoir à faire plus tard. "J'aimerais travailler dans une administration. Je ne sais pas exactement ce que j'aimerais y faire, mais j'aime bien travailler dans un bureau."

La jeune femme n'a que 21 ans, mais elle rêve déjà de grand mariage, d'enfants et d'un mari fidèle qui l'aiderait en cas de besoin. Après avoir quitté l'école en seconde, Anliat vit chez ses parents en attendant de se marier. Entre deux formations professionnelles, elle se débrouille pour trouver des petits boulots. De quoi aider sa famille et surtout ses cinq frères et sœurs.

Inquiète face à la montée des violences, la jeune femme espère que le statut de département permettra de mieux contrôler les jeunes délinquants. "Aujourd'hui c'est difficile pour une fille de sortir le soir, même accompagnée. Il y a des endroits où j'ai peur de me rendre. On entend plein d'histoires de filles violées ou qui se font agresser; ce n'était pas comme ça avant. J'ai peur que l'on devienne comme les pays occidentaux."

Très croyante, Anliat porte un regard plutôt sévère sur les jeunes filles "qui se comportent comme des occidentales"; selon elle, elle sont perdues entre deux identités. "Ces filles-là ne savent pas où elles veulent aller, elles se comportent toute l'année comme des mzungus et pendant le mois de ramadan elles s'habillent en salouva. Elles couchent avant le mariage, et après elles trichent pour qu'on les croit encore vierge. Pour moi c'est de l'hypocrisie."

 

Les jouisseurs (23,7%)

Les jouisseurs (23,7%)

Les jouisseurs sont des scolaires de moins de 21 ans, à 95% des jeunes hommes. Ils se définissant le plus "Blanc" (10%) et le plus né en Métropole ou dans les Dom (24%), mais avec des doubles racines à la fois avec la France et Mayotte, malgré une frustration à l’égard de la France qui traite moins bien Mayotte que les Dom. C'est le profil le plus "citoyen du monde" (18%) et anti-communautariste, le plus favorable au métissage et à la mixité sociale d’habitat, tout en jugeant indésirables les Comoriens trop nombreux. Vivant assez mal leur enfance, les jouisseurs sont optimistes et veulent s’en sortir, avec une émancipation rapide pour vivre en indépendant.

Pour les jouisseurs, la vie idéale est intense, sportive, jouissive, mobile, amorale, avide de sexe (mais contre l’homosexualité) dans une société permissive idéalement, tolérant la polygamie. Ils veulent un travail technologique mais cool, sans stress où l’on est son propre patron, et avec une retraite précoce. Ils rêvent d’expatriation et de voyages dans le monde, satisfaits en partie à travers le web aujourd’hui. Ils ont pour autant une vision très critique et pessimiste de la société (communautarismes, méfiance mutuelle, drogue et délinquance des jeunes, perte d’identité culturelle) qui leur donne “envie de vomir“.

Se disant de plus en plus politisés et militants, en attente d’un leader à poigne avec des idées originales, fonceur (plutôt que moraliste), les jouisseurs sont attirés le plus par le parti Vert et ont l’attitude la plus écologiste, mais avec un modèle de développement économique libéral, par les entreprises et non l’Etat, à travers les high tech, le tourisme et le commerce, malgré une grande méfiance des patrons. Ils ont une culture de TV satellite ouverte aux influences mondiales : musiques rock-reggae-rap-électro, séries et films "adrénaline" américains. Ils sont fascinés par la high tech (mobiles, PDA, Web, Mp3), par les marques et le haut de gamme. Ils sont sensibles au sponsoring et attirés vers le e-commerce. Grignoteurs, buveurs d’alcool, possesseurs de 2 roues, ils rêvent de voiture sporty-frimeuse.

Cette catégorie peut basculer vers les "frustrés" en cas de chômage, d'absence de revenu, de travail, ou alors se retrousser les manches et basculer vers les "conquérants" pour prendre part à la construction de l'avenir et faire avancer l'île. C'est ce défi qui doit mobiliser les élus et différents responsables de l'île.

 

Les frustrés (18,5%)

Les frustrés (18,5%)

Les frustrés sont des jeunes hommes pour les 2/3. Issus de milieux défavorisés, ils sont les moins scolarisés, les plus chômeurs, les plus pauvres. Sous-consommateurs, ils vivent de petits boulots précaires, sont prêts à prendre n’importe quel travail juste pour l’argent, tout en rêvant d’un travail à responsabilité plus valorisant et mieux payé. C'est cet espoir là qu'il faut leur proposer par la création d'emplois, rapidement, sous peine d'aboutir à de graves désagréments.

Ils sont les plus malheureux aujourd’hui et sont pessimistes sur leur avenir personnel, se sentant sans autre avenir, frustrés de ne pouvoir participer à la consommation moderne. Ils sont donc le profil le plus communautariste défensif, le plus enraciné : ils refusent l’expatriation, même pour les études, et se définissent le plus "Mahorais", le plus "Français", le plus "Créole", le plus né ici (85%).

Crispés sur une identité culturelle défensive, les plus anti-touristes, les plus anti-Comoriens, les plus anti-mariages mixtes, les frustrés sont la catégorie la plus attachée à des racines micro-locales ("là où je vis"), xénophobe, avec une sensibilité FN, et sont désireux d’imposer le shimaoré comme "langue officielle". Sûrs de leur droit, ils sont figés dans des certitudes intransigeantes conservatrices de prérogatives machistes : ils sont pour la polygamie et pour que l’homme soit le chef de famille, et sont contre toute évolution du statut des femmes et contre l’homosexualité.

Les frustrés sont à la fois socialement répressifs si on leur fait du tort, mais complètement laxistes pour eux-mêmes, sans autre règles que les leurs. Ils sont les moins écologistes. Ils sont confiants dans la France et l’Europe, et dans les autres Dom dont ils attendent l'assistance. Non militants, mais attirés par des partis d’ordre (FN, UMP), ils sont en attente de leaders experts et beaux parleurs. Ils sont les plus confiants dans la classe politique locale, le gouvernement, les entreprises et les patrons locaux.

Malgré cela, ils sont très pessimistes sur la société qui leur donne "envie de vomir", par sa régression surtout sur l'éducation, la santé, la sécurité, le racisme, les épidémies, et par le règne de l’argent et de la bureaucratie… ce qui pourrait les rendre prêts à l’explosion sociale. Les frustrés sont partisans d’une économie ultra-libérale où les entreprises se débrouillent seules, avec des investisseurs privés étrangers sans subvention, et où l’on renvoie les étrangers pour réserver le travail aux locaux. Téléspectateurs réguliers de RFO pour les infos en shimaoré, les frustrés sont fans de films d’action et de foot. C'est le groupe le plus en difficulté aujourd'hui, le plus sensible, celui qui nécessite une prise en compte, une prise en charge rapide.

 


 

Une méthode transversale pour répondre aux exigences d'un marketing de plus en plus ciblé

Elaborée par Bernard Cathelat dans les années 1970, la méthode de l'étude des styles de vie a été appliquée dans une trentaine de pays. C'est une méthode qui étudie l'individu dans sa globalité et dans toutes ses dimensions psychologiques et comportementales, ce qui permet de déterminer les grandes tendances dans les 7 à 8 années à venir. Elle s'applique à tous les secteurs d'activité, par opposition aux autres techniques d'enquête qui souvent se sont spécialisées sur les études de marché commerciales, les sondages d'opinion, les mesures d'audience des médias ou les prévisions électorales. Cette typologie de "socio-styles de vie" permet de définir des groupes d'individus précis, répondant ainsi aux exigences d'un marketing de plus en plus ciblé.

Bernard Cathelat guide l’équipe du CCA (Centre de communication avancée) à Paris depuis plus de vingt-cinq ans et partage son temps entre l’analyse des "socio-styles de vie ", la détection des grandes tendances sociales, et l’enseignement. Il a publié en 1990 son ouvrage majeur intitulé "Socio-styles système : les styles de vie, théorie, méthodes, applications". Le docteur en psychologie sociale, étonné par les résultats obtenus à Mayotte qui pour la première fois différencie les groupes de "socio-styles de vie" en fonction de leur sexe, devrait se rendre prochainement à Mayotte, a promis Jean-Paul Bruchot, le directeur d'Ipsos océan Indien.

 

2.000 questions posées à 370 jeunes de 15 à 24 ans

A Mayotte, l'institut Ipsos a chargé l'agence de communication événementielle Angalia de recueillir les données sur le terrain pour réaliser cette étude. Les questionnaires ont d'abord été élaborés entre Ipsos et les différents souscripteurs, publics et privés. Huit enquêteurs encadrés par deux chefs d'équipe ont ensuite sillonné l'île pendant deux mois pour poser quelques 2.000 questions de type QCM à des jeunes sélectionnés en fonction de leur âge, de leur sexe, de leur origine géographique ou de leur situation professionnelle, selon la méthode des quotas.

L'agence s'est basée sur les données fournies par l'Insee en 2007 pour établir les proportions de chaque groupe de personnes interrogées. "Nous avons aussi pris en compte la nationalité pour qu'il y ait un tiers de jeunes en situation irrégulière et ainsi refléter le poids réel de la population clandestine", précise Yasmine Saïd, chef de projets à Angalia, qui a coordonné tout le travail de terrain.

L'agence tient à remercier les MJC, qui ont permis à une centaine de jeunes venus de toute l'île de se rendre une fois dans la salle de cinéma de Mamoudzou, ce qui a permis de faire beaucoup avancer ce travail de fourmi. "Grâce à cette enquête, on a pu donner la parole à 50% de la population qui n'avait jusqu'alors jamais été interrogée", constate Yasmine Saïd. Les entretiens avaient lieu en face-à-face, avec éventuellement la traduction en shimaoré ou kibushi. Une fois les résultats connus par Ipsos, l'institut a fait part de son étonnement de cette différenciation des socio-styles de vie en fonction du sexe des individus, une situation inédite qui pourrait s'expliquer, selon la responsable d'Angalia, par "le fait que Mayotte soit musulmane, avec une éducation séparée entre les filles et les garçons".

 

Pour les administrations, institutions, entreprises intéressées par cette impressionnante enquête, vous pouvez contacter Ipsos océan Indien par courriel : jpb@ipsos-oi.com.