{xtypo_dropcap}A{/xtypo_dropcap}près un chigoma d'accueil particulièrement animé, le préfet Denis Robin a rappelé que les Egom "sont une grande chance et un grand moment pour tout l'Outremer français", qui permet de débattre de son modèle de développement économique et social. A Mayotte, les Egom sont conçus comme un complément au Pacte pour la départementalisation qui n'a pas tout prévu dans les détails. Cet atelier a notamment pour but de "faire attention que la départementalisation ne détruise pas ce qui fait le cœur de Mayotte, sa richesse, sa culture".
Le président de l'atelier Ibrahim Aboubacar a ensuite présenté à la centaine de personnes présentes le travail effectué depuis plusieurs semaines. La première préoccupation des acteurs de l'atelier concerne d'abord l'inventaire du patrimoine mahorais, dont une grande partie demeure inconnue de la population, pour le protéger et le transmettre aux générations suivantes. "Il ne s'agit pas seulement des monuments historiques ou coloniaux, mais aussi les techniques artisanales, les croyances religieuses, les traditions ancestrales, les langues locales ou les modes de vie", a précisé M. Aboubacar. La question de l'identité des Mahorais, d'origine africaine et malgache, soumise aux influences arabes et occidentales, a également été posée.
Les différentes interventions du public ont surtout porté sur la transmission des valeurs des parents à leurs enfants et beaucoup ont déploré la baisse de fréquentation des écoles coraniques, un élément structurant de la culture islamique mahoraise. "Au shioni, j'ai appris à connaître ma culture, à tresser des feuilles de coco, tout le fonctionnement de ma société. C'est un élément structurant de la mémoire culturelle mahoraise où on n'apprend pas que le Coran", a affirmé l'un des intervenants.
"Notre jeunesse est déconnectée car elle ne maîtrise pas sa culture, son Histoire"
Certains ont demandé à ce que le shimaoré soit enseigné dans les écoles de la République et que l'arabe ne soit pas proposé qu'à partir du collège. "La langue arabe ne doit pas être menacée à Mayotte", a déclaré un employé de la bibliothèque, "en Métropole, 15 universités proposent l'arabe jusqu'à la thèse et plus d'une cinquantaine jusqu'à la licence. Nous demandons qu'elle soit traitée comme l'espagnol ou l'anglais".
"Notre jeunesse est déconnectée car elle ne maîtrise pas sa culture, son Histoire. Rien n'est enseigné à l'école, il n'y a que la télé pour eux et ils oublient le respect dû aux anciens. Notre monde ne doit pas être assimilé à la culture occidentale", a déploré un autre intervenant. "Ce n'est pas aux professeurs mais aux parents de sanctionner leurs enfants", lui a répondu une jeune femme de 23 ans qui s'est félicitée qu'"aujourd'hui notre avis, à nous les jeunes, compte, alors qu'avant il n'y avait que les anciens qui pouvaient prendre la parole en public".
Le chorégraphe Jeff Ridjali a ensuite souligné la difficulté d'avoir des locaux pour les activités culturelles à Mayotte et a demandé que l'école s'ouvre davantage aux intervenants extérieurs, pour permettre aux élèves de se construire en étant encadrés par des professionnels. "Il faut des lieux pour échanger avec les jeunes et leur proposer des activités culturelles", a-t-il préconisé.
Alain Kamal Martial, le directeur de la Dilce du conseil général, a constaté que le problème réside dans l'absence de lieux de transmission tels que des salles de spectacles, des centres de formation artistique ou des musées historiques : "Nous devenons une société quasi amnésique. Comment les enfants peuvent-ils respecter ce qu'ils ne connaissent pas ? Tout le monde dit son mal-être dans une société où on ne se comprend plus, où tout le monde est solitaire. Il faut des lieux de transmission car la génération qui est partie n'a rien laissé à celle d'aujourd'hui".
"Le problème n'est pas seulement dans la transmission, mais aussi dans la création"
Non seulement les MJC ne semblent pas tenir leur rôle de lieu de rencontres entre les générations et d'émulation collective, mais les sites du patrimoine historique mahorais comme les vestiges des usines sucrières de Soulou et Hajangua, les machines à filer le sisal à M'roalé ou encore le cimetière de Jimawéni sont complètement laissés à l'abandon et demeurent inconnus de beaucoup de Mahorais.
Michel Charpentier, le président des Naturalistes, a vivement déploré l'absence de musée historique à Mayotte, mais a toutefois précisé que des efforts sont réalisés depuis quelques années pour enseigner l'histoire locale, surtout dans un cadre parascolaire. Le service des archives départementales a par exemple monté plusieurs expositions et l'association des Naturalistes organise depuis deux ans les Rallyes du patrimoine qui ont permis l'an passé à 600 jeunes de découvrir ces sites historiques : "Nous aurions pu faire mieux si nous avions eu plus de moyens".
Le préfet Denis Robin a conclu ces débats en rappelant que la départementalisation n'est pas un danger pour la culture des Mahorais et qu'ils doivent être fiers de leur identité : "L'environnement, ces paysages extraordinaires en font partie, mais quand je vois comme il est sali et pollué, je me dis que les Mahorais ne sont pas si fiers". Les gravats de la nouvelle mosquée de Tsingoni sur les tombeaux chiraziens, déposés dans l'indifférence générale, sont aussi une preuve pour lui que les éléments du patrimoine ne sont pas assez défendus par les Mahorais.
"Mayotte passe d'un système de régulation sociale à un autre et il faut combler les vides", a analysé le préfet. "Ce n'est pas seulement la départementalisation qui change tout ça, mais aussi la télé et internet, avec un modèle occidental qui fait rêver les jeunes. Mais la solution n'est pas de casser la télé… La culture n'est pas figée, il faut la moderniser : le problème n'est pas seulement dans la transmission, mais aussi dans la création, avec des studios d'enregistrement ou des lieux de spectacles. Transmettre des éléments du passé sans les faire évoluer les feront disparaître car les enfants préféreront alors les séries américaines".
Julien Perrot
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