{xtypo_dropcap}P{/xtypo_dropcap}as davantage les principaux responsables politiques. De l’obscur projet de chambre détachée dont j’ai expliqué en son temps le mal que nous en pensions à la paralysie de l’aide juridictionnelle, ils brillent par une absence qui n’est pas exempte de culpabilité eu égard à l’ampleur des difficultés.

Peut-être les justiciables. Et encore ! Ceux à qui on explique qu’ils peuvent ou qu’ils doivent être jugés sans l’assistance d’un conseil tant la justice affronte un empêchement insurmontable comprendront tout au plus que les avocats sont des professionnels grincheux et capricieux.

Et si les citoyens finissaient par entendre l’écho des robes noires jetées bruyamment à terre ?

Notre profession si singulière est d’abord un état avant d’être un métier, ce qui signifie que les convictions essentielles qui façonnent notre engagement et les obligations qui en dépendent guident nos actions y compris jusque dans nos vies privées.

Avec notre serment pour viatique, nous nous efforçons d’assumer notre ministère "avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité" pour reprendre dans sa plénitude la terminologie consacrée.

Avant d’apparaître comme l’énième droit-créance d’un État protecteur cherchant à parer l’impécuniosité des justiciables face au coût élevé des procédures judiciaires, une forme d’aide juridictionnelle était pratiquée jadis par les avocats eux-mêmes, lesquels modulaient les honoraires suivant les moyens de leurs clients.

De nos jours, la contribution versée par l’État est censée maintenir l’équilibre entre l’exercice libéral de la profession d’avocat qui doit demeurer la règle et la concession au principe d’égalité devant la justice suivant une conception subjective des droits de l’homme à laquelle nous souscrivons.

Or, la paupérisation de l’institution judiciaire souvent décriée ailleurs est ici assortie de circonstances aggravantes à rendre perplexe le moins érudit des novices.

Les Mahorais doivent savoir que si le droit commun interfère désormais dans presque tous les domaines de leur vie quotidienne, il en va tout autrement de la manière dont ils sont jugés et défendus.

Alors qu’une quantité exponentielle de missions entre dans le champ de l’aide juridique et que le nombre de justiciables qui y sont éligibles ne cesse de croître, l’État s’obstine à octroyer aux auxiliaires de justice une rétribution indécente figée sur les émoluments accordés naguère aux personnes agréées. Un temps révolu où les avocats n’existaient pas à Mayotte.

Assiégés de toute part, nous sommes aujourd’hui tenus d’effectuer une multitude de tâches au titre de l’aide juridique au détriment de notre clientèle libérale. Voici l’avocat pris au piège de la rentabilité judiciaire enferré dans le dilemme du quantitatif opposé au qualitatif.

Si l’aide juridictionnelle coûte cher au contribuable, elle vampirise un cabinet d’avocat.

Comme l’artisan fabrique des objets ou le paysan cueille des fruits, l’avocat met à contribution son savoir et son talent pour traduire juridiquement les aspirations de son client. Cette énergie n’est pas intarissable et ce service puisé au fond de soi masqué par l’aisance conquise après des années d’études et de labeur demeure par nature onéreux.

Dans tous les cas, le client risque de pâtir d’un régime mal maitrisé, soit que le montant des honoraires augmentera pour supporter des contraintes supplémentaires, soit que l’effort consacré au service des plus démunis se délitera. Les pouvoirs publics poussent vers une curieuse alternative se résumant en une formule : moins de temps pour les pauvres, plus cher pour les riches ! Je ne peux me résoudre ni à l’un ni à l’autre et je m’interroge sur le sort des catégories moyennes qui faute d’être admissibles à l’aide juridictionnelle ne peuvent accéder à un conseil dont les tarifs sont pour elles prohibitifs.

Si depuis le 10 mai 2010, le barreau de Mayotte n’assure plus les permanences pénales ni aucune diligence au titre de l’aide juridictionnelle, c’est qu’il estime qu’en le faisant les avocats trahiraient leur serment.

Et pour la circonstance, notre désuète législation rencontre l’archaïque système judiciaire mahorais qui ne cesse d’agoniser. Pour si peu satisfaisant qu’il fût, l’arsenal fonctionnait jusqu’alors grâce à l’extrême indulgence du barreau qui acceptait ses obligations professionnelles au nom d’une conception large du sens du devoir tout en se pliant aux règles bureaucratiques de la comptabilité publique.

Cette position n’est plus tenable dès lors que s’y ajoute l’inertie des agents décisionnaires. Le gel inadmissible de l’intégralité des procédures de rémunération depuis septembre 2009 met en exergue des dysfonctionnements à plusieurs niveaux : incapacité de disposer de fonds suffisants pour honorer les créances échues, absence de coût prévisionnel de l’aide juridictionnelle par année d’exercice, inaptitude des services administratifs à traiter en temps et en heure les mémoires de frais déposés.

Sous pression, les autorités judiciaires locales sont parvenues à débloquer des crédits qui pourraient effectivement apurer temporairement le passif. Reste à envisager le mandatement qui n’interviendra qu’après vérification de l’état récapitulatif des frais adressé par chaque avocat. Pourquoi attendre huit mois pour débuter cette opération indirectement concernée par la carence financière ?

Plus profondément, cette crise révèle l’impuissance des juridictions à assimiler les conséquences de la généralisation du droit commun. Une budgétisation sérieuse désormais indispensable aurait dû pourvoir à ces aléas, lesquels auraient pu être anticipés notamment en raison de la disparition progressive des cadis. À l’évidence, ce qui était gérable pour une faible activité et peu d’avocats ne l’est plus aujourd’hui avec ce foisonnement des contentieux.

La justice ne sortira grandie de cet épisode qu’en tirant durablement les leçons d’un échec très largement prévisible. Cette réflexion induit d’imaginer une réorganisation inspirée du droit commun et affectée de moyens matériels et humains au moins dignes des juridictions ordinaires métropolitaines.

Dans le droit fil de notre motion pour la création d’une cour d’appel, nous refusons de laisser la médiocrité s’institutionnaliser. Nos revendications immédiates sont aussi des plus limpides : recouvrer nos créances indiscutables et obtenir l’assurance de nos futurs défraiements.

Pour espérer jouer pleinement notre rôle de conseil et de défenseur auprès de tous les justiciables quelque soit leur condition sociale sans servir pudiquement de faire-valoir d’une organisation judiciaire dégradée, nous opposons une vision clairvoyante de la justice.

Oserais-je dire qu’à défaut de constituer le défi de la départementalisation, ce combat ancré au plus profond de notre conscience demeure celui de notre engagement professionnel pour que nul n’entende plus jamais parler de grève des avocats.

 

Thani MOHAMED SOILIHI

Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Mayotte