{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ais voilà de nouveau qu’au XXIe siècle, en 2010, à quelques mois de l’accession de Mayotte au statut du 101e département français, ce loup surgi des âges farouches continue encore et encore à dévorer les agneaux ultramarins, en toute impunité et sans la moindre sommation.
Vous l’avez compris, ici à Mayotte, depuis quelques mois, le loup, c'est-à-dire la brigade anti-criminalité de la police nationale (la Bac) est soupçonnée de bavures et bévues. Et pour elle, l’agneau est tout trouvé. C’est le petit Anjouanais du coin, le petit Grand comorien du quartier, le petit Mahorais du village, etc… Et comme l’histoire n’est qu’éternelle répétition, quatre siècles après la Fontaine, sous nos tristes tropiques, la Bac a, encore une fois, enfoncé ses crocs dans les côtes d’un agneau bien de chez nous, en la personne de Ramzane Attoumane.
En vérité, voici les faits tels que me les ont rapportés Ramzane Attoumane ainsi que tous les témoins oculaires de ce spectacle lamentable qui, écœurés devant cette action policière, se sont portés volontaires pour être cités à témoin contre ce que certains d’entre eux ont qualifié de barbarie viscérale.
Dimanche 6 juin 2010
Comme tous les dimanches, Ramzane Attoumane vend ses fruits et légumes au rond-point El Farouk, sur le trottoir de la Banque de la Réunion, à Kawéni. Il est 18 heures. Une quinzaine d’adolescents de Kawéni conduits par un jeune homme d’une vingtaine d’années arrivent devant les étalages des oranges. Ils se divisent en deux. Deux individus urinent sur la voiture de Ramzane et le raillent. Alors qu’il essaie de les raisonner, d’autres s’emparent des agrumes.
C’est le moment que choisit l’un des leaders des provocateurs pour menacer Ramzane en ces termes sans équivoque : "Espèce d’étranger ! De toute façon on va verser tes viscères sur la rue, aujourd’hui même", dit-il un couteau dans la main. Joignant le geste à la parole, l’individu donne un coup de poing à Ramzane qui le lui rend aussitôt. Sa femme compose le 17, à trois reprises pour appeler la police au secours.
Une dizaine de minutes plus tard, Ramzane donne le signalement de ses agresseurs aux premiers policiers mahorais arrivés sur les lieux. Alors que les policiers courent interpeller les délinquants, Ramzane voit arriver un de ses beaux-frères, une machette à la main. Il s’empresse de le désarmer, lui bloque les bras au niveau de la poitrine pour l’amener dans sa voiture afin de le calmer et de le conduire à la maison.
A peine a-t-il eu le temps de faire quatre pas que surgit dans son dos un individu blanc qui lui fait une clef au cou. "Arrête ! Tu me fais mal", crie-t-il à tue tête, à l’endroit du policier. Pour toute réponse, sous les yeux médusés de la foule encore massée au rond-point El Farouk, Ramzane Attoumane reçoit un violent coup de matraque derrière le genou qui le fait fléchir. Une seconde matraque à la côte gauche le projette à terre.
Pareille à une meute de loups affamés se disputant un os frais, quatre policiers s’emparent de son corps. Ils lui étreignent les poignets avec deux paires de menottes, lui tenaillent les chevilles avec une troisième paire de menottes et c’est, assis sur son dos, qu’au nom de la République française, ces tortionnaires sadiques dont les méthodes n’ont rien à envier à une opération commando se mettent à le rouer de coups.
Tête plaquée contre le sol, sous la semelle d’un agent de la Bac, parmi ses agresseurs Ramzane a eu le temps de reconnaître un jeune de Kani-Kéli appelé Charafoudine Abdou, car c’est ce même Charafoudine qui lui a entravé les pieds avec des menottes.
Selon un autre témoin oculaire, c’est au moment de cette bastonnade que deux véhicules Kangoo blanches s’arrêtent à côté de Data Cards et d’Optique Mahoraise. Un brassard rouge au bras, des Métropolitains et des Mahorais sortent des véhicules et se ruent vers le rond-point situé à une quarantaine de mètres de leur point de stationnement. L’instant d’après, toute la rue est aspergée de gaz lacrymogène. Profitant de cette diversion, les policiers de la Bac soulèvent Ramzane et le jettent avec violence dans leur fourgonnette. Tel un ballot. "Il est lourd ce cochon !", fulmine alors un dénommé Vincent, une sorte de rugbyman moustachu.
Le comble, c’est qu’il parait qu’à la Bac tous les Métropolitains se font surnommer Vincent. Quel camouflage pour ces tontons macoutes de la République !
S’ensuivent alors les cinq dernières minutes les plus atroces de toute sa vie. Entre le rond-point El Farouk et le QG de la police nationale, le trajet dure à peu près cinq minutes. Mais c’est une éternité pour Ramzane.
Voici les faits tels que nous les relate la victime : "Une fois la portière coulissante de l’habitacle arrière fermée, ce dénommé Vincent me menotte (quatrième paire) sur la grille intérieure de protection qui nous sépare du conducteur. Ensuite il me plante son genou au niveau du sternum, me plaque son avant-bras au niveau de la gorge, dernière technique commando employée en dernier recours contre un récalcitrant individu violent et me roue de coups de poings au visage et je continue à recevoir des coups de matraque sur le reste du corps, le souffle coupé, la gorge écrabouillée.
Arrivé au poste de police, les deux agresseurs me jettent de nouveau à terre et se mettent encore à me shooter comme on shoote un ballon de rugby. Ce sont des femmes debout à proximité du poste de police qui, témoins providentiels de cette exécution, ce lynchage, alertent par leurs appels au secours hystériques l’officier de garde.
Une fois dehors, ce dernier intime l’ordre à ses collègues de mettre fin à leurs sévices. Les deux policiers tentent de me lever et l’un deux s’écrie : "Il est lourd ce cochon", et ils me laissent tomber sur le sol. Ils me trainent ensuite jusqu’à la grille où je m’adosse pour récupérer mon souffle.
Je demande à l’officier de police de garde à voir un médecin puisque j’ai du mal à respirer, je ne peux pas bouger la tête et mes jambes sont tout enflées à cause des matraques. Ce dernier m’enlève les menottes qui m’entravent encore. Je demande de l’eau à un policier de garde venu en spectateur pour me nettoyer puisque j’ai été roulé à terre et j’ai le visage en sang : "quand tu as agressé mes collègues, tu n’avais pas besoin d’eau alors tu n’as qu’à te démerder", me répond-il.
Malgré ma demande, c’est entre 20h et 21h que les pompiers viennent me chercher au poste de police pour m’amener aux urgences où le médecin me fait subir des radios suivies de scanner vu l’état dans lequel la Bac m’avait laissé".
Bilan ? J’ai :
deux vertèbres cervicales déplacées qui me valent une minerve
une mâchoire bloquée
la langue et les lèvres meurtries
deux côtes gauches fêlées
une jambe bloquée, ce qui explique le port d’un atèle
une garde à vue non signifiée. Le lundi 7 juin à 14h30, les policiers en faction dans ma chambre depuis mon admission à l’hôpital sont relevés de leur fonction et m’annoncent la fin de ma garde à vue
cinq jours d’hospitalisation aux urgences
et pour couronner le tout, le médecin me donne 21 jours d’ITT
Hallucinant, la façon dont la Bac défend les citoyens de la République française à Mayotte, n’est-ce pas ?
Ce que j'en pense
"Ne racontez-pas de mensonges ! N’écoutez pas la rumeur publique ! N’affirmez pas des événements dont vous n’avez pas été témoin", me sermonne un policier dont la bouche sait taire la vraie vérité comme un hérisson dont on aurait introduit un bout de manioc dans le museau. "Nous ne sommes pas fous à la police pour agresser un citoyen qui nous téléphone pour qu’on vienne à son secours ? C’est ton frère qui a mordu au bras jusqu’au sang un de nos agents."
Dans cette affaire, les victimes c’est nous. Et c’est la seule chose que vous devez retenir Monsieur Nassur, m’explique avec beaucoup d’assurance et de conviction cet agent assermenté en faction au poste de police quand je lui ai demandé la permission de voir Ramzane Attoumane.
Pour enfoncer le clou en vue de calmer les esprits d’une population indigène excédée par une série de bavures policières, dont outre Ramzane on peut citer le carreleur Sylvain Philys, le gendarme Ahamadi Boura de M'tsangamboi et tant d’autres dont les plaintes n’ont jamais eu de suite, la Bac fait appel à un nègre de service.
Au journal télévisé du mercredi 9 juin 2010, le lieutenant de police Chaharmane Chamassi qui ne fait pas partie de la Bac et qui n’est pas de ce service ce dimanche 6 juin vomit mot pour mot les propos de mon interlocuteur. Et il ajoute : "auteur de rébellion et il (Ramzane) se trouvait avec un "shombo"". Pour ceux qui ne parlent pas shimahore, un shombo est un coupe-coupe.
Honte à Monsieur le lieutenant car à Mayotte, nous les Français d’en bas, nous connaissons la capacité de la police à se serrer les coudes après chacune de ses bavures. D’ailleurs, déjà à leur époque, afin de s’abriter des projectiles des assiégés, les soldats romains formaient avec leurs boucliers levés, une tortue, c'est-à-dire une défense hermétique.
Messieurs les fonction-nerfs assermentés qui exercez votre métier sur la voie publique, n’est-ce pas en empruntant des méthodes aussi similaires au temps de l’apartheid en Afrique du Sud que vos tristement illustres collègues ont effacé Steve Biko et bon nombre de pacifistes de l’African National Congres de Nelson Mandela ?
A mon humble avis, nul doute qu’après votre serment prêté sur la Bible, vous récitez la prière sacerdotale, chaque soir, avant de partir à la chasse aux punching-balls en ces termes : "au nom de Dieu matraque, du Père menottes et de la Sainte grenade Lacrymogène, vive la coloniale !".
Aujourd’hui la seule question que se posent les témoins oculaires de cette violence policière en réunion qu’on ne saurait taire est : quand on se fait rudoyer par des agents de la Bac, le citoyen a-t-il la garantie de voir aboutir sa plainte déposée au même bureau de poste de police, un jour ?
Cette question m’interpelle au plus haut point quand on connait comment la police sait manipuler la presse locale et l’opinion publique en sa faveur. D’ailleurs, n’est-il pas assommant de savoir qu’au sujet de l’affaire Ramzane Attoumane, la police annonce un scénario aussi fantaisiste que ridicule ?
Dans la position saucisse où Ramzane Attoumane se retrouve entre le rond-point El Farouk et le QG de la police nationale, "l’auteur de rébellion agrippe le chauffeur à la gorge pour l’étrangler et que de toute façon, il n’existe aucune barrière intérieure de sécurité dans cette voiture".
De toute évidence, les fabricants de vérité mensongère auraient montré un véhicule autre que la Kangoo de la débauche aux enquêteurs parisiens de la direction générale de la police nationale dans le but précis de les induire intentionnellement en erreur.
Cependant, dans tous les services régaliens, n’y-a-t-il pas un carnet de bord mentionnant les coordonnées du chauffeur, sa mission, le nombre de kilométrages, l’heure de la sortie et du retour du véhicule de fonction avec son numéro d’immatriculation ? Alors, vous qui êtes les seuls à mettre en berne la seule et vraie vérité, comment comptez-vous dissimuler ces éléments probes aux enquêteurs de la DGPN ?
Après les cinq jours passés aux urgences du Centre hospitalier de Mayotte, la gendarmerie nationale n’est pas venue auditionner Ramzane Attoumane qui a porté plainte contre ses agresseurs. Ceci sous-entend qu’au niveau local, la police nationale donc la Bac n’est pas dessaisie du dossier. Mais savez-vous pourquoi ?
A vouloir toujours étouffer les bavures de vos collègues en occultant des faits avérés indéformables, ignorez-vous Monsieur le porte-parole de la police nationale à Mayotte que le mardi 8 juin, la DGPN n’a pas attendu votre intervention fantaisiste à la télévision pour auditionner Ramzane sur son lit d’hôpital, pendant 4 heures de temps, sans interruption malgré son état de santé et ses difficultés à mouvoir ses lèvres et sa langue en bouillie ?
Monsieur le "camoufleur" de vérité, pouvez-vous dire aux médias et expliquer d’une façon cohérente, aux téléspectateurs qui vous ont vu dans le reportage de Nicole Gellot sur RFO Mayotte, pour quelles raisons votre regard fuyait-il l’objectif de la caméra quand vous racontiez la vérité de toutes vos vérités policières ?
Monsieur le lieutenant de police Chaharmane Chamassi, messieurs les agents de la Bac, la DGPN est saisie du dossier Ramzane Attoumane. Quand on est intouchable, comme le sont les agents de la Bac, on peut accuser son prochain de tous les maux de la terre et n’est-ce pas là le cancer qui gangrène notre société ?
Encore une fois au nom de Dieu… Vive la coloniale.
Nassur ATTOUMANI
Dramaturge, romancier, essayiste, nouvelliste et frère de l’agressé mis en examen
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