Naoilou Yahaya : J'aimais courir et j'ai commencé avec l'athlétisme en UNSS (Union nationale du sport scolaire) à Dzaoudzi. Je me suis blessée au genou en 4e et après ma longue convalescence je me suis tournée vers le basket. Il y avait les Harlem Globe Trotters de Pamandzi. Toute ma famille y jouait, surtout mes frères et c'était l'occasion de rentrer dans un collectif pour quitter la solitude que j'avais ressentie en athlétisme durant ma blessure. Il n'y avait pas beaucoup d'équipes féminines et on partait à Chirongui, Bandraboua. On montrait que les filles aussi pouvaient jouer au basket. Dans les années 80, jouer en short ou en jupette, ce n'était pas bien vu.
MHS : Quand avez-vous signé votre première licence ?
Naoilou Yahaya : C'était en 1982 à l'UNSS et en 1984 au basket. Le sport me permettait de quitter le milieu familial après l'école, d'avoir la liberté de faire quelque chose ailleurs qu'à la maison. Ce n'était pas très bien accepté, il y avait beaucoup de pression sur ma famille. Mais comme j'allais au basket avec mes grands frères et que ma sœur était l'un des piliers de l'équipe féminine, ma mère me laissait y aller. Elle suivait même nos matches. En revanche, mon père était beaucoup plus réticent.
MHS : Quels sont vos plus grands souvenirs sportifs ?
Naoilou Yahaya : Ce sont justement ces moments passés en famille autour du basket. Il y a aussi les années passées à Pessac (de 1990 à 2002). Le basket a permis de m'épanouir. Quand je suis arrivée en 1987 dans l'Hexagone, j'étais la seule Noire de mon lycée et grâce au basket j'ai pu m'intégrer et découvrir la région bordelaise en sortant de l'internat, en jouant à un niveau régional. J'y ai obtenu mon premier job étudiant en m'occupant des benjamins.
MHS : Et quels ont été les moments les plus difficiles ?
Naoilou Yahaya : C'est ma blessure au genou, d'autant plus qu'elle s'est produite lors d'une course qualificative pour le championnat UNSS de la Réunion que je menais. Je pensais que ma vie était finie, je ne pouvais pas sortir, je me suis même demandé si j'allais reprendre un jour le sport. Mais l'envie est revenue grâce à mon prof de sport Jack Passe qui a organisé des réunions d'athlétisme en UNSS.
MHS : Vous présidez la commission féminine du Cros. Que pensez-vous du sport féminin à Mayotte ?
Naoilou Yahaya : Rien n'est fait pour qu'une femme fasse du sport. Il y a peu de vestiaires pour nous changer, aucun système de garde d'enfants à proximité des terrains sportifs, pas de sport d'entreprise ou de sport loisir. Cela m'a choquée quand je suis revenue à Mayotte en 2002, c'est ce qui m'a poussée à créer une commission féminine au Cros. Nous avons initié des actions pour attirer les femmes au sport, comme la Course des amoureux ou Maman fait du sport. C'est ponctuel, les mamans viennent en nombre, mais cela ne les dirige pas pour autant vers les clubs et une activité continue. Depuis 2 ans, nous n'avons plus les moyens financiers de faire ces actions, le budget du sport est en chute, je ne sais pas comment on va s'y prendre.
MHS : Quelles infrastructures sportives vous ont le plus impressionné ?
Naoilou Yahaya : Je pense à la salle de Pessac. Dans ce gymnase, il y a tout. D'ailleurs l'équipe féminine de Bordeaux y venait jouer ses matches de coupe d'Europe, sur notre parquet. J'y ai entraîné Boris Diaw qui est aujourd'hui en NBA et en équipe de France. Il y a aussi les installations aux Seychelles. Quand on a vu ce qu'il y a ailleurs, on ne peut que se désoler de voir ce que nous avons nous à Mayotte. Aux Seychelles, il y a des plateaux qui ne sont pas forcément mieux que les nôtres, mais ils sont couverts et surtout ils ont un point d'eau. Ici, il n'y en a pas et en plus les jeunes n'ont pas le réflexe d'emmener une bouteille d'eau avec eux quand ils se rendent au terrain. Il faudrait se donner les moyens pour s'équiper en infrastructures. Toutes les îles de la région l'ont fait dans la perspective d'organiser les Jeux des îles de l'océan Indien ou des Rup. Même si nous ne respectons pas le délai initial de 2012 ou 2014, il faut tout de même amorcer ces grands chantiers. C'est ce qu'a fait l'île d'Elbe par exemple.
MHS : Que représente le sport pour vous ?
Naoilou Yahaya : "Le sport, c'est la santé", telle est ma devise. A travers les règlements sportifs, on apprend la vie, on doit être tolérant, on respecte l'autre, on apprend la citoyenneté. Grâce au sport, j'ai pu rencontrer des gens que je n'aurais jamais pu rencontrer autrement. C'est grandiose ! Par le Cros, j'apprends les arcanes du monde fédéral et olympique. En tant que dirigeante, je peux participer à l'évolution de l'île. Et si nous les femmes, on ne s'implique pas dans ces instances dirigeantes, on ne peut exprimer nos besoins. C'est à nous d'en être les porte-parole. Même si au début on gêne, à force de dire les choses, on nous écoutera.
Propos recueillis par Faïd Souhaïli
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