{xtypo_drop}C’{/xtypo_dropcap}est le grand jour pour Raïna. Aujourd’hui elle épouse Idriss, son petit ami depuis le lycée. Le seul problème, c’est que ni Raïna ni Idriss ne seront présents à leur mafounguidzo, la cérémonie du mariage. Comme le font de plus en plus de jeunes qui poursuivent leurs études en France, ils ont accepté d’officialiser leur union par procuration, en attendant de venir faire le grand mariage dans deux ans. Une tendance qui s’accentue à mesure que les jeunes Mahorais prolongent leurs études supérieures.

Actuellement en stage obligatoire pour la validation de son année, Raïna n’a pas pu se déplacer pour la cérémonie : "ce n’est qu’une formalité pour nous permettre de vivre ensemble, de toute façon je serais présente pour les festivités". Quant à Idriss, il est en voyage linguistique.

Ce que ce jeune couple ne nous dit qu’à demi-mot, c’est que ce sont les familles qui ont décidé du timing de leur union. Une pratique courante à une époque où des études supérieures de plus en plus longues, notamment chez les filles, incitent certaines familles à faire fi du parcours professionnel de ces dernières pour les marier avant qu’elles ne se "perdent"; comprenez, qu’elles aient des relations sexuelles avant le mariage. C’est ce que nous explique la jeune femme.

"Ca fait longtemps qu’on est ensemble. Il y a quelques mois, nos parents nous ont expliqué qu’il fallait nous marier afin de pouvoir vivre ensemble en France. C’est pour éviter les racontars, les "qu’en dira-t-on ?", une malédiction qui semble poursuivre les jeunes Mahorais au-delà des mers.

 

"Pendant longtemps les jeunes filles ont été cantonnées aux cuisines, devant les séries brésiliennes…"

 

Étudiante en management international, à 23 ans, Raïna a pourtant une idée bien précise de sa carrière. "J’aimerais aller jusqu’au master, Je voudrais ensuite pouvoir travailler quelques années à l’étranger avant de revenir en France ou à Mayotte." Un parcours qui ne s’accorde que très peu avec son nouveau statut d’épouse. "C’est vrai qu’il faudra qu’on essaie de trouver un terrain d’entente. Je ne m’inquiète pas de la réaction de mon mari. Je sais qu’il me soutiendra. Mais c’est surtout celle de sa famille qui posera problème. A Mayotte une épouse doit faire passer son mari avant tout le reste."

En effet, comment expliquer à ces familles qui se sont saignées pour payer une dot conséquente et des bijoux d’une valeur de plusieurs milliers d’euros, que la jeune mariée désire d’abord voir le monde et se construire une carrière avant de rentrer pour s'occuper de son époux.

"Les gens ne comprennent pas notre besoin de découvrir autre chose. Pendant longtemps les jeunes filles ont été cantonnées aux cuisines, devant les séries brésiliennes… Il est normal, une fois en France, qu’on désire s’accorder un peu de temps avant de retourner servir nos maris"… "et leurs familles", ajoute Idaya, son amie mahoraise.

Ces deux jeunes femmes sont le reflet de la révolution lente et silencieuse que sont en train de mener les Mahoraises. La route vers l’émancipation. Un combat qui a commencé avec les générations précédentes. Pendant longtemps, les femmes mahoraises ont été privées d’instruction, l'école étant considéré comme un lieu de débauche. C'est ce que nous explique cette "mama".

 

"Il faut que tu te maries. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour tes parents"

 

"Avant, les parents ne voulaient pas scolariser leurs enfants, ils avaient peur qu’ils oublient leur culture et ne deviennent des wazungu. Pour les filles c’était encore plus restrictif, pour eux, nous envoyer à l’école équivalait à nous débaucher." Celles qui étaient scolarisées allaient rarement au-delà du CM2. A peine adolescentes, pour elles, le moment était venu d’être mariées. L’âge moyen du mariage pour les femmes était alors de 15 ans. Une donne qui explique en grande partie le faible niveau scolaire des femmes des générations précédentes.

Avec le recul de l’âge légal du mariage et le processus de scolarisation obligatoire, les femmes ont su progressivement relever leur niveau scolaire. Mais les pressions sur le mariage perdurent, contrecarrant souvent des projets professionnels. Ce fut le cas pour Layla. Elle nous raconte comment, après avoir eu son bac en 2003, sa famille l'a poussée à se marier. Un an après, mère d'une petite fille, elle a essayé de reprendre ses études, en vain.

"Pour ma famille, le bac c’était l’essentiel. Quand ils m'ont dit qu'il était temps de me marier, j'ai accepté pour être libre de mes mouvements, mais je suis tombée enceinte. Comme beaucoup de jeunes mahoraises, j’avais peur de prendre la pilule. On dit que ça rend stérile lorsqu’on n’a jamais eu d’enfant. Lorsque ma fille a eu un an, je me suis inscrite dans une école d'infirmière."

Mais l'éloignement fut difficile à supporter pour cette mère de famille. "Mon mari ne s’en sortait pas avec notre fille, et ma famille me manquait trop. Alors j’ai abandonné mes études pour venir m’occuper d’eux."

Amina nous explique aussi comment ces pressions familiales l'ont poussée à se marier plus tôt qu’elle ne le voulait. "On n’était pas vraiment prêts, mais pour la famille il fallait que ca se fasse. Les pressions se faisaient régulièrement sous forme de réflexions… Il faut que tu te maries, me disaient-ils. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour tes parents… Ta mère a une dette à payer envers la société, elle doit marier sa fille pour pouvoir à son tour inviter ses amies… Fais-le pour voir sa bénédiction, en remerciement pour tout ce qu’elle a fait pour toi…"

Lorsqu'ils n'arrivaient pas à toucher sa fibre filiale, ils essayaient de lui faire peur. "Tu te fais vieille, bientôt on ne voudra plus de toi. J’avais 25 ans à cette époque. Un jour, mon père est allé voir mon copain pour lui dire de régulariser les choses ou alors de me quitter, j’étais hors de moi quand je l’ai su. Je pense que beaucoup de couples doivent se séparer à cause de ces pressions. Nous l'avons finalement fait pour faire plaisir à nos familles. Mais comme nous n’étions pas vraiment prêts à vivre ensemble, nous nous sommes séparés quelques mois plus tard." Et si pour certaines le mariage est un moyen d’arrêter le harcèlement moral, pour d’autres il constitue la seule alternative pour acquérir le statut d’adulte.

 

Le mariage, une voie vers l’émancipation féminine

 

En effet, dans la société mahoraise, une femme n’est vraiment considérée comme majeure qu’après son mariage. C’est le moment où elle quitte la tutelle de ses parents pour rentrer sous celle de son mari. Mais avec plus de marge de manœuvre. Une expérience vécue par Imane*. Après plusieurs années d’études en France, où elle a brillamment réussi son école de commerce, la jeune fille a ressenti le besoin de rentrer, laissant derrière elle son petit ami de longue date.

"Je voulais apporter ma contribution au développement de l'île." A son arrivée, elle trouve rapidement un poste à responsabilité et acquiert une aisance financière. Mais après plusieurs années d’indépendance, difficile à 28 ans de retourner dans le giron familial. La promiscuité sociale des frères et sœurs, des cousins, des oncles et tantes, et de leur entourage, les pressions pour prendre un époux… La jeune femme ressent rapidement le besoin de se trouver un logement. Chose impossible pour une célibataire. "Je voulais habiter seule, mais je me suis retenue pour ma mère. Parce que je ne voulais pas que les gens disent du mal de nous."

Un an après, profitant du passage de son petit ami sur l’île, elle décide de sauter le pas. "S’il n’était pas venu, on ne l’aurait pas fait. C’était en quelque sorte une manière de m’émanciper." Aujourd’hui Imane est libre de mener sa vie comme elle l’entend. Mais après deux ans de mariage, elle vit toujours éloignée de son mari qui, tout comme elle, occupe un poste important, mais en Métropole.

Selon un rapport commandé par le Sénat, en 2001, 70% des demandeurs emplois mahorais étaient des femmes. Une tendance qui se maintient alors que les statistiques révèlent chaque année la domination des filles dans la réussite scolaire.

 

Halda Toihiridini