{xtypo_dropcap}C{/xtypo_dropcap}e n'est pas un scoop, les mairies de Mayotte sont dans "une situation financière catastrophique, avec des déficits chroniques et une main d'œuvre qui coûte déjà très cher". Ibrahim Boinahéry, le maire de Tsingoni et président de l'AMM, fait un constat très amer des communes de Mayotte. Koungou est déjà dans le collimateur de la Chambre territoriale des comptes (CTC), qui pourrait la mettre sous tutelle si le plan de redressement n'est pas approuvé (voir MH n°434). D'autres communes sont sous la même menace.

"En l'absence de prestations sociales, les communes ont joué un rôle palliatif. Nous héritons d'une situation qu'on subit. Depuis la décentralisation de janvier 2008, on nous demande aujourd'hui plus de technicité et de compétences", explique M. Boinahéry qui rappelle que la CTC avait parlé de "sous-qualification chronique" au sujet des communes mahoraises.

Les agents des communes, notamment les policiers municipaux, ont récemment bloqué l'accès de mairies pour manifester leur mécontentement au sujet de l'intégration dont ils sont exclus. "Nous les maires, sommes tributaires de la loi : si elle oblige les policiers municipaux à passer un concours, on se soumettra aux textes proposés". Pour l'instant, il n'y a que dans les corps des agents techniques et administratifs que l'intégration est possible sans concours. Les 160 policiers municipaux devront donc suivre des formations au CNFPT pour se préparer. Il en est de même pour les Asem qui doivent obtenir le CAP petite enfance pour devenir des Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles).

 

"Nous avons de nouvelles charges, mais pas de nouvelles recettes"

 

"Les dépenses liées à la masse salariale augmentent à cause de l'augmentation du Smig et du point d'indice. Le nombre d'élèves dans les écoles primaires augmente aussi, et il y a en plus l'obligation de scolarisation des enfants de 4 ans à la rentrée prochaine : nous avons de nouvelles charges, mais pas de nouvelles recettes", déplore le président de l'AMM. Heureusement, le conseil général n'a finalement pas baissé le Fip (Fonds intercommunal de péréquation), qui permet d'équilibrer le budget des communes. Le décret du 23 juin continue de leur donner 20% des recettes de l'année n-1.

Autre sujet préoccupant : le foncier. Les PLU (Plans locaux d'urbanisme), qui prévoient les réserves foncières pour les constructions futures et qui doivent être terminés avant le 31 décembre 2010, sont toujours en cours d'élaboration dans les communes. "Le problème est que le modèle est calqué sur celui de la Métropole, notamment pour la communication envers les habitants. Ici, nous avons des villages isolés, loin des places publiques. Notre principal souci est cette sensibilisation vis-à-vis de la population". Pour l'instant, seules les communes de Kani-Kéli et Dembéni ont entamé la phase 2 de leur PLU.

 

"C'est un texte de 1911 qui régit l'expropriation à Mayotte !"

 

"Pour mettre en place la fiscalité locale, il faut régler deux problèmes : l'état-civil et la régularisation foncière. Pour la ZPG (Zone des pas géométriques) où sont installés la plupart des villages, l'Etat n'a rien dit, n'a rien fait. Si le conseil général n'a pas pu mener à bien la régularisation en 13 ans, comment l'Etat le fera-t-il en quelques années ?", se demande M. Boinahéry, qui préconise la création d'une agence de gestion de la ZPG comme aux Antilles, mais aussi une agence technique départementale pour monter les projets d'aménagement et une Safer (Société d'aménagement foncier et de l'espace rural) pour les terrains agricoles.

Reste le problème, pour l'instant insoluble, des terres en indivision : "Le village de Chiconi est situé sur un terrain privé de 40 hectares, acheté par 70 personnes au départ. Aujourd'hui, il y a 4.000 héritiers. La solution serait l'expropriation et la redistribution des terrains aux occupants, mais c'est toujours un texte de 1911 sous le régime de "Madagascar et dépendances", introduit à Mayotte dans les années 1930, qui régit l'expropriation à Mayotte ! Nous avons besoin d'un nouveau texte pour régler le problème de l'indivision."

En 2014, les communes pourraient lever les impôts locaux (taxe d'habitation, taxes foncières sur le bâti et le non-bâti, taxe professionnelle, taxe sur les ordures ménagères) en se basant sur la valeur locative cadastrale des biens, mais "même quand chaque parcelle sera identifiée, on n'est pas sûr d'avoir en face des personnes solvables pour lever les impôts locaux", prévient M. Boinahéry.

 

"On ne voit toujours pas venir les travaux prévus par le Contrat de projet"

 

Le président de l'AMM regrette que de nombreux projets sur les communes ne voient pas le jour. "On ne voit toujours pas venir les travaux prévus par le Contrat de projet. On ne sait pas à qui s'adresser pour réaliser ces projets : le conseil général ou l'Etat ? Certaines communes sont prêtes à recevoir les infrastructures, mais elles n'ont pas d'interlocuteurs". M. Boinahéry s'en prend aussi à l'Etat au sujet du Plan de relance qui "a été décidé on ne sait où. Les 21 millions d'euros sont déjà répartis sans qu'on nous ait prévenus. On ne sait pas comment les choix ont été faits, alors que le ministère demandait l'investissement des élus !", s'indigne-t-il.

Concernant les indemnités des maires qui ont été récemment jugées illégales car basée sur l'indice métropolitain, M. Boinahéry s'interroge : "Si des agents dans les communes ont des salaires basés sur l'indice de droit commun, pourquoi pas les maires ? Les conseillers généraux et les présidents des syndicats intercommunaux ont les mêmes indemnités qu'en Métropole".

Pour finir, le président de l'AMM a annoncé que l'association va prochainement changer de nom pour devenir l'Association des maires et des présidents des groupements intercommunaux de Mayotte (AMPGIM), qui sera toujours dans le réseau national de l'Association des maires de France. Un expert comptable aura une mission permanente dans l'association pour contrôler les dépenses. M. Boinahéry a aussi promis que les effectifs mahorais pour le congrès de l'ACCDom (Association des communes et collectivités d'Outremer) seront "fortement réduit". "Il faut resituer les déplacements pour ce qu'ils sont : une recherche d'information à l'extérieur pour ensuite ramener un compte-rendu qui s'insère dans la stratégie de notre association". Gageons que ces nouvelles "bonnes pratiques" perdureront, après les abus constatés par le passé.

 

Julien Perrot