17/04/2009 – Economie : Production d’ylang-ylang

 

{xtypo_dropcap}"C'{/xtypo_dropcap}est une chance que Jean-Paul Guerlain ait eu un ce coup de foudre pour Mayotte. Son nom reste fameux dans le monde entier. Son association à la plantation ici est un plus pour Mayotte. Vu du Japon, Guerlain ça veut dire quelque chose." Personnage atypique dans le monde très fermé de la parfumerie de luxe (voir encadré), Nicolas de Barry a créé un parfum naturel intitulé "Ylang de la plantation Jean-Paul Guerlain" qui met l'essence extra d'ylang-ylang au centre de la composition, alors qu'elle est d'habitude utilisée seulement en accompagnement. Pour lui, "son principal intérêt est qu'elle donne une note florale assez sensuelle. On essaie de ne pas trop en mettre car sinon c'est entêtant, mais c'est comme une très belle femme".

Ce grand voyageur affirme que l'ylang est aujourd'hui à la mode et que la demande mondiale ne va cesser de croître dans les prochaines années, en particulier pour les produits cosmétiques, comme les huiles de massage. Il a ainsi pu voir que dans les spas de Bali, Sao Paulo ou Shanghai, le massage à l'ylang est le plus répandu, avec celui à la citronnelle. Prenant l'exemple de la lavande à Grasse, il affirme que la filière française a pu être sauvée grâce à la vente d'autres produits que l'essence, la distillation ne représentant aujourd'hui que 10% du chiffre d'affaires de la production de lavande française.

Un peu comme les crus de grands vignobles, c'est sur certains territoires que l'on trouve les meilleures essences, comme la cannelle du Sri Lanka, la rose de Bulgarie et de Turquie ou le jasmin d'Inde. Pour l'ylang, c'est Mayotte qui obtient la palme, selon ce grand parfumeur qui a senti des centaines d'échantillons. Il y a 100 tonnes d'huile essentielle d'ylang qui est exportée dans le monde chaque année. Avec ses 7 tonnes exportées en 2008, "Mayotte a besoin de mettre en avant la qualité, le haut de gamme, le label écologique pour se démarquer", affirme ce fin connaisseur du marché mondial.

Les labels produit bio et agriculture durable permettraient de vendre l'essence beaucoup plus cher et aideraient donc à viabiliser la filière dans laquelle certains jeunes commencent à se lancer. Cela nécessite une décision des pouvoirs publics qui peuvent investir là comme ils l'ont fait pour l'aquaculture, en finançant une structure à même de relancer ce secteur. Chargée d'études, de la collecte et de la diffusion d'informations aux producteurs, de coordonner les aides potentielles et relayer leurs besoins, cette structure pourrait être installée dans les locaux agricoles du CG à Coconi, non loin des producteurs de Ouangani et Combani.

Le "problème" de la cueillette, souvent mis en avant avec le recours aux clandestins, pourrait être résolu avec le statut de saisonniers et la mutualisation des besoins de main-d'œuvre des producteurs, ce qui offrirait du travail à des personnes sans qualification particulière qui représentent une masse importante de demandeurs d'emplois.

 

Le système de chauffe à pétrole rendrait la filière plus rentable

 

"Le problème est que la fabrication de l'essence ici coûte plus cher qu'à Anjouan ou Madagascar. Il faut que les pouvoirs publics structurent la filière et l'aident sérieusement pour en augmenter la qualité et la vendre plus cher, et donc rester compétitif. Ca sera simplement un produit touristique sinon." Pour qu'il y ait un label écologique par exemple, il faudrait reboiser les zones de déforestation engendrées par la chauffe au bois. "Cela demande une prise de conscience des autorités qui doivent prendre en main la filière et lui donner des financements".

Il y a une dizaine d'années, M Oheix avait importé un système de chauffe à pétrole sous pression, manuel, de type Pétromax, qui en plus d'être plus rapide (14 h de "cuite" contre 20 à 24 h pour la chauffe au bois) est beaucoup moins fatigant, permettait d'obtenir davantage d'essence extra et première grâce à une température très régulière, contrairement au bois encore actuellement utilisé. Cette initiative n'a pas obtenu à l'époque le soutien des pouvoirs publics, malgré tous les avantages que cela aurait apporté en termes de coûts financiers mais aussi écologiques, avec des milliers de mètres cubes de bois qui auraient été épargnés.

Pour augmenter la qualité, il faudrait mieux connaître l'arbre, la fleur, développer de nouveaux procédés et importer du matériel, par exemple pour maintenir l'essence stockée à basse température afin qu'elle conserve toutes ses propriétés. Et il faut faire vite, car si les pieds d'ylang ne sont plus entretenus, ils continuent de pousser et finissent coupés, remplacés par du manioc ou des bananes. Aziz Sam préconise dans ce sens une étude scientifique sur l'ylang, l'arbre, sa fleur et son essence, car les connaissances en ce domaine sont assez restreintes.

 

Diversifier les essences en prenant l'ylang comme "locomotive"

 

En créant des liens avec les professionnels, des techniciens et des ingénieurs de la Daf ou du Cirad pourraient venir conseiller les producteurs. "Il est vital que les autorités fassent quelque chose pour l'ylang, en baissant les charges sociales, en soutenant la filière et en autorisant des permis de construire sur les exploitations", explique M. Sam. De plus, "l'ylang représente un grand atout pour le tourisme : beaucoup de gens sont très intéressés par la visite des plantations et la distillation".

Outre la modernisation du matériel ou les aides indispensables pour relancer la filière, les producteurs pourraient également diversifier leur production : "On pourrait aussi distiller d'autres choses comme le poivre, le gingembre, la citronnelle, le combava ou la cannelle, pour le marché local ou régional, grâce à la "locomotive" qu'est l'ylang", préconise Nicolas de Barry. "Il faut que l'île se réapproprie son nom d'île aux parfums. Les bonnes volontés ne manquent pas, il ne faut pas les décourager".

 

Julien Perrot

 


 

Nicolas de Barry, personnage atypique de la parfumerie de luxe

Nicolas de Barry est un personnage atypique dans le monde très fermé de la parfumerie de luxe. Sociologue et politologue de formation, il a reçu un prix d’Histoire de l’Académie Française, a publié une quinzaine d’ouvrages, dont un roman et une pièce de théâtre, et exercé des fonctions diplomatiques, avant de se lancer dans la parfumerie en 1992.

Sa vocation est née de ses rencontres avec Edmond Roudnitska, le génial créateur de Diorissimo ou Eau Sauvage, Françoise Marin, longtemps directrice de l’Ecole de Parfumerie de Givaudan-Roure à Grasse et Rodrigue Romani. Nicolas de Barry aime à leur rendre hommage : "la parfumerie est un artisanat d’art. On apprend par le contact avec des maîtres. Je me situe dans une tradition, dans une continuité".

Après une première carrière au Brésil où il a créé des parfums personnalisés pour des stars de la haute société, il a acquis en France le Château de Frileuse, près de Blois (Val-de-Loire), où il a installé un "Atelier de Parfums" et un "Jardin des Senteurs". Il y crée des parfums et reçoit ses clients, comme la comtesse de Paris pour laquelle il a composé un parfum sur mesure. Il organise aussi des workshops et des master class dans son château et dans le monde entier. Auteur de plusieurs livres sur la parfumerie, il est également secrétaire général du Prix international du Parfum qu’il a fondé en 2000.

Comme parfumeur, il a créé en 2003 une collection intitulée "Les Parfums Historiques" et a reconstitué, avec une grande fidélité, les parfums de George Sand, de Marguerite de Valois (la Reine Margot), de Louis XV et de la Marquise de Pompadour. Très attaché aux matières premières naturelles, soucieux de se fournir dans le monde entier aux meilleures sources, Nicolas de Barry propose désormais une série de parfums 100% naturels autour des plus rares et précieuses essences comme le bois d’aloès, la rose de Grasse ou celle de Crimée, le lotus bleu de Thaïlande… et l'ylang-ylang de Mayotte.

 

Production et utilisation

La distillation des fleurs d’ylang-ylang a été lancée à Manille aux Philippines vers 1860, par un marin du nom d'Albert Schwenger qui séduit par l’odeur des fleurs, aurait parcouru la campagne avec un alambic pour récolter et distiller de petites quantités de fleurs. Peu de temps après, la culture de l'ylang- ylang sera entreprise à grande échelle par les planteurs des possessions françaises de l’océan indien pour le compte des parfumeurs français. En 1909, on rapporte qu’il y avait 200.000 arbres à ylang-ylang cultivés à la Réunion, mais leur culture fut ensuite abandonnée en raison de la fréquence des cyclones. Une production commerciale à grande échelle s’est par la suite développée à Nosy-Bé (Madagascar) et dans les îles des Comores. Actuellement la production se fait pour l’essentiel dans les Comores, Anjouan et Mayotte. Avec 50 à 70 tonnes d’essence, les Comores tiennent le rang de premier producteur mondial. La production malgache se situe dans une fourchette de 15 à 20 tonnes par an.

L'ylang-ylang constitue la principale culture de rente de Mayotte, dont il représente l'essentiel des exportations, consolidé récemment par l'aquaculture. Celles-ci se sont élevées à environ 14,3 tonnes d’essence en 1997 sur une production mondiale de 100 tonnes d’essence. La production d’ylang-ylang était alors réalisée par 380 producteurs sur une superficie de 500 hectares environ (204.000 pieds). Chaque arbre peut produire 3 à 4 kg de fleurs par récolte.

La distillation de la fleur fraiche d'ylang-ylang se fait à l’eau dans des alambics qui permettent d'extraire une huile essentielle en plusieurs fractions. La distillation dure près de 20 heures, les meilleures fractions étant recueillies dans les deux premières heures. Le produit des différentes distillations se distingue suivant la densité de l'essence : extra s, extra, première, deuxième et troisième. Les fractions extra supérieure et extra normale, ainsi que première sont destinées à la parfumerie de luxe, les deuxième et troisième étant destinées aux cosmétiques, aux savons et aux détergents.

Un hectare produit entre 900 et 1 500 kg de fleurs, correspondant à une fabrication de 18 à 30 kg d'essence par an. Il faut compter donc environ 100 kg de fleurs pour faire 2 kg d'essence. L’essence d’ylang-ylang est destinée à la préparation des certains parfums de luxe, de produits cosmétiques et de produits destinés à l’aromathérapie.

Cet arôme a été rendu célèbre en 1926 par Coco Chanel avec le parfum "Bois des Iles", puis 1938 par Patou avec "Joy". Il rentre aujourd'hui dans les notes de base de nombreux parfums.

 

Des usages multiples

On prête à l'essence d'ylang de multiples propriétés : ce serait un excellent régulateur du système cardiaque. Tonifiant ovarien et testiculaire, il constituerait un aphrodisiaque de choix. On l'apprécie aussi pour ses qualités d'antidépresseur, de sédatif, d'antiseptique pour les voies intestinales et son influence bénéfique sur les problèmes de circulation sanguine.

L'essence d'ylang-ylang est donc indiquée aux personnes souffrant de tension artérielle élevée, de gastro-entérite, de nervosité (dépression, insomnie, excitabilité, essoufflement dû à l'anxiété), ou de frigidité. Véritable solution miracle, elle combattrait aussi très efficacement les peaux grasses et embellirait les chevelures.

En Asie du sud est, l'huile d'ylang-ylang sert à aromatiser les bonbons, les glaces, les boissons et le chewing-gum. Comme additif alimentaire, elle ne présente pas de risque pour la santé aux doses recommandées.

Les armoiries de Mayotte, adoptées en 1982, comprennent deux fleurs d'ylang-ylang sur l'écu central. Cette fleur fait partie du patrimoine de Mayotte, a participé à lui donner son nom d'"île aux parfums" et pourrait constituer une belle image et une source d'emplois pour son avenir, à condition de réussir à relancer sérieusement la filière.

Avec Wikipédia

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