15/05/2009 – Marcel Séjour, Le peintre autodidacte

 

{xtypo_dropcap}D{/xtypo_dropcap}ans la rue Babou Salama de Cavani, derrière un portail bleu ciel qui nous mène dans un couloir extérieur où jouent des enfants, une pancarte "Marcel" joliment peinte nous montre le chemin de l'atelier. Un fouillis organisé, comme on en voit souvent chez les artistes, où trônent des toiles entourées d'ustensiles et de tubes de peinture. Après un petit tour du propriétaire, l'artiste nous accueille torse nu à son bureau, jonché de journaux, de livres philosophiques et d'un bric-à-brac divers. A un moment de sa vie, Marcel Séjour s'était vu écrivain…

Personnage atypique dans l'univers mahorais, Marcel Séjour est installé à Mayotte depuis 1993. Il a commencé à peindre en 1980, quand il vivait en Australie, mais cela ne fait que deux ans qu'il parvient à vivre de son art. "C'est très long quand on ne passe pas par le circuit des galeries", explique ce peintre autodidacte issu d'un milieu ouvrier, que rien ne destinait a priori à une carrière artistique : "Quand j'étais collégien je dessinais beaucoup, mais mon père me disait : tu n'as rien de mieux à faire ?".

Diplômé de l'Ecole de commerce de Nantes, il est parti à Melbourne et sa région pour "être loin de mes parents, surtout de ma mère, pour qu'ils ne puissent plus débarquer chez moi à l'improviste. A l'époque le voyage était gratuit, à condition de rester deux ans sur place. Je me voyais rentrer en jeune cadre dynamique". Finalement, Marcel a pris goût pour sa vie là-bas, où il a été cuisinier pendant une dizaine d'années et a vécu de "bâtons de chaise".

 

"J'ai appris mon métier par petits bouts"

 

"La peinture me plaisait plus que l'écriture car elle amène à des angoisses plus supportables", constate cet intellectuel tourmenté qui a sans cesse cherché à donner plus de sens à sa vie au travers de ses activités créatrices. Son premier dessin est un autoportrait au crayon de bois : "A l'époque, je travaillais encore assis", nous confie-t-il. "J'avais un ami qui dessinait très bien et je m'en croyais incapable. Mais avec une gomme, je peux effacer…". Il a réalisé son premier tableau à 32 ans, à partir d'une photo de pigeons. Il a ensuite commencé à passer ses soirées et ses après-midi à peindre et dessiner.

Marcel ne travaille qu'au fusain et à peinture à l'huile, car "l'acrylique et l'aquarelle sèchent trop vite, on ne peut plus rien modifier ensuite". Son travail est avant tout centré sur les personnages et il n'a toujours été que dans la peinture figurative : "Je ne suis pas capable de savoir si c'est bon quand je fais de l'abstrait et ce n'est pas une question qu'un artiste doit se poser". Il a aussi toujours privilégié le figuratif car c'est ce qui plaît aux gens et qu'il a très vite rêvé d'en faire son métier. "J'ai réagi comme un fils d'ouvrier : il faut d'abord faire son boulot correctement, et ne pas "se lâcher" comme disent les profs d'arts plastiques. J'ai appris mon métier par petits bouts".

En 1979, il a passé 14 mois de vacances en Afrique, dont 6 mois au Kenya où il a écrit son premier livre. C'est là qu'est né son goût pour les peaux noires : "Visuellement, la peau noire me plaît". Après 15 années passées en Australie où il finit en plein "bush", à 8 km du premier voisin, à boire du porto, Marcel décide de revenir en Métropole en 1987 où il passe une licence d'anglais et le Capes dans la foulée. Attiré par "les primes faramineuses" proposées aux enseignants, il décide de partir pour Mayotte où il devient professeur d'anglais au collège de Dzoumogné pendant 4 ans.

 

Vermeer et Rembrandt, ses deux guides

 

Un cancer du larynx va non seulement le faire arrêter de fumer, mais va aussi lui permettre de prendre des congés maladie et sabbatiques pour parfaire son apprentissage de la peinture. A l'époque, il produisait environ 10 tableaux par an, contre 30 à 50 aujourd'hui. Des scènes de la vie quotidienne, avec son exubérance de couleurs vives et criardes, ou des natures mortes. Ses guides sont Vermeer et Rembrandt, deux célèbres peintres du XVIIe siècle.

Il lui aura fallu plus d'une dizaine d'années pour savoir comment obtenir le meilleur mélange de couleurs : "Les deux choses les plus importantes sont quoi mélanger avec quoi et dans quel ordre le faire", nous révèle l'artiste, "ça change pratiquement à chaque tableau, c'est une affaire d'expérience. Il faut savoir où appuyer, où regarder. Ingres disait qu'il n'y a rien en peinture qui ne puisse s'apprendre en une semaine. Mais il ne faut pas confondre "apprendre" et "maîtriser", car là il faut 10 ou 15 ans".

L'année dernière, Marcel a vendu au CHM et à la mairie de Mamoudzou de grands tableaux de 2,50 mètres de large exposés au public. Il travaille rarement sur commandes : ses clients viennent le voir à son atelier et réservent souvent des tableaux qui ne sont pas finis. Six élèves viennent également une fois par semaine pour apprendre du "maître".

Pour Marcel, "l'art n'est pas toujours un message, c'est d'abord pour faire joli et pour avoir envie de le garder. Quand on se donne la peine de construire quelque chose, l'important c'est la conservation de son travail, car c'est ce qui va faire son œuvre pour la postérité".

 

Julien Perrot


Marcel Séjour expose avec Conflit jusqu'au 22 mai au Bang'Arts

Le Bang'Arts du service culturel accueille du 11 au 22 mai une exposition de peintures de Marcel Séjour et de sculptures et tressages de Conflit (retrouvez son portrait la semaine prochaine). Aux côtés des 10 panneaux d'une autre exposition qu'il prépare pour la galerie de Jumbo Score à partir du 21 juin, le peintre propose une exposition explicative qui retrace, séquence par séquence, le processus de production d'un tableau, du premier dessin au tableau final, en passant par l'ébauche et la première couche de peinture.

Lundi dernier, le vernissage de l'exposition a connu un franc succès qui prouve la demande du public pour ce genre de manifestation. Autrefois un débarras, le Bang'Arts, seul véritable lieu d'exposition d'œuvres visuelles à Mayotte, est sorti de la tête d'Ali Ben Aboutoihi, le nouveau responsable du département des arts visuels au service culturel depuis janvier, qui a passé 18 années en tant que chargé de l'audiovisuel et du matériel artistique à l'école des Beaux-arts de Marseille. "Il fallait un espace pour que les artistes montrent leur travail. Le service culturel est là pour les aider". Après 20 jours de travaux pour habiller les murs et refaire les plafonds, le Bang'Arts a été inauguré le 6 mars dernier, pour l'ouverture de la première saison du service culturel. La première exposition avait comme thème "Mayotte de 1841 à nos jours" avec des photos de Boina Mohamed, de Johnny Chadouli et des peintures de Papajan et Baba. Et dire que cet espace était censé être démoli…

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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