{xtypo_dropcap}L{/xtypo_dropcap}a mangrove est un écosystème unique. Elle protège la terre de la mer et, en amortissant les effets des vagues et de la marée, elle protège ainsi les côtes de l'érosion marine. Elle protège également la mer de la terre en filtrant les apports solides et liquides en direction du lagon. Elle piège ainsi une partie des sédiments résultant de l'érosion des versants et de nombreux déchets. La mangrove est enfin un lieu de vie privilégié pour un grand nombre d'espèces marines et d'oiseaux servant notamment de nurserie pour les jeunes poissons.

Moins connue, sa capacité bioépuratrice pourrait permettre d'effectuer une "bioremédiation" des eaux usées domestiques. C’est avec cet objectif que le Sieam, en collaboration avec le CNRS, a décidé de mener un projet de recherches destiné à trouver des solutions alternatives adaptées au contexte local pour l'épuration des eaux usées, caractérisé par une forte densité de population, une urbanisation rapide et un milieu naturel fragile. Le problème des rejets des stations d’épuration se pose notamment à cause des dysfonctionnements importants des 120 "mini-stations" construites dans le cadre de lotissements, d'opérations de résorption de l'habitat insalubre ou de bâtiments scolaires en mauvais état.

 

Un coût de fonctionnement moitié moins important que le traitement classique

 

Station d'épuration expérimentale de MalamaniLa station expérimentale de Malamani a été mise en route en avril 2008. Un décanteur digesteur effectue un traitement primaire permettant un abattement de l’ordre de 60% de la pollution organique et de 30% de la pollution minérale (azote et phosphore). Les effluents ainsi traités sont envoyés dans la mangrove pour y subir un traitement complémentaire.

Il s'agit bien sûr de traiter uniquement les rejets d’eaux usées d’origine domestique et non pas industrielle, chargés en métaux lourds ou en résidus de pesticides et d’hydrocarbures. Ce rejet se fait uniquement à marée basse à raison d’un rejet journalier. Un travail de thèse a été associé à ce projet de recherche effectué par Mélanie Herteman depuis maintenant 3 ans, qui doit la soutenir en juin 2010 (voir interview).

Ce type de station nécessite un investissement relativement faible et une exploitation simple, permettant ainsi une meilleure fiabilité environnementale. Son coût de fonctionnement est estimé à environ la moitié de celui d'une station d'épuration classique type "biodisque", à capacité équivalente. Un suivi régulier du système à ses différents niveaux – de la collecte des eaux à leur rejet en mangrove en passant par le traitement primaire en décanteur – reste cependant indispensable.

Mais l'intérêt se situe surtout au niveau du rejet des effluents de stations d’épuration. En effet, les rejets de stations d’épuration sont très compliqués à Mayotte du fait des faibles débits des rivières, du manque de foncier permettant une éventuelle infiltration et de la fragilité du milieu naturel. Pour la plupart des cas, le seul rejet envisageable est la création d’un émissaire marin (conduite sous-marine) permettant d’aller rejeter les effluents dans des zones à fortes courantologies permettant une dilution des effluents, mais le coût de ce type d’ouvrages est extrêmement important (de l’ordre de 3.000 € par mètre), comme c'est le cas pour la station d’épuration du Baobab à Mamoudzou.

 

La croissance des arbres de mangrove paraît favorisée par l’apport d’eaux usées

 

Station d'épuration expérimentale de MalamaniLes canalisations qui acheminent les eaux usées vers la mangrove sont aériennes, fixées sur des pieux en bois pour ne pas être immergées par les marées. En moyenne, 40 m³ d'eaux usées par jour ont ainsi été rejetés depuis avril 2008 sur 3 parcelles (voir encadré). Financé par les ministères de l'Outremer et de l'Ecologie, ce dispositif est complété par un suivi et des mesures pendant 3 ans sur les végétaux, les populations de crabes, la qualité des eaux et des sédiments.

Ce suivi est assuré par le CNRS via la thèse de Mélanie Herteman et a été complété par les campagnes de mesures en 2009 par le bureau d'études Pareto dans la baie de Bouéni pour relever les indicateurs de biodiversité, des sédiments et de l'eau et par l’Arvam (Agence pour la recherche et la valorisation marine, basée à la Réunion) pour effectuer le suivi de la qualité physico-chimique et bactériologique du site expérimental.

Après un an et demi de rejets, les premiers résultats de l'étude indiquent qu'il n'y a pas de différence dans la répartition et l'activité des crabes, ces "ingénieurs" de la mangrove, acteurs essentiels de son fonctionnement (voir encadré). En ce qui concerne la végétation, un verdissement intense des feuilles de palétuviers a été constaté, traduisant une activité photosynthétique accrue et une augmentation de la concentration en chlorophylle.

La croissance des arbres de mangrove paraît ainsi favorisée par l’apport d’eaux usées, qu’ils absorbent au moins en partie. L’analyse des composés azotés confirme cette absorption, différente cependant selon les compartiments (eau, sédiment, végétation) et la nature de ces composés (ammonium, nitrate).

 

"Une solution potentiellement intéressante pour Mayotte mais qui reste limitée"

 

"Il reste à prouver que l’ensemble de la pollution est éliminé par la mangrove, qu'il n'y a pas d'impact sur la baie de Bouéni et que l'écosystème de la mangrove ne sera pas modifié à terme", précise Christophe Riegel, chef de projet qui suit l'expérimentation pour le compte du Sieam depuis avril 2008.

"A ce jour, l'impact semble être positif sur la végétation et sans effet sur les crabes, qui jouent un rôle clef dans l'équilibre de la mangrove, mais qu'en sera-t-il à plus long terme et quel sera aussi le devenir du phosphore ?", s'interroge Mélanie Herteman. "Les études et les expérimentations doivent être poursuivies afin de répondre à ces grandes questions. Il faut être sûr qu'à plus long terme, le fonctionnement général de cet écosystème de mangrove ne sera pas modifié."

"C’est une solution potentiellement intéressante pour Mayotte, mais qui reste cependant limitée car elle ne peut être appliquée qu'aux zones disposant de mangroves et elle ne permet pas a priori une application à grande échelle. Il s'agit donc d'un bon procédé pour assainir les villages, en complément des stations d'épuration classiques", résume Christophe Riegel. De plus, ce procédé concerne uniquement le traitement des rejets domestiques car les rejets industriels détruiraient tout l'écosystème.

 

Une première mondiale en étude pendant encore un an et demi

 

La station expérimentale a d'ores et déjà eu de nombreux échos favorables, notamment lors du Grenelle de la Mer et dans d’autres territoires ultramarins possédant de la mangrove, qui observent le projet-pilote de Malamani avec attention. Des expérimentations de ce type ont également eu lieu au Japon, au Bangladesh, en Floride, à Hong-Kong et en Australie, mais sans station d'épuration fonctionnelle. C'est donc une première mondiale.

La station de Malamani et sa mangrove devraient continuer à faire l'objet d'un suivi pendant encore un an et demi pour s'assurer de son efficacité, avant de passer peut-être à une phase opérationnelle. Une AOT (Autorisation d'occupation temporaire) a été concédée par le Conservatoire du littoral dans ce sens jusqu'en septembre 2011. "Ce n'est qu’au terme de cette période que des conclusions définitives pourront être tirées de cette expérimentation et que l'on pourra envisager – ou non – de développer ce procédé à Mayotte, voire ailleurs", explique Francois Fromard.

"Parmi les travaux scientifiques restant à développer d'ici-là, il faut renouveler les observations sur les populations de crabes et les analyses sur la végétation, afin de suivre leur évolution sur une plus longue période de rejets. Les bilans azotés et phosphorés doivent encore être précisés à différents niveaux de l'écosystème et des bilans bactériologiques doivent également être renouvelés", tient à souligner le scientifique. "Il est certain aussi qu'un tel procédé ne peut s'appliquer que dans des conditions strictement contrôlées, et dans certaines conditions environnementales".

 

Julien Perrot

 


 

EcoLab, un laboratoire qui étudie les relations entre les communautés et les écosystèmes

EcoLab, laboratoire d’écologie fonctionnelle, est une unité mixte de recherches du CNRS, de l’Université Paul Sabatier-Toulouse III et de l'Institut national polytechnique de Toulouse. Le laboratoire est rattaché aujourd'hui au nouvel Institut national écologie et environnement du CNRS (INEE).

Sa vocation est l'étude combinée du fonctionnement des communautés et des écosystèmes et de leurs interrelations. Ainsi, le rôle de la biodiversité dans les fonctions des écosystèmes, l'influence des régimes de perturbations sur la biodiversité, la dynamique et l'effet des polluants ou encore la bioremédiation et la restauration des milieux naturels constituent des thèmes majeurs du laboratoire.

EcoLab est formé de 7 équipes de recherche organisées en 2 départements et d’un service d’appui à la recherche. Le laboratoire comprend 17 chercheurs CNRS, 33 enseignants-chercheurs, 29 personnels de soutien à la recherche, une quarantaine d'étudiants doctorants, post-doctorants et contractuels et une trentaine d'étudiants stagiaires.

La mangrove est un des modèles d'étude privilégiés par EcoLab. Cet écosystème y est étudié dans le cadre de recherches à approche plutôt fondamentale, en Guyane notamment, et de programmes finalisés relevant du domaine de l'ingénierie écologique. C'est dans ce dernier cadre que s'insère le projet "Mangrove et bioremédiation" à Mayotte.

 

 

Les crabes, "ingénieurs" de la mangroveLes crabes, "ingénieurs" de la mangrove

Les populations de crabes jouent un rôle capital dans la structure et le fonctionnement global d’une mangrove. Ce sont de véritables espèces d'ingénieurs au sein de cet écosystème particulier. Grace à leur activité de "bioturbation", la micro-topographie du substrat et la structure des sédiments sont modifiées de manière importante.

Dans la mangrove, milieu saturé en eau et souvent peu perméable, le réseau interconnecté de leurs galeries permet l'infiltration des écoulements de surface en profondeur. Ce réseau facilite aussi le mélange entre eau douce et eau de mer, favorise le drainage des racines de palétuviers et permet l'enfouissement des feuilles de la litière et l'enrichissement des sédiments en matière organique.

C'est ainsi que les crabes interviennent dans les mécanismes d'échanges entre les compartiments eau, sédiment et végétation de la mangrove, au niveau des cycles du carbone et de l’azote, de l'oxygénation du sol, et de la circulation des eaux de nappe et de marée.

13 espèces de crabes ont été recensées sur le site d’étude de Malamani, dont 9 sont réparties sur les faciès de mangrove dominés par les palétuviers Rhizophora mucronata et Ceriops tagal. Elles appartiennent aux familles Grapsidae et Ocypodidae. Ces déterminations ont été réalisées avec la collaboration de Jean-Marie Bouchard, un carcinologue basé à Mayotte.

 

 

40 m³ d'eaux usées rejetées par jour depuis avril 2008

Sur le terrain du site expérimental de Malamani, 4 parcelles test (2 impactées et 2 témoins) et une 5ème pour éliminer le surplus, ont été délimitées. Les eaux usées sont rejetées toutes les 2 marées basses sur les 2 parcelles impactées (tuyaux percés tous les 2 mètres, organisés en 3 rampes). Les volumes et les débits sont régulés en amont par un automate programmable. Le dispositif est paramétré pour traiter 40 m³/jour d’eaux usées. Cela correspond au rejet des 400 habitants du lotissement, soit 100 litre/jour/habitant.

En saison sèche, il n'y a que 20 m³/jour de rejets, car il n'y a pas d'infiltrations d'eaux claires parasites et d'eaux pluviales dans les canalisations d'eaux usées du réseau. Les rejets peuvent en revanche atteindre 60, voire 80 m³/jour en saison des pluies, d'où une parcelle de plus pour éliminer le surplus. En pratique, 10 m³/jour sont reçus sur chacune des 2 parcelles impactées. L’analyse de l’état zéro du système (végétation, eau, sédiment, crabes) a été réalisée en 2007-2008. Les rejets dans les parcelles sont opérationnels depuis avril 2008.

Dans chacune des parcelles sont installés des dispositifs d’observation et de mesures : quadrats d’analyse de structure de la végétation, collecteurs de litière pour le suivi de la productivité, étiquetage des jeunes plantules (suivi de régénération), placettes de comptage de crabes et terriers, etc. Un réseau de 25 piézomètres (tubes de 2 mètres enfouis dans le sédiment), dont 2 équipés de sonde automatique, complète ce dispositif afin de caractériser l’hydrologie (hauteur de nappe, conductivité/salinité, température).

 

 

Trois questions à Mélanie Herteman, doctorante àen écologie à EcoLab

Trois questions à Mélanie Herteman, doctorante en écologie à EcoLab

"Nous ne pouvons pas encore affirmer un pouvoir épuratoire de la mangrove"

Soutenue par à une bourse Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche), Mélanie Herteman est doctorante-ingénieur au sein du laboratoire EcoLab au CNRS de Toulouse et au Sieam. Sa thèse, qui a débuté en septembre 2006, sera soutenue en juin 2010 à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. L’ensemble des résultats seront ensuite présentés à Mayotte.

Apres des études de biologie, elle s'est spécialisée en écologie tropicale. Particulièrement intéressée par les mangroves, elle s’est consacrée à leur étude, en commençant d'abord par une mission scientifique en Guyane dans le cadre de son DEA. Arrivée à Mayotte il y a 3 ans, son travail quotidien de terrain en mangrove a laissé la place à l'analyse et la synthèse des résultats depuis en juillet 2009 où elle est retournée en Métropole. Accompagnée par les chercheurs Francois Fromard et Luc Lambs, elle est revenue sur l'île en octobre 2009 pour une autre mission scientifique.

 

Mayotte Hebdo : Comment la mangrove parvient-elle à assainir les eaux usées domestiques ?

Mélanie Herteman : La question n’est pas encore "comment… ?" mais plutôt "est-ce que… ?". Nous ne pouvons pas encore affirmer aussi clairement un pouvoir épuratoire de la mangrove. Nous sommes encore en pleine phase expérimentale, même si les premiers résultats commencent à tomber. Une expérimentation comme celle-ci en milieu naturel ne fonctionne pas comme une expérience sur paillasse en laboratoire. Il faut du temps pour pouvoir comparer les différentes saisons et se rendre compte d'un effet à long terme.

 

MH : En quoi consiste le processus de nitrification-dénitrification de l'azote ?

MH : La nitrification est un processus naturel contrôlé par l'action de certains micro-organismes spécifiques du sédiment, qui conduit à la transformation de l'ammoniac NH4+ en nitrate NO3- (avec passage par les nitrites).

La dénitrification est aussi un processus biologique qui s'opère dans les sols hypoxiques ou anoxiques (peu ou pas d'oxygène) comme les sédiments de mangrove, sous l'action de bactéries spécifiques satisfaisant leur besoin en oxygène par une désoxygénation des ions nitrate. En effet, le dioxygène O2 se diffuse peu dans les sédiments, d'autant plus qu'ils sont gorgés d'eau. Par conséquent, les bactéries qui se trouvent dans ces types de sols manquent de dioxygène, notamment quand l'eau a comblé tous les espaces lacunaires du sol contenant auparavant de l'air.

C'est alors que les bactéries dénitrifiantes opèrent la dénitrification. Elles vont puiser, dans les molécules de nitrates, l'oxygène dont elles ont besoin. Elles vont ainsi réduire l'ion nitrate NO3-, soluble et facilement absorbable par les végétaux, en ion nitrite NO2, puis en monoxyde d'azote NO, après en N2O (oxyde nitreux) et enfin en diazote N2, qui se volatilisera dans l’atmosphère. Cette réaction est très importante en écologie, en agriculture et dans le domaine du traitement des eaux usées.

 

MH : Quel est l'avenir de la station expérimentale de Malamani ?

MH : Cette station pilote est expérimentale. Elle fonctionnera encore au minimum un an et demi, puisque la durée de l'AOT accordée par le Conservatoire du littoral s'étend jusqu'en septembre 2011, période durant laquelle les suivis de terrain et des expériences complémentaires doivent être faits. Après seulement, une suite peut être envisagée : si ce système s'avère être sans impact négatif pour l'écosystème mangrove et lagonaire, alors une réflexion sur l’amélioration ou la modification de la réglementation en vigueur (rejet dans la mangrove interdit par l’arrêté du 22 juin 2007) est à entamer pour permettre éventuellement l'utilisation de ce système de traitement des eaux usées domestiques.

Par contre, dans le cas contraire, si les résultats ne sont pas concluants, que le moindre dérèglement de fonctionnement (végétaux, bactériens, faunistique ou hydrologique) est constaté, alors il faudra travailler sur l'amélioration du système en amont pour développer par la suite ce système de traitement des eaux usées, ou renoncer à ce procédé.