14/08/2009 – Rencontre : Mohamed Boina

 

 

{xtypo_dropcap}J{/xtypo_dropcap}e suis né au début du siècle dernier, dans un village qui s’appelait Pamandzi Kély. C’était l’un des trois villages de Petite Terre. Il se trouvait sur la presqu’île à coté de Labattoir. Il y avait aussi le village de Foungoujou, à coté de Dzaoudzi, celui de Pamandzi bé, actuel Pamandzi. Dzaoudzi était un fort. En ce temps là, quasiment tous les "wazungu" habitaient là. A l’exception de quelques planteurs en Grande Terre, comme les Marots de Hajangua, les blancs étaient à Dzaoudzi.

C’est aussi à cet endroit que se trouvaient tous les bureaux de l’administration. Mon père y travaillait. Il y avait un blanc du nom de Canoville qui avait une entreprise de transports maritimes… Transport de personnes depuis la Métropole ou de la région, de biens, mais aussi de courrier : "les messageries". Mon père travaillait justement là. Il était chargé de récupérer le courrier qui arrivait par bateau et de le redistribuer.

Nous vivions dans des maisons faites avec de la paille. Dans le village, seuls les notables avaient des maisons en dur. A l’époque notre principale ressource venait de la culture de nos champs. Nous mangions notre production : des bananes, du riz cultivé dans les champs ou en provenance d’Afrique. Et du poisson. Nous avions rarement de la viande, sauf pour les grandes occasions, quand un zébu était sacrifié.

J’avais un champ en Grande Terre, à Bandrélé. Je prenais ma pirogue pour y aller. On n’allait pas souvent en Grande Terre, sauf au moment des récoltes, quand la famille nous demandait d’aller l’aider. Comme il n’y avait pas de routes, on allait d’un bout à l’autre de l’île en passant par des petits chemins. De Mamoudzou à Mtsamboro par exemple, il fallait une journée de marche. On préparait généralement du bata bata (bananes bouillies) pour le repas qu’on prenait sur le trajet.

 

"Notre village était relié au reste de l’ile par un petit chemin qui était régulièrement recouvert à marée haute"

 

Il y avait un port à Mroniumbéni, là où se trouve le Faré. Les boutres régionaux et les bateaux y accostaient. Le système de la barge existait déjà, mais avec un boutre : on l’appelait "Le passager". C'était un service de l’Etat qui permettait à tous ceux qui travaillaient à Dzaoudzi de rejoindre leurs bureaux. A l’époque, la traversée ne coûtait que dix centimes anciens.

Le village de Labattoir est issu du déplacement de deux villages. Le notre et celui de Foungoujou ravagé par les flammes. Nos maisons étaient principalement faites de paille. Un jour, une bande de jeunes a fait un voulé et une poule a pris feu. En s’envolant, elle a embrasé plusieurs toits, c’est ainsi que le sinistre s’est déclaré et la population est partie s’installer à Labattoir. Notre village était relié au reste de l’île par un petit chemin qui était régulièrement recouvert à marée haute.

On était alors obligé de circuler en pirogue. Une situation qui a provoqué plusieurs noyades. Un jour un vieil homme est parti acheter du pétrole à Foungoujou. C’est là que les Indiens avaient leurs commerces. En revenant il s’est fait surprendre par la marée et il s’est noyé. Je me rappelle quand on a retrouvé le corps, il avait toujours sa bouteille de pétrole à la main. Après cet accident et un autre dans lequel une jeune mariée s’est noyée, les autorités nous ont obligés à partir nous installer à l’endroit de l’actuel Labattoir. C’était en 1920.

 

"Nos instituteurs venaient nous faire classe… puis ils retournaient dans leurs cellules de prison"

 

Le système scolaire était très sommaire. Il n’y avait que quelques classes de primaire, toujours à Dzaoudzi. Les professeurs d’école étaient Malgaches. Après avoir rencontré des problèmes avec les autorités de leur île, Ils avaient été envoyés à Mayotte pour subir une peine de prison. Ils venaient nous faire classe en guise de travaux forcé, puis ils retournaient dans leurs cellules. Je me rappelle toujours du nom de mon maître; il s’appelait M. Ramarimissi.

Pour passer au cycle supérieur, qui équivaut au niveau collège, il fallait passer un examen. Les admis allaient poursuivre leur scolarité sur l’ile d’Anjouan, à l’école régionale de Mutsamudu. Le cursus supérieur se faisait à Tananarive. C’est là-bas que tous les fonctionnaires locaux des Comores allaient se former avant de revenir travailler.

Mon père, comme beaucoup de parents mahorais, avait peur d’envoyer ses enfants à l’école. Il craignait qu’ils ne deviennent des blancs, qu’ils se dévergondent et oublient leur religion. Il n’y avait que quelques classes pour toute l’île et les élèves étaient que des garçons, parce que ces réticences étaient encore plus fortes en ce qui concerne les filles. Je donc suis entré à l’école à 15 ans. J’étais déjà trop âgé pour me faire admettre. Normalement, les enfants étaient scolarisés à 8 ans. On a alors dû tricher sur mon âge et ramener ma date de naissance en 1908 pour me faire admettre. C’est la raison pour laquelle la date qui est actuellement mentionnée sur mon acte de naissance m’accorde quatre années de moins…

 

"A mon retour j’ai exercé le métier de tailleur. C’est ce qui m’a permis de subsister jusqu’à maintenant. J’ai aussi été chef de village"

 

J’ai été scolarisé pendant plusieurs années. C’était à une période où il y avait la guerre. Tous les jeunes hommes de plus de 16 ans étaient enrôlés de force après une visite médicale. Beaucoup se portaient volontaires, mais pour les autres aussi c’était obligatoire. Ayant été scolarisé trop tard, je n’avais pas encore fini mes études lorsque j’ai été appelé à la visite médicale. N’ayant pas été prévenu, comme j’avais école au même moment, je n’y suis pas allé, c’est ainsi que je suis passé entre les mailles du filet. Mais j’ai été puni pour cela.

J’ai eu beau m’expliquer, M. Godeau, le chef de district, qui était un homme très sévère m’a fait condamner à 5 jours de prison et une amende équivalent à deux années d’impôts que l’on appelait ici "la tété". À peu près 60 francs anciens. On m’a aussi déscolarisé suite à cette affaire.

Trouvant cela injuste, j’ai décidé de partir aux Comores. Je suis resté là-bas jusqu’en 1931. C’est l’année où je suis revenu pour me marier. A mon retour j’ai exercé le métier de tailleur. C’est ce qui m’a permis de subsister jusqu’à maintenant. J’ai aussi été chef de village. J’étais chargé de surveiller tout ce qui s’y passait pour le compte du chef de canton. C’est lui qui récoltait l’impôt local "la tété" que tout le monde payait sans condition de ressources. Une somme de 30 francs. Ceux qui n’avaient pas les moyens de payer allaient vendre du poisson. A chaque paiement, on recevait un reçu prouvant qu’on était bien en règle, sinon c’était l’amende.

 

"Ceux qui ne disaient rien étaient considérés comme des "serre-la-main""

 

Comme beaucoup de Mahorais qui aspiraient à une vie tranquille, j’ai fait en sorte de ne pas trop m’impliquer dans les troubles qui ont eu lieu entre Mayotte et les Comores. Mais à l’époque ceux qui ne disaient rien étaient considérés comme des "serre-la-main" – des partisans des Comoriens. Un jour que j’étais dans mon champ à Bandrélé, un groupe de "sorodas" venus du village de Mtsamoudou sont venus me tabasser. C’est ainsi qu’ils agissaient avec de nombreuses personnes. Ils leur faisaient aussi subir des humiliations publiques. Après cela on m’a laissé tranquille. Ca ne m’a pas empêché de voter "oui" au département. Mais j’avoue que je me pose des questions. On m’a dit que notre religion était en danger et qu’on n’aurait pas le droit de pratiquer notre foi avec ce nouveau statut. De toute façon je laisse ça aux jeunes, c’est eux qui vont maintenant décider de leur avenir. Moi j’attends de voir.

 

Propos recueillis par Halda Toihiridini

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