Revêtus de leurs robes de cérémonie, les magistrats des deux tribunaux de Mayotte ont fait leur rentrée en grande pompe, devant un parterre d'officiels. Les audiences solennelles ont débuté par celle du TSA, avec le réquisitoire de Marc Brisset-Foucault, procureur général, qui a salué le départ à la retraite en 2008 de Jean-Baptiste Flori, le président du TSA de Mayotte depuis 20 ans. Le procureur général a ensuite rappelé le développement de l'activité judicaire à Mayotte, passée en 20 ans de 3 à bientôt 15 magistrats, avec la nomination le 18 décembre dernier d'Yves Baudoin, venu du parquet d'Avignon, pour présider le TSA en mars prochain.
Le procureur général a ensuite évoqué la récente réforme de la composition du Conseil national de la magistrature (CSM) qui a eu lieu suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : si désormais il y a deux autorités distinctes pour la nomination des magistrats du siège et du parquet, l'unité du corps judiciaire en France n'a pas été remise en cause, a-t-il tenu à rappeler.
M. Brisset-Foucault s'est déclaré favorable à la réforme du juge d'instruction récemment prônée par le Président de la République, avec la création d'un service centralisé à compétence nationale pour effectuer les enquêtes, à condition qu'il y ait des garanties statutaires d'indépendance par rapport au pouvoir politique. Il a tenu à rappeler que seulement 5% des enquêtes sont confiées au juge d'instruction, et que seule une dizaine de dossiers concerne les grandes affaires où sont liés des hommes politiques ou de grands financiers. Pour lui, le système français est "considéré comme généralement dépassé car le juge d'instruction est trop seul".
Corruption, favoritisme, détournements de fonds publics : "des cancers de la démocratie"
Le procureur général s'est félicité de la création au mois d'octobre du GIR (Groupe d'intervention régional) de Mayotte, une structure interministérielle et interdisciplinaire qui permet, entre autres, de mieux lutter contre les trafics de drogue et d'êtres humains. M. Brisset-Foucault a également rappelé qu'outre la lutte contre l'immigration clandestine, la délinquance économique et financière ne doit pas être laissée de côté à Mayotte car la corruption, le favoritisme, les détournements de fonds publics ou les abus de biens sociaux sont des "cancers de la démocratie".
Karine Pontchâteau, la présidente du TSA par intérim, s'est réjouie de l'arrivée prochaine d'un nouveau magistrat à la Crec (Commission de révision de l'état-civil), mais a regretté le nombre insuffisant d'assesseurs titulaires pour assister les magistrats du TSA dans leur travail. Il n'y en a qu'un seul pour l'instant. Elle a également annoncé qu'à partir du mois de mars, la Cour criminelle devrait durer 15 jours, contre une semaine actuellement, 4 fois par an. La vice-présidente a conclu son intervention en soulignant le fait qu'un "gros effort reste à faire concernant le droit des victimes, trop souvent absentes aux audiences".
"Les maux de l'île viennent en grande partie de cette immigration incontrôlée"
L’audience solennelle du TPI a ensuite été ouverte par la présidente Marie-Thérèse Rix-Geay. Le procureur de la République près le TPI, Gilles Rognoni a ensuite prononcé un discours plutôt musclé aux envolées parfois lyriques. S’il s’est réjoui du fait que les mesures alternatives soient préférées à la saisine du tribunal, avec notamment la procédure du "plaider coupable" choisie par 128 personnes en 2008, il a en revanche déploré la "bombinette du 27 mars" en qualifiant les manifestants de "voyous et de passionarias de 1793" et de "pogrom racial" les agressions envers les Wazungu, des termes qui ont choqué certaines personnes dans l’assistance, notamment les avocats.
Après avoir rappelé que la plupart des faits de nature pénale étaient liés à l'immigration clandestine (16.195 infractions sur les 22.676 faits constatés, soit 71%), le procureur a affirmé que "les maux de l'île viennent en grande partie de cette immigration incontrôlée. Un bateau est arrêté, deux rentrent et certains pensent que cela ne sert à rien de lutter contre l’immigration clandestine. Il faut le relever le défi et j’ai bon espoir d’y arriver. Je remercie la police et la gendarmerie pour leur travail sans relâche. Depuis l’application de la loi sur la récidive, des peines pouvant aller jusqu’à 4 ans de prison ferme sont prononcées. Dans le milieu des passeurs, cela commence à se faire savoir et ça fait peur !", a-t-il martelé en soulignant également que l’emploi illégal de travailleurs sans papiers par les Mahorais était un facteur d’attraction pour les immigrants. Reprenant à son compte le slogan "No pasaran !" des Républicains lors de la guerre civile espagnole de 1936-39, le procureur a affirmé que "les kwassas ne passeront pas !"
De plus en plus, les Mahorais sollicitent le juge aux affaires familiales
Marie-Thérèse Rix-Geay, la présidente du TPI, a accentué son discours de rentrée sur les moyens dont disposerait le tribunal pour l’année 2009. En premier lieu, le nouveau magistrat qui viendra renforcer les effectifs de la Crec : "Fixer l’état civil est une étape indispensable", a-t-elle affirmé. De plus en plus, les Mahorais sollicitent le TPI, notamment le juge aux affaires familiales (Jaf) et le juge des enfants. "En 2008, grâce aux diverses actions en collaboration avec l’association Tama, nous avons pu tenir des permanences sociales pour réduire les reconduites à la frontière de parents sans enfants. Avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), nous travaillons pour limiter la récidive des mineurs et grâce au Conseil territorial de l'accès au droit (CTAD) et ses permanences de Mamoudzou et Bandrélé, les Mahorais sont informés de leurs droits, conseillés et orientés selon leurs besoins. L’aide juridictionnelle peut en témoigner", s’est-elle félicitée.
Pour 2009, les gros chantiers à venir sont la refonte de la procédure du droit du travail, le développement de la chambre commerciale, la réforme foncière et les journées d’information sur les enfants en danger dans les établissements scolaires, organisées en partenariat avec le vice-rectorat.
Julien Perrot & Faïd Souhaïli
L’activité du TPI en chiffres
Chambre de la famille (Jaf)
Traite tout le contentieux de la famille, y compris pour les Mahorais de droit local. L’augmentation du contentieux peut s’expliquer en partie par le fait que ce qui était traditionnellement jugé par les cadis est désormais porté devant le Jaf.
En 2006 |
En 2007 |
En 2008 |
|
Divorces prononcés |
148 |
72 |
81 |
Décisions en matière de pension alimentaire, résidence des enfants et droit de visite |
241 |
224 |
311 |
Délégation d’autorité parentale |
268 |
204 |
352 |
Contentieux civil
Jugements en 2007 |
Jugements en 2008 |
|
Contentieux général grande instance |
61 |
64 |
Contentieux financier |
51 |
81 |
Etat des personnes |
299 |
286 |
Juge de l’exécution |
61 |
32 |
Tribunal des affaires de sécurité sociale |
16 |
54 |
Chambre commerciale
Traite des litiges avec un commerçant et des procédures de sauvegarde des entreprises. En 2008, 32 jugements et 138 injonctions de payer ont été rendus. En 2008, la chambre commerciale a été saisie pour :
– 1 procédure d’alerte initiée par le commissaire aux comptes
– 1 ouverture de procédure de sauvegarde
– 13 déclarations de cessation de paiement
– 3 redressements judiciaires
– 13 liquidations judiciaires
Evolution de la délinquance
En 2008, 22.676 faits de nature pénale ont été constatés dont 16.195 infractions à la législation sur les étrangers.
La gendarmerie a traité 3.370 affaires de délinquance générale, la police 2.166 et la Paf 945.
Dossiers confiés au juge d’instruction
– 38 ouvertures d’information pour crimes : 29 viols et viols aggravés, 2 assassinats ou meurtres, 1 violence ayant entraîné la mort, 6 violences aggravées ou homicides involontaires et 15 pour stupéfiants.
– 12 ouvertures d’information pour délits dont 9 stupéfiants, 10 vols avec arme, 2 escroqueries, 3 aides au séjour irrégulier, 2 faux et usage de faux et 15 divers.
NB : la somme des dossiers est supérieure au chiffre de tête, une instruction pouvant être ouverte pour plusieurs motifs en même temps.
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