12/12/2008 – Lieu-dit : Choungui

Histoire et évolution

« La génération actuelle ne doit pas oublier d’où on vient »

À l’occasion de ce reportage, plusieurs interlocuteurs se sont successivement passés la main afin de trouver celui qui pourrait nous conter au mieux le village et son actualité. Des jeunes gens, d’autres personnes un peu plus âgées, tous ayant grandi, vécu ou s’étant marié à Choungui. Nous avons finalement pu rentrer en contact avec celui qui semblait le plus apte à remplir cette tâche…

« La génération actuelle doit connaître l’histoire et les origines de notre village. Ils ne doivent pas oublier d’où on vient car s’ils l’ignorent, le jour où nous, les plus grands disparaîtront, qui pourra le faire ? ». C’est ainsi qu’Ahmed Soilihi, ancien maire et directeur de l’école primaire de Choungui, entame l’entretien, installé sur son canapé où, près de lui, sa petite fille sommeille paisiblement.

Mayotte Hebdo : Connaissez-vous la première famille de Choungui ?

Ahmed Soilihi : Parfaitement, puisque je fais partie de cette descendance. Ce sont les « Foundi », les premiers du village. Ensuite, il y a eu la famille M’kadara et la famille Idaroussi.

MH : Ceci date de combien d’années ?

AS : Ouuuh ! Je ne pourrais pas vous dire de combien de temps ça date.

MH : Une date approximative…

AS : Je suppose que ça devait être au 17ème ou 18ème siècle, quelque chose par là. Je suis désolé, je ne peux pas être plus précis sur la période. En revanche, je sais comment est né le village… La famille Foundi est d’origine malgache. Lorsqu’ils sont arrivés à Mayotte, c’est à Saziley qu’ils logeaient, mais leur lieu de vie a été décimé par une importante maladie et ils ont été obligés de fuir. Il y avait parmi eux M’zé Touaka et sa sœur. Ensemble, ils ont parcouru les villages du sud : M’bouini, Passi-Kéli, M’ronabéja… seulement, sachant d’où ils venaient, les habitants de ces localités les chassaient constamment. Arrivés à Kani-Bé, M’zé Touaka et sa sœur ont rencontré un voyant qui leur a proposé de rapporter de la terre dans la région où nous vivons aujourd’hui. M’zé est revenu avec différents blocs de terres et les a présentés au voyant qui leur a conseillé de créer leur foyer à l’endroit d’où provenait une des terres qu’il a examinées. Ainsi, M’zé Touaka et sa sœur sont montés dans la forêt. Ils y ont cultivé et construit leur petite maison, puis redescendaient à Kani-Bé jusqu’à la finition du foyer. Seuls pendant très longtemps, en pleine forêt, ils avaient peur, mais n’avaient pas le choix.

« Pratiquement tous les visiteurs de l’île font le mont Choungui »

MH : Choungui était donc une immense forêt avant la venue de cet homme. Racontez-nous son développement…

AS : Oui. Et d’ailleurs, le nom du village c’est « Choungua » à l’origine, ce qui signifie champ de culture vivrière. Mais bon, il s’est transformé en Choungui au fur et à mesure. Au fil du temps, la population a grandi jusqu’à devenir un village. Avant, nos habitats étaient construits en terre battue, avec des toits en tôles pour ceux qui en avaient les moyens. Le premier à construire une maison en dur a été Idaroussi, un retraité militaire. C’est aussi le premier commerçant de Choungui. Il vendait un peu de tout grâce à la marchandise qu’il récupérait en Petite Terre. Il n’y avait pas de route ! Alors, nous utilisions le bateau jusqu’à M’ronabéja et puis nous continuions à pied. Parfois, Idaroussi faisait transporter ses biens par des ânes. Nous allions à l’école à pied, jusqu’à M’zouasia, d’autres se rendaient à Chirongui, à M’ronabéja ou à Kani tous les jours, jusqu’à ce que les villageois décident de créer une école près du terrain de foot en 1976. Tous les travailleurs, charpentiers, menuisiers, maçons se sont unis pour ce projet. Aujourd’hui, notre école se trouve à l’entrée du village. (Ahmed Soilihi réfléchit un temps…) Il y avait énormément de rivières dans les années 80, beaucoup d’eau. Je me souviens quand je jouais au football, on se rendait tous à la rivière après le match pour nous laver, tranquillement. A Choungui, il y avait aussi beaucoup d’oiseaux, des dizaines de types d’oiseaux. Il y avait de grands aigles…

MH : Mais que s’est-il passé ?

AS : En 1984, le cyclone Kamissi a ravagé Mayotte, il a surtout tapé de plein fouet la zone sud. Depuis cet événement, tout a changé. L’eau des rivières a diminué chaque année jusqu’à rendre la dernière goutte, les oiseaux ont disparu. C’était aussi le début de l’insalubrité. Le respect de notre environnement, de la propreté du village continue de s’estomper. Je me souviens, nos mamans s’occupaient de la protection de l’environnement, mais pas possible ! Aujourd’hui, on s’en fout !

MH : Vous avez espoir que cette mentalité perdue revienne un jour dans le village ?

AS : Moi, j’aurais aimé garder cet aspect de la propreté initiale de nos mamans. Je souhaiterais qu’on respecte cet amour ancestral de la propreté à Choungui. Maintenant, à nos jeunes d’agir et à nous de les encourager à agir afin de retrouver cette mentalité. Nos jeunes doivent s’occuper de l’agriculture et de l’artisanat, ce sont deux grands atouts touristiques que l’on n’exploite pas lorsqu’on sait que pratiquement tous les visiteurs de l’île font le mont Choungui. En redescendant, ils veulent visiter le village, mais seulement il n’y a pas tellement d’activités. Il reste qu’un seul monsieur ici qui continue dans l’artisanat, il s’appelle Halifa Alidi. Malheureusement, il a beaucoup de mal à vendre ses créations, c’est dommage !

« Ils en avaient marre de vivre coupés du reste de Mayotte, sans route et sans eau »

MH : Le village était-il aussi grand il y a quelques décennies ?

AS : Oh non ! Au contraire… C’était même l’exode. Des familles quittaient le village pour la ville ou la France. Ils en avaient marre de vivre coupés du reste de Mayotte, sans route et sans eau. Choungui était pénible à vivre. La route a été inaugurée en 1979 et un peu plus tard, l’adduction de l’eau. À présent, ceux qui reviennent veulent habiter ici, c’est calme et il fait très frais à n’importe quel moment de la journée, mais il n’y a plus d’emplacement. Pour vous dire, des lotissements sont en cours !

MH : Vous avez été maire de la commune à une période ?

AS : En effet ! C’était entre 2001 et 2007. Avant cela, j’étais conseiller municipal du village depuis 1983, mais aussi adjoint au maire. Aujourd’hui, je suis directeur à l’école primaire de Choungui. Et malgré la fin de mon mandat, je reste un politicien. Je fais partie de l’UMP et j’assiste à certaines réunions politiques.

MH : Beaucoup de villageois perçoivent Choungui comme l’oublié de la commune. Lorsqu’ils regardent ce qui se réalise dans les autres localités – les MJC, les plateaux polyvalents… – ils constatent la différence qui est claire d’ailleurs. Comment percevez-vous ce point de vue ?

AS : Non, je ne dirais pas que Choungui est un village oublié. C’est vrai qu’il manque beaucoup de choses, mais le problème n’est pas l’isolement. Il y a d’abord un souci financier, mais surtout un gros problème de foncier. A Choungui, il y a encore des problèmes de foncier, mais il faut savoir que le projet d’effectuer un plateau polyvalent et une MJC sont d’actualité, en tout cas pendant mon mandat, mais la nouvelle équipe doit certainement avoir un œil dessus. Lorsque j’étais maire, nous avons pu accomplir deux grandes MJC à Kani-Bé et à Kani-Kéli. Les élus ont des villages prioritaires et les villages prioritaires sont ceux dont les terrains sont disponibles.

Propos recueillis par Ichirac Mahafidhou

 

12/12/08 - Lieu-dit - Choungui

 


 

Transport

 

Le « stop » plutôt que le taxi

Les taxis… les villageois de Choungui n’y comptent pas trop, pour ne pas dire du tout ! Alors lorsque l’un d’entre eux souhaite quitter le village, c’est en « stop ». Et si ailleurs les auto-stoppeurs tendent le pouce ou le bras pour tenter d’influencer les voitures passagères, ce geste n’est vraiment pas nécessaire à Choungui : « Nitsaa ni pachié ! » (ndlr : « Je veux monter ! ») et l’affaire est réglée !

On ne le répètera jamais assez. Avec son interminable montée afin de l’atteindre, Choungui demeure un village très isolé parmi les autres localités de la commune. Toutefois, cela n’empêche pas les habitants d’en sortir quand bon leur semble. Certes, ils ne bénéficient pas des nombreux passages de taximen comme la majorité des Mahorais peuvent en bénéficier : l’endroit reste beaucoup trop haut et au bout d’un cul de sac. Par conséquent, les chauffeurs de taxis risquent de rebrousser chemin, déçus en apercevant l’unique caillasse des bords de route. Ils pourront toujours se donner la peine de procéder à un, deux ou trois tours du village, mais ce ne sont pas beaucoup d’habitants qui grimperont dans leurs automobiles.

« Il y a des personnes qui attendent les taxis qui ne montent jamais, plus tard dans la journée il y a un ou deux taxis qui passent par-là, mais qui ne trouvent personne », témoigne Ahamadi Ibrahim. Dans la fraîcheur et le calme absolu du village, il poursuit : « Il n’y a pas de coordination, pas d’organisation, rien ! C’est, ou bien tu as de la chance ou bien tu n’en as pas ». Selon le nouveau bachelier en STG Mercatique, futur étudiant de Métropole, il serait convenable pour le bien du village que les responsables de la commune ou des taximen mettent en place des horaires : « ce serait tellement plus clair et plus simple ».

Cette bonne idée ne concerne pas uniquement Choungui, car d’autres villages – une minorité – qui ne sont pas au bord de la route principale, se trouvent dans la même situation. En attendant, les Chounguiens ont trouvé une astuce pour combler le manque de taxis : le « stop ». Cette solution au problème constitue tout simplement une logique, une évidence.

Grande famille, donc grande chance de trouver du « stop »

« Choungui n’est pas un immense village, tout le monde se connaît », affirme le surnommé Tishen. Dépassant l’accointance, le relationnel, la bonne entente entre les habitants, la moitié des villageois sont de la même famille, proche ou éloignée. C’est donc de bon cœur, par gentillesse, mais aussi par lien de parenté que les automobilistes de la place ramassent les auto-stoppeurs. Et pour les plus égoïstes, difficile à la – seule, unique et étroite – sortie du village de faire semblant de n’avoir vu personne quand il y a quelqu’un au bord de la route.

Finalement, bien que les taxis ne sont pas fréquents, pour ne pas dire inexistants, les liens amicaux et familiaux permettent aux auto-stoppeurs de trouver gain de cause en leurs chauffeurs d’un jour et de toujours, « plus nombreux au fil du temps ». Bien entendu, ce n’est pas tous les automobilistes du village qui ramassent, même s’ils ont de la place. « Il est possible qu’une personne ou une famille possédant une voiture ait un souci avec untel ou untel villageois, dans ce cas-là il ne s’arrêtera pas. Mais bon, c’est rare que ça arrive », explique le jeune homme de vingt ans confortablement installé sur un parpaing.

Dans son dos, une dame se rendant à la sortie du village pour trouver du stop croise sur son chemin une voiture, vitre passagère baissée : « Nitsaa ni pachié ! », s’écrie-t-elle. Pas cinq mètres plus loin, et la Peugeot 205 rouge s’immobilise. Le temps pour la villageoise de monter et le chauffeur repart tranquillement… Un exemple type, en direct, de ce que peut être le transport à Choungui. « Ceux qui ne s’arrêtent pas sont fichés ici. Ça fait vite le tour ! », assure Tishen. Leur inconvénient pour ceux-là constitue la « musada », c’est-à-dire l’entraide des villageois qui s’affaiblit à leurs uniques dépens.

La galère du retour

Le retour au village demeure une toute autre histoire, un réel problème, surtout pour ceux qui se rendent dans la capitale mahoraise. Là, les taxis sont bel et bien présents, seulement voilà, Choungui n’a aucun centre d’intérêt pour l’ensemble des taximen se rendant au sud de l’île. La cause ? Un tel détour pour un ou deux clients n’est pas imaginable. Conséquence, ce sont parfois jusqu’à trois ou quatre heures de temps que les premiers habitants de Choungui souhaitant rentrer chez eux doivent patienter.

« Si on veut rentrer, nous devons être quatre ou cinq personnes de notre village, sinon le taxi refuse de nous conduire. Avec cinq personnes et 4,80 euros par tête, le chauffeur est gagnant. Peu lui importe de nous rendre service, c’est d’abord son intérêt avant celui de la population », constate amèrement Tishen. Une solution autre se présente aux habitants de Choungui à ce moment-là… avoir recours au « stop », une nouvelle fois.

« Moi, quand je n’ai pas envie d’attendre, je prends le taxi qui va à Chirongui ou à Bouéni. Au mieux il me laisse au carrefour* et là j’attends qu’une voiture me monte au village », explique le jeune homme de vingt ans. « Les habitants de Choungui nous connaissent, nous reconnaissent sur la route. Si ce n’est pas rempli, ils s’arrêtent, sans souci ». Le « stop » représente donc majoritairement le moyen de transport des non-conducteurs chounguiens. Et quoi qu’il arrive, quel que soit le risque ou le pourcentage de trouver de quoi rentrer, ce n’est certainement pas ce « handicap » qui les empêchera de déserter – pour un temps – leur village aimé.

Ichirac Mahafidhou

 


Les étudiants « n’ont pas le droit à l’erreur »

Si les taximen ne connaissent pas un franc succès à Choungui, pour cause – notamment – d’un manque d’horaires, les transports scolaires eux, se présentent tous les matins à des heures bien précises. Et tant pis pour celui ou celle qui ne se sera pas levé à temps ! A moins « d’avoir une grande gueule » selon Tishen.

4h : les premiers écoliers se lèvent, 5h30 : passage du premier bus, celui se rendant au lycée de Sada, 6h : le second car terminant sa course à Chirongui surgit pour repartir très vite. Enfin, 6h15 : le dernier transport scolaire à destination du collège de Tsimkoura s’en va.

Pour les lycéens – ceux de Sada en particulier – ayant raté le bus, le parcours du combattant demeure difficile à achever, surtout pour les timides : « Si tu restes dans ton coin en attendant que les chauffeurs t’invitent à monter, tu peux toujours attendre. Et même quand tu demandes, il y a des médiateurs qui refusent de te prendre. Ce n’est pas par méchanceté, mais ils font juste leur travail, et c’est à nous de nous lever à l’heure ! Par contre, si tu insistes, tu argumentes, tu ne veux vraiment pas rater ton cours et que tu le fais savoir, les médiateurs te laissent monter finalement. Mais il ne faut pas que ce soit trop répépétif ».

 


Culture et sport

 

Un espoir éternel de voir les choses changer

Sans éclairage ni matériel d’entraînement pour les footballeurs, sans plateau polyvalent pour les adeptes de volley ou encore sans MJC, les villageois, « oubliés » par les responsables de ces associations ainsi que par les élus de la commune, sont condamnés à agir avec les moyens du bord. En espérant que la hauteur du village – et donc son « exil » – ne constitue, un jour, plus un obstacle pour son développement culturel et sportif, comme elle l’a toujours été.

Lorsque l’on jette un œil aux structures sportives et culturelles de chaque village de la municipalité de Kani-Kéli, on se rend vite compte qu’il y a une localité différente, oubliée, négligée. « Est-ce injuste ? », demande-t-on à Irchada Ahamada. « Evidémment », répond sans un grain d’hésitation celui qui a mis en place le tennis de table et – avec Kamaria Saïd – le volley-ball à Choungui, en 2004.

-« Vous savez où on est là ? », interroge-t-il.

-« Non ! »

-« Non ? », insiste-t-il.

-« Ici, nous sommes dans notre MJC, notre belle MJC » (ndlr : Maison des jeunes et de la culture), ironise Irchada.

Et quelle triste ironie ! Car c’est dans ce foyer totalement délaissé depuis des lustres qu’est censé reposer un lieu d’accueil pour les villageois, des animateurs communaux à leur service, un centre de documentation et d’information (CDI) et des ordinateurs avec l’accès à internet pour les étudiants, un coin propre et spacieux dédié aux manifestations festives… Rien de tout cela à Choungui !

À la place, quelques mètres carrés où demeurent une construction en béton menaçant de s’effondrer d’un instant à un autre et où les enfants aiment passer du temps malgré tout, malgré l’indisponibilité, malgré le danger. Ils y ont d’ailleurs fabriqué deux balançoires, faites de fils électriques et de bouts de bois. Il y a toutefois un point positif à ne pas négliger selon Ahamadi Ibrahim dit Tishen : l’air frais traversant les endroits « réservés » aux portes et fenêtres, causant un agréable courant d’air à l’intérieur. « Vous ne sentez pas ? », plaisante-t-il. « C’est pour ça qu’on s’est arrêté ici. Même s’il n’y a rien, déjà c’est notre seule place et en plus il fait frais », conclut Tishen un peu plus sérieusement. Il faut dire que dans ce village en altitude, la fraîcheur règne partout, une grande partie de la journée.

Un cruel manque de sérieux et de volonté

Ladite « MJC » de Choungui, l’unique espace de vie des jeunes donc. Deux à trois fois par an, les plus motivés y organisent des soirées, car « il faut bien que ça bouge au moins une fois dans l’année ». Irchada estime que de nombreuses fêtes et autres événements culturels pourraient être coordonnés au cours d’une année, mais les volontaires à une quelconque organisation se font très rares. Au final, ils demeurent toujours les mêmes, tant dans la culture que dans le sport.

En ce qui concerne le football, premier sport du village, il est en voie d’extinction tant les responsables sont inexistants. Avec l’équipe Atlantic créée en 1982, le village détenait un second club : l’ASJC (Association sportive des jeunes de Choungui). Ces derniers ont fusionné en 98 pour devenir le Choungui FC. Trop de villageois veulent intégrer le groupe, mais chaque place coûtait très cher. En 2004, deux personnes ont alors l’idée de lancer une autre discipline pour ceux qui n’avaient pas la chance de faire partie du CFC.

Le hand et le basket ont été évoqués, mais c’est le volley qui sera généré : « Il y a des handballeurs et des basketteurs ici, mais pas de plateau polyvalent, donc pas de cages ou paniers. Il semblait donc plus simple de mettre en place une équipe de volley », nous explique l’arbitre de foot Irchada. « La grande question à l’époque était de savoir à quel endroit nous allions jouer », poursuit-il. Avec l’autorisation des villageois, c’est l’école primaire qui a été désignée comme terrain de jeu des volleyeurs. Mais voilà qu’aujourd’hui, ces derniers sont menacés par les parents d’élèves de ne plus jouer au sein de la structure éducative.

L’association des parents d’élèves contre le volley

« Les parents nous reprochent de nuire à la propreté de l’école et surtout nous accusent de casser les fenêtres des classes. Nous, on ne fait que s’entraîner. Par contre, les gamins entrent aussi dans la cour pour jouer au foot. Ils cassent et s’en vont, puis tout le monde est mis dans le même sac. Ceux qui respectent et ceux qui ne respectent pas », se désole le Chounguien. Dans ce cas comme dans bien d’autres, l’intervention des responsables du village et de la commune afin de trouver une solution au problème s’impose, mais là encore, aucune réaction.

Pendant ce temps, la voix des parents d’élèves se densifie jusqu’au jour où elle sera assez forte pour mettre en péril la pratique du volley à Choungui. Et pourtant, fort de sa trentaine de licenciés, cette pratique monopolise une partie des jeunes – filles et garçons – au même titre que le football (45 licenciés) ou le tennis de table (58 licenciés).

Cette présence d’activités sportives, comme partout à Mayotte constitue un atout essentiel pour l’animation et la réputation du village, et plus important pour la santé et le plaisir du sport. Elle reste également un sérieux remède contre la violence et la délinquance. Mais en persistant sur cette lancée, celle de l’isolement et du désintérêt de tous, tous ces avantages dont jouit difficilement Choungui risquent de disparaître. Et plus que les sportifs, plus que la localité, c’est la commune qui pourrait en payer le prix.

« Si on prive ces jeunes de sports, dans quoi vont-ils se lancer ? C’est leur seule occupation de retour de l’école ! », accentue Irchada. « La réponse existe déjà. », continue-t-il. « Il y a un voleur dans ce village. Il est jeune et faisait du tennis de table. Mais comment peut-il être motivé dans ces conditions ? Nous avons deux tables pour une cinquantaine de licenciés ! Aujourd’hui il est seul, heureusement, mais demain ? »

« Il y a des talents, mais absolument personne ne s’en soucie »

À Tishen de consolider l’opinion d’Irchada et des sportifs de Choungui en général : « Au foot c’est pareil. Quand on arrive sur le terrain, on prend le ballon et on fait un match. Personne n’est là pour nous. On n’a pas de coach, aucun matériel et les membres du bureau du club sont aux abonnés absents. Où est la motivation ? Les jours de match, même les gens de Choungui ne viennent pas nous voir », déplore-t-il. Selon lui, le départ des lycéens en Métropole pour poursuivre leurs études a été le déclic de cette chute libre.

« Avant, c’était bien et sérieux. Venir jouer à Choungui n’était vraiment pas chose facile, tous les adversaires nous redoutaient. Mais il y a trois ans, la grande équipe du village était composée de lycéens qui venaient d’avoir leur bac. Depuis leur départ en France, plus rien n’est pareil. Le sérieux et l’envie ont disparu », ne peut-il que constater.

Aucune structure, aucun encadrement et aucun matériel, Choungui n’est pas gâté en matière de culture et de sport, « et pourtant, il y a des talents dans notre village, que ce soit en foot, en volley ou en tennis de table. Le gros problème, c’est qu’absolument personne ne s’en soucie. Avant les dernières élections, le maire et le conseiller général étaient de Choungui, mais ils n’ont rien fait pour notre village, rien du tout. Ni pour le sport, ni pour la culture. À présent, ce sont deux personnes de villages différents. Vont-ils penser à nous ? », se demande Tishen. Lui s’en va en France pour les études, mais il espère de tout cœur que la mentalité des responsables, à propos du sport et de la culture dans son village natal, finisse un jour par changer.

Ichirac Mahafidhou

 

12/12/08 - Lieu-dit - Choungui

Un m’zungu à Choungui

 

« Je me sens bien intégré »

À l’école primaire, l’entraînement de volley se poursuit et Irchada Ahamada, notre interlocuteur principal nous parle du commerce local. Assis sur le béton, les jeunes en face s’échangent des services lorsqu’un individu se présente au « terrain ». Savates typiques de Mayotte, short à fleurs et tricot uni foncé, cet Européen se fond dans l’ambiance et se retrouve, au bout de quelques minutes, pieds nus dans la surface de jeu avec son équipe…

Il a 52 ans, certainement le plus âgé de tous, mais n’hésite pas à participer comme il en a l’habitude. Vincent Ecouard travaille au lycée professionnel de Chirongui et habite à Choungui. Vincent Ecouard – ou M. Gnota comme on le nomme là-haut – c’est le « m’zoungou » de la localité. « Ca a été bref et rare, mais il y a déjà eu des blancs qui ont habité ici », confirme l’ancien maire Ahmed Soilihi. À ce jour, M. Gnota reste le seul et l’unique !

Demeurant depuis un semestre au quartier de la mosquée (sud du village), ce professeur de vie sociale et professionnelle a vécu auparavant un mois et demi chez sa sœur à Bouéni. « Ce sont les énergies qui m’ont conduit ici », répond-il rapidement à la raison du choix du village. Car M. Gnota fait également de la bioénergie et a son cabinet à Choungui : « Je fais des massages en utilisant le magnétisme. J’ai des clients, ceux qui viennent comprennent que ça agit sur l’équilibre, l’énergie, le psychique, la santé mentale… », dit-il, précisant que ses clients sont des personnes extérieures au village.

Choungui, M. Gnota y voit un aspect inexploré : « Les gens trouvent que c’est loin donc ils hésitent à venir. C’est vrai que ça fait un peu coupé du monde si on n’est pas motorisé. Un service fixe de transport devrait se créer, à ce moment-là le village serait sûrement plus animé ». Un habitant passe près du prof et discute quelques secondes avec… en swahili. « Je maîtrise cette langue. Et je me débrouille pas mal en shimaoré », insiste-t-il avec un petit sourire. Ce jeune homme vient de lui demander un renseignement sur un devoir, ce qui arrive souvent avec les étudiants de Choungui qui sollicitent M. Gnota. Celui-ci les accueille et les aide sans aucun souci.

Cet élément s’ajoute à la bonne intégration du prof qui affirme être bien à Choungui : « Il y a de bonnes énergies ici, en plus je me sens bien intégré. On m’invite toujours dans les événements locaux. Par courtoisie, des villageois passent me rendre visite quelquefois, tout se passe bien ». Le soleil se couche à Choungui, l’entraînement s’achève et les volleyeurs – et volleyeuses – quittent l’école en attendant une nouvelle séance; non pas de massage, mais de volley avec qui sait, M. Gnota au service…

I.M

 

12/12/08 - Lieu-dit - Choungui

Commerce

 

L’isolement profite à l’économie locale

Il existe cinq petits commerces à Choungui. On y trouve du riz, de la viande, du pétrole, de la boisson, beaucoup de bonbons, quelques recharges téléphoniques, plus récemment du gaz… Loin, très loin des sandwichs frites-steak pour le midi ou du restaurant pour le dîner, les habitants de Choungui – non véhiculés – font avec ce qu’on nomme les « doukas » et/ou la production agricole locale, ceci au bénéfice de leur porte-monnaie.

Il faut savoir qu’il y a deux types de personnes à Choungui : ceux qui possèdent un moyen de locomotion et ceux qui commissionnent ! En sortant du village pour se rendre en ville, au travail, à la plage ou chez la famille, les automobilistes ont accès aux plus grandes surfaces commerciales et peuvent se procurer ce que les Mahorais « d’en bas » se procurent plus facilement. Ainsi ils vivent comme les différents habitants de l’île, commercialement parlant. Les autres, ceux qui ne possèdent pas de moyen de déplacement, se contentent de ce qu’ils peuvent obtenir dans les « doukas » et, si nécessaire, commissionnent ceux qui quittent le village.

Ces derniers ne sont pas forcément des grandes personnes ayant des voitures. A partir du moment où un villageois est collégien, il peut « partir en mission » pour sa famille… grâce aux transports scolaires. Soilihi Foundi constitue l’exemple type du commissionné de Choungui : « Moi, souvent quand je vais au lycée ma mère me confie de l’argent et me demande de ramener des choses », fait-il savoir. Tout autour de l’île, il arrive que les plus jeunes ou les plus naïves se fassent piéger par des personnes mal intentionnées, des racketteurs, qui plus est parfois leurs « camarades » de classe. Le plus malheureux est que cette monnaie est précieuse aux yeux des familles, qu’elle ne représente pas un simple argent de poche, sachant qu’à Mayotte l’argent de poche n’est pas courant… Les parents non véhiculés n’ayant pas le choix, ils reposent leurs attentes sur ces écoliers.

Un gros problème de livraisons

En deuxième année en BTS à Sada, Soilihi Foundi fait partie d’une des cinq familles commerçantes du village. Au cœur de la localité, sa mère gère la boutique, mais les Foundi se relayent entre frères et sœurs. L’air de rien, « ce sont les bonbons qui se vendent le plus. À cinq, dix ou vingt centimes, les gamins passent et repassent tous les jours », reste étonné l’étudiant de 21 ans. Et ces petits cents rapportent du bénéfice ! En dehors de la gourmandise des enfants, les villageois de Choungui consomment beaucoup de Coca. Mayco constitue une des deux seules satisfactions – avec Somagaz – de la commerçante depuis la création de son douka il y a plus de deux ans.

« J’ai essayé le pain, le riz et plein d’autres produits, mais quand ils arrivent au carrefour, les livreurs se découragent et descendent en direction de Kani-Kéli au lieu de continuer de monter. Il n’y a que Somagaz et Mayco qui respectent leurs engagements jusqu’à aujourd’hui. Pour les recharges téléphoniques, je suis obligée de descendre jusqu’à Kawéni pour en avoir alors qu’ils doivent me livrer. L’argent que je perds sur le chemin avec les taxis n’en vaut pas la peine », affirme-t-elle, « mais les habitants en ont besoin ! ».

Car avec les bonbons et le Coca en consigne, ce sont les recharges qui sont les plus achetées… Soilihi lui, positive : « De toute façon pour le pain, on peut faire un mois sans en manger. Moi, un bon bata-bata me suffit ! », assure-t-il avec un grand sourire. Par là, le Chounguien veut nous faire comprendre que les villageois de Choungui ont leur avantage, la campagne.

« Nous avons l’essentiel : la culture »

« La majorité des gens cultivent ici. On n’a pas vraiment besoin de pain ou de frites, ces aliments que les autres mangent pratiquement chaque jour. Nous avons ici l’essentiel : la culture », garantit le licencié du CVC et du CFC, les deux associations sportives du village. Cette manière de vivre avec peu de produits « importés » d’en bas n’est pas si différente de la vie mahoraise après tout, seulement la différence est qu’à Choungui, la culture est considérablement plus exploitée qu’ailleurs. Et ceci peut faire figure d’économie pour les villageois.

« Concernant la nourriture, c’est sûr qu’on utilise moins d’argent que de nombreux villages mahorais à cause, ou plutôt grâce à notre isolement », se reprend Irchada Ahamada. Le commerce crée de l’emploi, crée de l’activité et intéresse la population, autant locale qu’extérieur, il est actuellement le point fort de plusieurs communes mahoraises. Mais actuellement, s’il y a un thème qui serait susceptible d’attirer un minimum de touristes à Choungui, ce n’est certainement pas le commerce. Les cinq modestes commerçants que contient le village tentent tant bien que mal de combler les besoins de leurs – seuls – clients chounguiens.

Actuellement, rien de concret ne s’opère pour le développement économique de Choungui et à moins d’une subite réaction des élus de Kani-Kéli, cette situation ne risque pas de changer pour longtemps encore dans la « résidence » du mont Choungui.

Ichirac Mahafidhou

 

12/12/08 - Lieu-dit - Choungui

Richesse naturelle & Environnement

Mont Choungui, un écosystème exceptionnel

Emblème du village et de toute l’île, le mont Choungui, deuxième plus haut de Mayotte, est très prisé des marcheurs avec ses 594 mètres de hauteur, dont une bonne partie à pic. Peu d’entre eux savent qu’il est également un milieu naturel exceptionnel qui contient quelques espèces rares, voire uniques au monde, et qu’il convient donc de le préserver.

Etape obligée des touristes, de préférence pour le lever ou le coucher du soleil, l’ascension (sportive) du mont Choungui est une traversée de plusieurs milieux naturels en une petite heure de marche. En bas, la forêt humide et dense, en haut, une végétation sub-montagnarde et clairsemée, totalement différente. Entre les deux, la végétation rétrécit, se fait plus sèche, l’air plus respirable. Ventilé en permanence, le haut du mont est beaucoup plus sec que le reste de la forêt malgré des précipitations et une humidité élevées.

C’est ce climat particulier et la présence de roches alcalines, qui induit en général un fort taux d’endémisme, qui font du haut du mont Choungui une réserve botanique exceptionnelle, avec 6 plantes qu’on ne trouve à Mayotte qu’à cet endroit précis, dont au moins deux qui sont endémiques de l’île. Uniques au monde ! L’une d’entre elle porte d’ailleurs le nom d’Ivodea Chounguiensis.

Autre caractéristique intéressante, le haut du mont Choungui comporte un certain nombre d’espèces végétales que l’on trouve partout dans l’île, mais qui sont ici nanifiées. « Il y a moins d’humidité et plus de vent au sommet, les feuilles doivent donc être plus résistance et sont donc plus petites », explique Guillaume Viscardi du Conservatoire botanique national de Mascarin, qui part régulièrement à l’assaut du Choungui pour y trouver des espèces intéressantes.

« Le haut du mont est peut-être le reste de ce qu’il y avait avant, quand Mayotte était beaucoup plus haute », estime le botaniste. Le Dziani Bolé est d’ailleurs à peu près équivalent : sur la partie située face au vent on a trouvé une espèce qu’on ne trouvait jusque là qu’en haut du Choungui. »

Progressivement, de marche sympathique en forêt, la balade se transforme en quasi-escalade. La saison des fortes pluies de l’an dernier a encore creusé le sentier, obligeant le promeneur à s’accrocher aux racines des arbres pour se hisser toujours plus haut. Passé les 500 mètres, on se trouve enfin à découvert, la végétation est sèche et courte, la vue… magnifique.

Une partie encore inconnue

Pourtant, l’arrivée au sommet est source d’énervement pour Guillaume Viscardi : des traces laissent imaginer un bivouac récent, par des gens peu soucieux de préserver cet endroit unique. Canettes et déchets en tous genres trainent à côté d’un espace d’herbes tout aplaties qui a du accueillir une tente. Un carnage qui achève de convaincre le botaniste qu’il faut protéger le sommet du Choungui et informer les promeneurs de son importance. « Il y a au moins deux espèces uniques au sommet, dont une qui est une herbacée à laquelle personne ne fait attention par méconnaissance et qui est donc maltraitée à chaque passage. La psiadia pascalii n’a pas encore été beaucoup étudiée, elle pourrait un jour se révéler utile pour l’homme, or il n’en existe pas ailleurs. »

On trouve également au sommet au moins huit espèces d’orchidées, protégées par arrêté préfectoral. Seulement voilà, le profane ne peut les connaître et les reconnaitre et elles sont régulièrement cueillies par les promeneurs. « Depuis quelques années le sommet se dégrade énormément, toutes les personnes qui y viennent régulièrement le constatent », déplore Guillaume Viscardi. Autres preuves de l’influence humaine sur le milieu : la présence de manguiers et de citronniers, nés des noyaux jetés par les promeneurs. « Il faudrait poser des panneaux au sommet avec des photos et des informations sur les plantes rares, peut-être même une barrière pour cantonner les campeurs à la partie où le sol est terreux. C’est un endroit unique et suffisamment emblématique de l’île pour qu’on s’y intéresse un minimum », tempête le botaniste. Le mont Choungui n’a pas encore livré tous ses secrets aux chercheurs avides de découvertes exceptionnelles, tout un pan de la falaise est encore inconnu, car trop vertical pour s’y risquer sans matériel spécialisé.

Hélène Ferkatadji

 

12/12/08 - Lieu-dit - Choungui

 


Un rôle de surveillance

En shimaore, « choungui » veut dire « la vigie ». Il n’y a d’ailleurs pas que le mont Choungui qui soit un « choungui », plusieurs collines de l’île sont appelées ainsi. Autrefois, les villageois y allumaient des feux au sommet pour communiquer d’un bout à l’autre de l’île, essentiellement pour se prévenir de l’arrivée de pirates malgaches ou de soldats des îles voisines, pendant les périodes de guerres entre les « sultans batailleurs ». C’est pour cela que le haut de nombreuses collines, et du mont Choungui, sont aujourd’hui des padzas.

Les espèces qu’on ne trouve à Mayotte qu’en haut du Choungui

 

GENRE

ESPECE

SHIMAORE

SHIBUSHI

STATUT

Monoporus

bipinnatus

sari muhonko

sari honko

Endémique de Madagascar et de Mayotte

Cassipourea

ovata

 

bori ravini,

Endémique de Mayotte

Psiadia

pascalii

 

sari niewe

Endémique de Mayotte

Securinega

durissima

 

sari vavaloza mena

Endémique de Madagascar, des Mascareignes et de Mayotte

Ivodea

choungiensis

 

mvori voa

Endémique de Mayotte

Chionanthus

cordifolius

 

sari mri trele

Endémique de Mayotte

 

 

 

 

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1112

Le journal des jeunes

À la Une