12/09/2008 – Délégation du Sénat sur la départementalisation

Il nous est apparu important de faire le point sur la situation de Mayotte au regard des exigences d'une départementalisation qui, je le rappelle, entraîne que la législation soit la même qu'en Métropole dans un certain nombre de domaines. Même si dans les collectivités d'Outremer, dans un certain nombre de domaines il peut y avoir spécialité législative – c'est le cas de Mayotte aujourd'hui – il va y avoir forcément une approche vers une identité législative avec le département de Métropole.
On mélange un petit peu, et c'est normal, comment la loi et les règlements s'appliquent dans une collectivité sur un territoire quelconque, et deuxièmement les compétences des collectivités. Ce n'est pas tout à fait la même chose. D'autant que, en ce qui concerne les compétences des collectivités, aujourd'hui avec les textes qui sont parus, la Collectivité départementale de Mayotte, à l'exception des routes et d'une autre attribution, a des attributions pratiquement d'un département de Métropole. Ce qui ne veut pas dire qu'elle peut l'exercer, parce que certains services sont encore ceux de l'Etat mais l'évolution du statut n'est pas liée au fait que tout se passe d'un seul coup et qu'on dise demain matin : "l'Etat se désintéresse de tout et vous devez exercer toutes vos compétences". Puisqu'il y a eu toujours dans l'histoire de la décentralisation, qui est quand même l'élément fédérateur depuis les lois de1982, il y en a eu avant mais c'est quand même à partir de 1982 les lois Deferre, on a bien vu que c'était progressif. Progressif… Cela veut dire que l'on sait où on aboutit. Si Mayotte est département, un jour Mayotte sera totalement responsable de ses routes.
 
 

"On connaît très bien le choix des Mahorais, mais on connaît aussi combien certains ne souhaitent pas que Mayotte devienne un département"

En ce qui concerne le passage au statut de département et région d'Outremer, pour les modalités, une assemblée ou deux assemblées, le temps viendra mais ce n'est pas cela le plus important. Les Mahorais souhaitent devenir département. Ils l'ont manifesté depuis très longtemps et à plusieurs reprises et je crois que pour la République, compte tenu des engagements pris par les uns et par les autres, il est temps de dire "oui", mais définitivement ! Et qu'on ne revienne plus dessus.

On connaît très bien le choix des Mahorais, mais on connaît aussi combien certains ne souhaitent pas que Mayotte devienne un département. Mayotte est dans la Constitution, je le rappelle, en tant que Collectivité départementale, mais il faudra bien qu'ils comprennent que Mayotte, département français, on ne peut avoir aucune revendication sur lui. Beaucoup de Mahorais nous ont expliqué que, bien sûr, c'était l'objectif principal.

A partir du moment où Mayotte est département, toutes les lois s'appliquent et notamment tout ce qui concerne l'état des personnes, les droits civils et politiques, les libertés publiques, l'égalité entre les hommes et les femmes. Je n'ai pas besoin de vous les décliner, mais c'est la loi de la République. Ce n'est pas une autre loi. C'est la loi de la République ! Et donc la justice de la République. Il n'y a pas d'échappatoire. On ne peut dire : "Ah non, on veut devenir département mais on veut garder notre système de justice, etc.". Non, ce n'est pas possible. Tous les citoyens français sont soumis aux mêmes lois, mais il y a le statut personnel qui est un problème.

 

Etat civil : "La situation actuelle n'est pas acceptable"

On n'a pas de conseils à donner à nos amis mahorais, ils sont assez grands pour gérer leurs affaires, nous ne sommes pas venus pour dire : "Voilà, on va vous donner la solution", puisque nous aurons notre avis à donner bien entendu comme commission des lois, le moment venu quand les projets suivront. Mais il nous est apparu important de voir les problèmes qui se posent, d'ailleurs qui ne sont pas tous liés à la départementalisation. Il nous est apparu globalement qu'il fallait régler d'urgence : numéro 1, le problème de l'état civil.

La situation actuelle n'est pas acceptable car en fin de compte elle enferme certains concitoyens nés à Mayotte : ils ne peuvent pas sortir car ils ne peuvent pas avoir de papiers ! Alors qu'elle était bien commencée, on en est toujours à la moitié du chemin. Et par exemple, si vous avez besoin demain de papiers pour aller faire des études à Paris, on vous dira : "Attendez, non, on ne peut pas vous donner de passeport parce que vous n'avez pas un état civil en règle".

Deuxième point qui nous paraît extrêmement important et qui concourt au développement économique et qui peut aussi avoir des incidences sur l'exercice des compétences par le département : c'est le problème du foncier. On ne conçoit pas qu'il n'y ait pas un foncier… Vous savez, le foncier c'est le cadastre, mais ce n'est pas seulement le parcellaire, c'est le fichier des personnes, savoir à qui appartient telle ou telle parcelle. Et quand il y a une succession, il faut un acte notarié pour dire : "Cette parcelle-là est attribuée à son fils ou sa fille". En passant, le droit civil s'applique et donc les droits de succession sont égalitaires, notamment entre les garçons et les filles. Le sexe ne peut pas être le critère selon lequel on fait des différences entre enfants. Il faut le rappeler car ce ne sont pas les lois qui ont été appliquées jusque-là obligatoirement à Mayotte.

Foncier, état civil et puis bien entendu la modernisation des infrastructures, parce que le désenclavement est une nécessité. Il y a le Contrat de projet qui a été voté et approuvé. Parmi la mise à niveau des uns et des autres, incontestablement le problème numéro un est celui de la formation : c'est une condition nécessaire pour le département. L'Etat souhaite renforcer ses efforts pour l'école élémentaire, mais aussi la scolarisation en maternelle. C'est extrêmement important pour l'acquisition de la langue française.

Il ne faut pas prendre de retard pour l'acquisition de la langue française et je crois qu'il faut faire un effort considérable dans ce domaine. Effort que doit faire l'Etat, mais effort aussi que doivent faire les collectivités pour la réalisation d'établissements dans des temps raisonnables parce que les statistiques d'augmentation de la population scolaire et les prévisions font que l'effort ne doit certainement pas être réduit mais en plus renforcé. Et considérablement, dans des proportions que nous on a du mal à imaginer vu d'un département métropolitain, avec une croissance démographique moyenne.

 

"Tous les efforts faits pour améliorer les infrastructures de santé et scolaires sont annihilés par l'immigration massive"

Alors bien sûr, il faut aussi évoquer la question de l'immigration clandestine : l'augmentation du nombre de personnes en situation irrégulière ne peut qu'avoir des conséquences économiques et sociales très graves puisque tous les efforts faits pour améliorer les infrastructures de santé et scolaires sont annihilés par l'immigration massive.

Si cela se rapportait à la Métropole, le nombre d'étrangers en situation irrégulière serait insupportable. Donc il y a un moment où les choses ne peuvent pas se poursuivre sans prendre des dispositions pour le bénéfice de la communauté. Alors c'est un problème très complexe. Il y a eu un renforcement de la lutte contre l'immigration, avec des moyens extrêmement importants donnés à la police de l'air et des frontières et à la gendarmerie, avec la collaboration d'autres services publics. Mais de toute façon. Ce n'est pas seulement comme ça que l'on résoudra le problème.

D'après ce qu'on nous dit, c'est difficile d'apprécier la population en situation irrégulière mais c'est par dizaines de milliers. Donc à partir de là, je crois que la Collectivité doit s'interroger sur la manière de traiter ceux qui sont sur le territoire et qui ont des raisons de ne pas vouloir partir. Certains sont là depuis longtemps, on connaît ça bien sûr dans tous les territoires de la République. En plus, ça n'est que dans une coopération étroite où on aura bien fait comprendre que ce n'est pas la peine de jouer avec Mayotte sur le grand échiquier international, qu'on pourra trouver une solution.

Donc on ne doit pas se dispenser, pour la France, d'une forte coopération régionale, mais d'abord il faut qu'ils le veuillent, bien sûr… Je crois que c'est significatif que le ministre de la Coopération soit allé à Moroni, et je crois que c'est aussi la condition indispensable pour que le flux migratoire soit fortement atténué, si ce n'est enrayé.

Nous admirons la force de la population mahoraise et la détermination pour rester Français et devenir un peu plus Français s'il était besoin. Il faut qu'on donne satisfaction à cette revendication de vouloir définitivement, sur les symboles, devenir Français et rester Français. C'est un immense travail pour que la Collectivité de Mayotte puisse prendre en charge aussi toutes les responsabilités qui incombent aux collectivités dans le cadre de la décentralisation.

Michèle André, vice-présidente du Sénat :
Il y aura aussi des compétences inévitablement dévolues aux communes, c'est un point qu'il faut préciser, parce qu'être un département, c'est aussi tout l'équilibre démocratique. En tant que commission, nous avons pu entendre beaucoup de choses, y compris la question de l'intégration des agents, les questions de fiscalité, les questions autour de l'espérance d'entrée en Rup (Région ultrapériphérique européenne), alors que certains en voient déjà les inconvénients avant même d'y être, donc je crois qu'il y a beaucoup de choses. C'était un formidable moment de rencontres et d'échanges que nous avons eu avec tout le monde. Nous en avons tiré le meilleur pour pouvoir fédérer nos collègues de Métropole de manière un peu plus aboutie.

Jean-Jacques Hyest : Il y a un élément important qu'il faut souligner, c'est que pour que ça réussisse, il faut que tout repose sur la responsabilité de tous les acteurs et au premier chef des élus, puisque c'est le conseil général qui sera au cœur véritablement de cette avancée.

Yves Detraigne, membre de la commission sénatoriale : J'ajouterai que la population, le corps électoral devra être appelé à se prononcer sur le souhait ou non de départementalisation au printemps prochain. Je crois qu'il est important de dire que l'ensemble du corps électoral ait toute l'information sur les conséquences d'un tel choix. Parce qu'évidemment on rêve, et c'est compréhensible, d'avoir les mêmes droits, les mêmes moyens qu'on imagine de la Métropole, mais la départementalisation c'est des droits nouveaux, mais aussi des obligations nouvelles, des choses à prendre en charge et à assumer pleinement. Donc il faut que tout cela soit dit, soit connu. Il y a des responsabilités nouvelles autant que des droits nouveaux.

4 questions à la Commission des lois


"Il faut déjà connaître le nom, le prénom des personnes, savoir à qui appartient telle parcelle, la valeur de cette parcelle, comment trouver les personnes, l'adressage…"

Visiblement, on est en train de transformer l'essai…

Jean-Jacques Hyest : On est dans un processus. Ce n'est pas nous qui décidons. Il est prévu qu'il y ait un débat au Parlement à ce sujet, enrichi d'ailleurs par tout ce que nous avons appris, pour dialoguer avec le Gouvernement, avec Christian Poncet (le président du Comité de pilotage de la départementalisation). Et puis il y a toutes les informations et le travail fourni par l'administration de l'Etat et des collectivités à Mayotte. Tout cela pour dire : "Attendez, on adapte les conditions, la mise en œuvre des textes, la progressivité". Vous savez que pour les départements métropolitains, la départementalisation a été progressive. En 1982, on a décidé que les conseils généraux seraient l'exécutif, avant c'était le préfet. On était exactement dans la situation dans laquelle on est aujourd'hui, et c'est pratiquement la situation de toutes les collectivités d'Outremer.

Il y a encore des collectivités où c'est le préfet qui est l'exécutif. Et donc la décision ne veut pas dire que demain : "Allez, tout va être comme dans un département métropolitain". Ca serait de la folie. L'Etat doit accompagner cette mise en œuvre d'une décentralisation réussie et je dirais même être plus présent, assez paradoxalement, à cette période pour permettre des transitions et pour permettre l'évolution. Mais cela suppose un investissement des élus et d'énormes responsabilités.

La fiscalité locale permettra-t-elle de faire face à ces nouvelles responsabilités ?

Christian Cointat, rapporteur pour avis des crédits de la mission "Outremer" : Il ne suffit pas de faire un impôt nouveau pour en remplacer un autre, il faut aussi être en mesure de faire le recouvrement de l'impôt. Il faut donc être adapté aux mentalités, être adapté aux structures du pays et ce n'est pas simple, c'est un travail considérable. On évoquait tout à l'heure le problème de l'état civil : il faut déjà connaître le nom, le prénom des personnes, savoir à qui appartient telle parcelle, la valeur de cette parcelle, comment trouver les personnes, l'adressage. Tout cela, c'est quelque chose d'énorme si on change les dispositions fiscales, ce qui sera nécessaire quand le Code général des impôts devra s'appliquer.

Jean-Jacques Hyest : Ce qu'on oublie de dire, c'est que pour les départements d'Outremer, il y a des choses qui ne demandent pas d'adaptation : le droit civil, la justice, etc., mais pour d'autres choses, il peut y avoir des adaptations, compte tenu des contraintes et des spécificités. Et la contrainte principale, évidemment, c'est l'éloignement géographique. C'est d'ailleurs ce que la République a fait pour la Corse, qui est un territoire français comme les autres, mais avec des spécificités fiscales et autres.

Yves Detraigne : Même en Métropole, il peut y avoir des ajustements fiscaux, comme par exemple les zones de revitalisation rurale où la fiscalité n'est pas la même que celle du droit commun. Il y aura certainement des mécanismes comme ça qui pourront être mis en œuvre ici.

Les tribunaux de cadis vont-ils disparaître ?

Jean-Jacques Hyest : Il n'y a qu'une seule justice, c'est la justice de la République. Les cadis peuvent conserver un rôle mais pas rendre des décisions en ce qui concerne les biens et les personnes, certainement pas. Pas plus d'ailleurs qu'en ce qui concerne l'acquisition ou la cession de titres de propriété et les droits de succession. Ce n'est pas notre problème, nous on dit : "Ecoutez, si on est département, je suis désolé, la loi, les lois importantes qui sont celles de la République s'appliquent". A la limite la loi fiscale est celle de la République, mais il peut y avoir des adaptations dans des tas de domaines. En revanche il n'y a pas d'adaptation en ce qui concerne l'état des personnes, en ce qui concerne l'exercice de la justice.

Christian Cointat : C'est la définition du département, on ne peut demander une chose et vouloir qu'elle soit différente. Le département, c'est l'égalité du droit. Il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus mais ça ne se fera pas non plus du jour au lendemain. Ce n'est pas au niveau de la décision de justice mais au niveau de l'auxiliariat de justice qu'il peut y avoir un compromis, le cadi conserverait alors son rôle de conciliateur.

Et en ce qui concerne les droits sociaux, vont-ils également s'appliquer à Mayotte ?
Jean-Jacques Hyest :
Là aussi, il y a progressivité. C'est très compliqué, car les gens ont souvent des statuts très particuliers, très différenciés… Il faudra que la solidarité nationale joue un peu, comme cela a été le cas avec la Corse pour créer un régime de cotisations sociales. A partir du moment où vous êtes département français, il y a la solidarité nationale et la montée en puissance d'un régime de cotisations pour avoir les mêmes droits, mais aussi les mêmes obligations. Ca ne se fait pas du jour au lendemain, mais il faut bien reconnaître aussi que la difficulté n'est pas mince compte tenu de la grande pauvreté d'un certain nombre de Mahorais.

Propos recueillis par Julien Perrot

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