12/06/2009 – Etats généraux de l’Outremer

 

{xtypo_dropcap}P{/xtypo_dropcap}our cette première réunion publique, la commune de Dzaoudzi-Labattoir avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir comme il se doit les différents intervenants, tous parés de collier de fleurs. Lancés le 16 avril dernier à Mayotte, les Egom se veulent une réponse institutionnelle à la crise qu'ont traversée les Dom en février et mars derniers. Lundi il a surtout été question des retraites, car Mayotte connaît un régime spécifique dérogatoire au droit commun, "une situation inacceptable vécue comme une discrimination", a rappelé Mohamadi Bacar N'colo, le maire de Dzaoudzi-Labattoir, en ouverture de cette réunion.

Le préfet Denis Robin avait fait le déplacement pour écouter les doléances des habitants : "Aujourd'hui la parole vous est donnée pour dire si le groupe de travail est sur les bonnes pistes", a-t-il précisé, "la synthèse générale des débats sera ensuite transmise au gouvernement puis au Président de la République à la rentrée". Après avoir rappelé que les propositions de l'atelier s'inscrivent dans les règles du Pacte pour la départementalisation, il a ensuite cédé la parole à Michel Taillefer, le président de l'atelier n°5, qui a travaillé sur cette question des retraites avec la CSSM et les partenaires sociaux tous les mercredis depuis 6 semaines.

 

Un montant moyen de 300 € par mois, contre 600 € en Métropole

 

"La grande différence sur le montant moyen de 300 € par mois, contre 600 € en Métropole, tient pour une grande partie au plafond de cotisations qui est de 912 € à Mayotte, alors qu'il est de 2.859 € en Métropole", a-t-il analysé. Le régime de retraite de base des salariés, qui n'a été créé à Mayotte qu'en mars 1987, est en effet encore très loin des plafonds et des taux métropolitains et l'alignement progressif sur le droit commun risque de prendre encore plusieurs années, ce que l'atelier n'est pas parvenu à chiffrer précisément (voir tableau comparatif).

Pour les personnes qui ont travaillé avant 1987, la prise en compte des années d'activité exercées avant 1987 a été retenue sur justification de l'activité salariée… Mais on reste encore très loin des 40 annuités que doivent effectuer les salariés du secteur privé en Métropole pour avoir droit à une retraite à taux plein.

L'une des différences principales porte sur le niveau de la retraite de base à Mayotte (456 € maximum par mois) qui est nettement inférieur au niveau qui est assuré en Métropole (1.429 €). En outre, le plafond n'a pas été augmenté depuis 2004. "Ce blocage conduit à une incohérence car le minimum contributif est devenu supérieur au maximum de retraite", peut-on lire dans le document distribué au cours de la réunion.

 

Le plafond n'a pas été augmenté depuis 2004

 

"Si dans l'immédiat, compte tenu du faible nombre de retraités, le montant des cotisations couvre largement le montant des retraites versées, cette tendance va progressivement s'inverser avec l'augmentation du nombre de retraité qui auront acquis des droits à la retraite plus importants avec un nombre plus grand d'années de cotisations", signale également cette fiche de présentation.

Pour atteindre une convergence totale entre le régime de retraite applicable à Mayotte et le régime de retraite de base dont bénéficient les salariés au plan national, le montant des pensions versées devra être revalorisé et les plafonds ainsi que les cotisations devront être relevés.

Concernant le montant des retraites, l'atelier préconise que "durant une période transitoire à définir, le taux de revalorisation annuelle du montant des retraites à Mayotte pourrait être doublé par rapport au taux de revalorisation applicable au niveau national, jusqu'à ce que le montant de la retraite à Mayotte soit équivalent à la retraite du niveau national. Il est également proposé que pendant une période transitoire, pour les femmes, il soit tenu compte du fait qu'elles n'ont pas pu se constituer une carrière complète (maternité, faible taux d'emploi féminin…)".

 

"Il faudra des délais et avancer par paliers pour augmenter les cotisations de salariés"

 

Le plafond des cotisations fixé à 912 € devra être parallèlement relevé progressivement, ce qui "permettra de relever le montant des retraites versé, car le montant maximum correspond à la moitié du plafond de salaire soumis à cotisations". Pour cela, deux solutions sont envisagées : la première, soutenue par le Medef, consiste à relever le plafond au niveau du montant du Smig mahorais jusqu'en 2012. Dans cette hypothèse, la notion de montant de retraite maximale limitée à la moitié du plafond ne devrait plus être prise en compte.

La seconde solution, notamment proposée par la CFE-CGC, est un relèvement du plafond à un niveau supérieur équivalent par exemple à 2 fois le Smig mahorais (soit 1.854 €), de manière à relever sensiblement le montant de retraite. Afin de préserver l'équilibre économique des entreprises, les cotisations pourraient être assises provisoirement sur un montant de salaire avec un abattement qui serait relevé progressivement. Enfin, concernant les taux de cotisations, ils sont déjà proches de ceux pratiqués en Métropole au niveau des employeurs, de l'ordre de 10%. Par contre, en ce qui concerne les salariés, ce taux devra passer de 4 à 6,75%.

"Il conviendrait de coupler ce relèvement du taux de cotisation avec l'évolution du Smig mahorais durant la période nécessaire pour parvenir à la convergence totale avec le Smic national", préconise l'atelier, qui estime qu'"attendre pour revaloriser ce montant de cotisation que la convergence Smig/Smic ait été atteinte pourrait conduire à des diminutions de salaire net. Alors que mettre en œuvre cette revalorisation pendant la période de convergence du Smig n'entraînera pas de diminution de salaire net".

 

"Si on va trop vite, on risque de toucher au niveau de vie des familles"

 

Pour répondre aux questions pressantes de l'auditoire, qui a demandé par exemple : quand quelqu'un qui touche 3.000 € par mois aura-t-il droit à plus de 500 € de retraite ?, Jean-Paul Aygalent, le directeur de la DTEFP et rapporteur de l'atelier, a précisé que "quel que soit le système choisi, il faudra des délais et avancer par paliers pour augmenter les cotisations de salariés parallèlement à l'évolution du Smig". M. Taillefer a aussi martelé plusieurs fois le fait que les salariés et les patrons devront mettre la main à la poche quand les plafonds et les taux seront revalorisés.

"Plus on voudra augmenter les retraites des bacocos, plus il faudra demander que les jeunes cotisent", a résumé le préfet. "Le risque est que certains gros employeurs, dans la grande distribution par exemple, embauchent moins de salariés, avec des charges plus importantes. Si on va trop vite, on risque de toucher au niveau de vie des familles", a-t-il prévenu.

 

"Il ne faut plus que nos parents viennent mendier chez nous"

 

Pour l'instant, le financement du régime de retraite de base des salariés à Mayotte est excédentaire : les cotisations perçues couvrent largement le montant des retraites versées car le nombre de retraités est encore réduit et que le nombre d'années de cotisation dont ils justifient est faible. Cet excédent, de l'ordre de 19 millions d'euros par an, va aujourd'hui directement dans la caisse nationale vieillesse.

Le député Abdoulatifou Aly, a ensuite demandé la parole pour affirmer que "si nous voulons un département, c'est pour avoir les mêmes règles et les mêmes avantages. Tout le monde doit avoir droit à la retraite : si en Métropole, on a toujours droit à quelque chose, ici aussi". Selon lui, le montant moyen des pensions à Mayotte n'est que de 150 € par mois, "une situation inacceptable pour nos parents alors que c'est grâce à eux que nous avons des salaires plus élevés. Il ne faut plus que nos parents viennent mendier chez nous. Il leur faut un montant décent. Nous, jeunes, devons accepter le déplafonnement, la seule solution pour avoir les mêmes droits".

Même si ces débats très techniques ont été difficilement compréhensibles pour les personnes présentes, et ce malgré les traductions en shimaoré, force est de constater l'engouement de la population pour ce type de démocratie participative, au vu de la pertinence des questions et des interventions, et de l'enthousiasme suscité par cette première réunion publique des Egom.

 

Julien Perrot

 


 

Le régime de retraite complémentaire obligatoire, toujours inexistant à Mayotte

Il n'existe pas à Mayotte de régime de retraite complémentaire des salariés, comme cela est le cas en Métropole avec les régimes Arcco (ensemble des salariés) et Agirc (cadres). En Métropole, ces régimes obligatoires représentent des compléments conséquents, qui correspondent par exemple à environ 22% de la retraite totale pour un salarié qui gagnait 2.000 € par mois.

L'atelier n°5 a mis en exergue le fait que la mise en place de régimes de retraite complémentaire relève en premier lieu de la volonté des partenaires sociaux et ne dépend pas d'une décision de l'Etat qui ne peut que légiférer dans un deuxième temps pour valider et encadrer le dispositif. A Mayotte, la commission consultative du travail pourrait être l'instance de concertation adaptée pour que les partenaires sociaux parviennent à s'accorder sur ce régime complémentaire.

Les taux des cotisations pour le seul régime Arcco applicables en Métropole et dans les Dom s'élèvent à 3,93% pour la part salariale et 5,92% pour la part patronale. "Une mise en place immédiate ne peut s'envisager sans avoir au préalable apprécié les coûts que cela induirait et la capacité des entreprises et des salariés à les supporter", prévient l'atelier. "Une mise en place progressive avec un système facultatif dans un premier temps et qui serait à terme rendu obligatoire devrait être étudié".

"L'une des premières conditions pour que l'Arcco et l'Agirc puissent intervenir à Mayotte serait que le régime de base de Mayotte soit considéré comme partie intégrante du régime général national. Il conviendrait d'étudier comment la CSSM pourrait servir de relais local aux régimes Arcco et Agirc sur des sujets tels que la collecte des cotisations, afin de limiter les coûts de gestion de ces régimes".

 

Le régime de retraite des travailleurs indépendants reste à construire

Le RSI (régime social des indépendants), en vigueur en Métropole et dans les Dom, n'existe pas à Mayotte. Les anciens travailleurs indépendants, artisans, commerçants, professions libérales ne bénéficient pas à Mayotte d'un système de retraite. Ils peuvent néanmoins bénéficier de l'Aspa (Allocation de solidarité aux personnes âgées), s'ils n'ont pas d'autre revenu par ailleurs.

A Mayotte, les travailleurs indépendants peuvent bénéficier d'un régime d'indemnisation en maladie et des allocations familiales avec des cotisations de 4% assises sur l'ensemble des revenus et de 2% sur les dividendes perçus. Toutefois, seulement 20% environ des personnes assujetties cotisent réellement.

En Métropole, le régime de retraite des travailleurs indépendants géré par le RSI repose sur des cotisations correspondant à 16,55% pour la retraite de base et 7,1% pour la retraite complémentaire. Le régime de retraite de base et le régime complémentaire des travailleurs indépendants ont un caractère obligatoire en Métropole.

La mise en place d'un régime de retraite pour les artisans commerçants et professions libérales à Mayotte est unanimement souhaité par les membres de l'atelier représentant ces professions : Medef, CGPME, FMBTP, Capeb et Chambre des métiers. La mise en place d'un tel régime devrait tendre à terme vers une intégration dans le système national de retraite des travailleurs indépendants. Un système transitoire doit permettre de prendre en compte une progressivité contributive qui reste accessible pour les travailleurs indépendants concernés.

"La mise en place d'un régime transitoire obligatoire apparaît acceptable, si les cotisations demandées ne sont pas supérieures aux cotisations versées par les salariés (cotisations salariales et patronales)", souligne l'atelier. "Le régime social des indépendants au niveau national doit être contacté pour qu'il apporte son expertise sur les possibilités d'extension de son intervention à Mayotte, les modalités de partenariat avec la CSSM et les conditions de mise en œuvre progressive de son intervention. Les modifications juridiques qui devraient être éventuellement apportées au statut, à l'organisation, aux principes d'intervention de la CSSM doivent également faire l'objet d'une expertise".

 

Comparaison des régimes de retraites des salariés Mayotte/Métropole :

 

La retraite de base des salarié

Métropole

 Mayotte

Plafond de cotisation

2.859 €

912 €

Taux de cotisation

Salaire plafond 6% salarié

8,3% employeur

Totalité du salaire 0,1% salarié

1,6% employeur

Salaire plafond

4% salarié

10% employeur

Salaire validant un trimestre

1.742 €

1.098 €

Maximum retraite

1.422,50 €

456 €

Minimum contributif

590,33 €

463,91 €

Majoration pour tierce personne

1.029,10 €

néant

Majoration pour conjoint à charge

50,80 €

néant

Majoration de pension si + de 2 enfants

10%

néant

Prélèvement sur pension

     CSG : 6,6% ou 3,8%

     CRDS : 0,5%

Maladie 2%

Smic/Smig

1.471,99 €

927,81 €

 

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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