{xtypo_dropcap}P{/xtypo_dropcap}remièrement, je recense de nombreuses confusions et approximations qui peuvent attiser des tensions sociales, voire raciales entre les différentes communautés vivant à Mayotte. En effet, soit vous ignorez, soit vous occultez volontairement les pratiques coloniales et néocoloniales de la France dans les îles et dans les territoires anciennement colonisés. Deuxième, je réagis surtout parce que j’ai la conviction que l’avenir de Mayotte s’inscrit dans la mise en valeur de la diversité de la population qui la compose et dans le rapprochement des communautés qui y vivent.

A cet effet, il ne s’agit pas d’oublier les injustices dont les Mahorais ont été victimes ou qu'ils continuent à subir, puisque ce sont des faits réels et vérifiables qui ont marqué notre Histoire et notre vécu. Il s’agit plutôt de créer les conditions pouvant favoriser la mixité dans les domaines économique, social et culturel et développer la complémentarité professionnelle et interprofessionnelle. Effectivement, nous ne pouvons pas prétendre construire Mayotte sans les Mahorais. De même, il serait inconscient et peu réaliste de croire que la construction de Mayotte est une affaire de Mahorais exclusivement. La réussite du développement de l’île exige la participation de toute sa population et plus particulièrement de la catégorie la plus formée.

Or, en créant la confusion dans votre article par l’utilisation volontaire ou non de certaines expressions et notions à l’adresse des Mahorais en général et des élus en particulier, vous risquez de réveiller de vieux démons et de transformer des tensions actuellement latentes en véritables conflits ouverts entre les Mahorais et les autres communautés.

Pour l’intérêt des lecteurs de Mayotte Hebdo, je vais reprendre certaines expressions et notions utilisées dans votre article et leur donner la définition partagée par un grand nombre de Mahorais.

Pour vous, "la préférence locale" est synonyme ici de discrimination positive et elle constituerait un prétexte pour les élus pour virer les Métropolitains du conseil général et des postes de responsabilités. C’est quant même gros; l’expression elle-même n’est pas une invention mahoraise. En plus la notion de "préférence locale" est constitutionnelle. Elle signifie qu’à compétences égales entre concurrents en matière d’emplois, la priorité est donnée aux autochtones. Dans ce domaine, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie Française constituent d’excellents exemples puisque la loi garantit explicitement cette préférence locale. Même si elle n’est pas institutionnalisée, la pratique de la préférence locale en matière d’emplois est très courante dans les régions et départements de Métropole. J’y ai vécu dix ans, je parle donc en connaissance de cause. Prenons pour illustration l’exemple de nos lycéens et étudiants dont les demandes de stages sont régulièrement rejetées, essentiellement parce qu’ils ont la peau un peu mate. Pourtant, ils sont bien Français. Et pour qu’un Mahorais puisse espérer décrocher un job dans ces régions, il lui faut s’orienter vers les métiers de la plonge ou de la manutention.

Par ailleurs, vous affirmez qu’il existe "une campagne d’éradication des M’zungus qui occupaient des postes de direction au conseil général et au sein de ses structures satellites". Soyons honnêtes, ces cadres supérieurs avaient signé des contrats à durée déterminée et occupaient des postes fonctionnels. Il n’a jamais été écrit nulle part qu’au terme de leur contrat ces directeurs et directeurs généraux allaient être automatiquement renouvelés ou remplacés par des homologues métropolitains. Même si pendant des années la tendance allait dans ce sens. En tout cas si tel était le cas, cette décision serait illégale et raciste.

Je peux également affirmer sans beaucoup de risque de me tromper que les cadres supérieurs métropolitains comme mahorais qui ont exercé au conseil général n’étaient pas forcement tous compétents. La légalité et l’efficacité n’était non plus leur première préoccupation. Il y a eu effectivement quelques professionnels qui étaient excellents. Mais beaucoup d’autres n’étaient pas à leur place.

Combien de fois Jean Pierre-Rousselle se plaignait devant nous du travail de son prédécesseur ? Alors que ce dernier a battu tous les records de longévité au poste de DGS local. Il était même censé préparer la décentralisation. Quant aux cadres mahorais que vous citez dans votre article, il se trouve que je les connais personnellement et je les ai connus quasiment tous avant leur arrivée au conseil général. C’est moi qui ai débauché Archadi Abassi du Crédit agricole pour lui confier la direction des finances à la mairie de Mamoudzou lorsque j’y assumais les fonctions de DGS de 1997 à 2001.

J’ai beaucoup d’estime pour l’ensemble de ces cadres. Mais hélas, tout cadre supérieur qui se respecte et digne de ce nom sait pertinemment qu’il occupe un poste éjectable. En cas de changement de majorité et/ou d’équipes, les remaniements sont inévitables. Pour certains d’entre eux, les placards s’ouvrent grandement. Beaucoup d’autres prendront la porte. C’est un principe universel. Celui-ci a atteint son paroxysme aux Etats-Unis. Dans ce pays, c’est toute l’administration qui déménage.

Au conseil général comme ailleurs, en France comme dans le reste du monde, les élus et les gouvernants pratiquent la même philosophie dans ce domaine. Personnellement en 2001, dès l’élection du nouveau maire de Mamoudzou, celui-ci m’a prié de faire mes bagages. Chihaboudine Ben Youssouffa avait subi le même sort avant moi. En 2008, Toihir Ben Youssouffa, aujourd’hui DGA au conseil général, a connu la même mésaventure avec l’actuel maire de Mamoudzou.

Au Sieam, le nouveau président n’a pas failli à la règle. Il a viré son DGS, Saidali Mahafourou. Et pourtant, tous ces cadres supérieurs sont d’excellents professionnels. Et dans les cas suscités, ni les salariés remerciés, ni les employeurs ne sont des Métropolitains. Ce sont des Mahorais qui ont licencié d’autres Mahorais. Et aucune voix ne s’est levée pour protester.

Pour nos lecteurs je me permets de rappeler que l’exécutif de la Collectivité était exercé par le préfet jusqu’en 2004. Durant toute cette longue période, aucun Mahorais n’a été nommé au poste de directeur ou de chef de service de la Collectivité ou de ses satellites. Il a fallu, lorsque j’étais président du conseil d’administration de la Sim, user d’une énergie exceptionnelle et m’appuyer sur de nombreux soutiens pour arriver à imposer la nomination d’un directeur général mahorais à la tête de cette société mixte. A ma connaissance et ce jusqu’à ce jour de mars 2010, aucun service de l’Etat à Mayotte n’est dirigé par un Mahorais. Pour Eric Le Tanneur, ce résultat désespérant s’explique par le fait qu’il n’existe aucun Mahorais compétent sur le marché de travail pour ces postes.

Alors qui est responsable de cet échec ? A quoi ont servi les 150 ans de présence française à Mayotte ? Où sont passés les 4,5 millions d’euros (30 millions de francs) qui étaient inscrits dans le Contrat de plan Etat-Mayotte 2000/2004 destinés à la formation de 300 cadres mahorais ? Il faudrait justement poser la question à André Dorso, le secrétaire général de la préfecture en exercice à l’époque. Si l’objectif du Contrat de plan Etat-Mayotte avait été poursuivi, comme prévu initialement jusqu’à son terme, André Dorso n’aurait jamais été directeur général des services de la Collectivité départementale de Mayotte. Le problème d’ostracisme évoqué par Eric Le Tanneur n’aurait jamais existé non plus.

Je trouve par ailleurs que l’affirmation selon laquelle les agents éliminés l’ont été parce qu’ils "menacent le tranquille pillage de la manne métropolitaine" assez scandaleuse et méprisante à l’égard de la population locale. En effet, l’utilisation de la notion "la manne métropolitaine" a pour but de faire comprendre et rappeler aux Mahorais que leur train de vie actuel, ils le doivent exclusivement aux contribuables métropolitains.

La présence des "irréprochables" cadres métropolitains et "mahorais métropolisés" empêche le détournement de ces fonds par des élus peu scrupuleux. C’est du racisme et du mépris tout simplement. Naturellement à Mayotte, comme dans le reste du territoire national, il existe un certain nombre d’élus qui essaient de profiter de leur statut pour s’enrichir ou tirer des avantages personnels substantiels; même si dans ce registre les élus mahorais restent des petits apprentis comparés à leurs collègues de Métropole et d’ailleurs, ces pratiques sont indignes et condamnables. Et la Justice doit faire son travail à chaque fois que des cas similaires se présentent.

Ma dernière observation concerne l’appartenance de Mayotte à la France. Effectivement, Mayotte est française et elle le restera. Le Président de la République Nicolas Sarkozy l’a répété et a longuement insisté sur ce point lors de sa visite dans notre île. Donc nous sommes tous Français. Et vous aviez raison de penser que conformément à la Constitution nous avons tous les mêmes devoirs. En revanche, à Mayotte l’égalité des droits reste une fiction. C’est l’inégalité de traitement qui prime entre Français de Mayotte et Français de Métropole dans beaucoup de domaines. Et notamment dans le domaine économique et social, le Mahorais est Français à 80% seulement. Même le gouvernement a reconnu dans son Pacte pour la départementalisation que l’égalité sociale n’est concevable que dans 25 ans. C’est une décision inacceptable. Mais j’ai confiance dans l’avenir et dans la jeune génération pour le rétablissement sans délai de l’égalité et de la parité entre Français que nous sommes.

Il m’a semblé nécessaire de faire cette mise au point pour ne plus y revenir. En effet, le passé doit juste nous éclairer et nous empêcher de reproduire les erreurs connues. Je préconise de consacrer l’essentiel de nos efforts et de nos énergies à la construction d’un avenir meilleur. Il est temps de comprendre que compte tenu du choix que nous avons adopté Mahorais, Métropolitains, Indiens et les autres, nous sommes condamnés à vivre ensemble pour le meilleur et pour le pire.

A ce titre, deux options s’offrent à nous : continuer à conserver nos a priori et nos méfiances, à cultiver nos différences et à chercher continuellement à régner sur les cendres de l’autre, jusqu’au jour où nous nous apercevrons que notre île s’est transformée en un gigantesque enfer où tout brûle à cause de nos égoïsmes et de nos bêtises. Ou bien accepter de se regarder en face, de reconnaître "que nos différences, loin de nous appauvrir, nous enrichissent", d’admettre que nos destins sont désormais liés, de valoriser les points qui nous rassemblent, de mutualiser nos moyens, nos expériences et nos connaissances afin de mieux réussir le développement économique et social de notre île.

Pour ma part, j’ai l’ultime conviction que parce que nous sommes des hommes et des femmes rationnels et pragmatiques et parce que nous avons à coeur l’avenir de nos enfants, nous opterons pour la deuxième solution, celle qui peut faire de Mayotte une île paradisiaque dans l’océan Indien, pour notre plus grand bonheur.

 

 

Bacar Ali Boto

Ancien 1er vice-président du conseil général

Ancien DGS de la commune de Mamoudzou

Ancien président du CA de la Sim

Président de l’Alliance pour un développement maîtrisé et solidaire