11/09/2008 – Carte Postale : Les Tortues

Isabelle m'a appris que l'apparition des tortues datait de 230 millions d'années, et qu'elles ont même survécu à l'extinction des dinosaures il y a 65 millions d'années ! A l'époque, elles étaient beaucoup plus grandes – on a retrouvé des fossiles de 4 mètres de long – mais elles sont restées quasiment identiques aujourd'hui et on les retrouve sur tous les continents.

Malheureusement, sur les 300 espèces de tortues terrestres, marines et d'eau douce, 200 sont en voie de disparition… Ce qui est le cas des 8 espèces de tortues marines dans le monde, dont 5 sont présentes dans l'océan indien et 2 à Mayotte : les tortues vertes et les tortues imbriquées. Les tortues caouanne, olivâtre et luth auraient également été observées hors du lagon.

MAGAZINE / Carte Postale - Les TortuesUne fois adulte, les tortues mangent des phanérogames, les herbes des herbiers, et rien qu'à N'gouja, il y en a 7 sortes ! L'association d'Isabelle a mis en place un chenal de bouées au mois de janvier pour empêcher que l'herbier disparaisse à cause du piétinement des baigneurs. J'ai aussi appris que depuis 10 ans, l'Observatoire des tortues marines a bagué plus de 10.000 tortues à Mayotte, dont 300 sont des imbriquées.

Les plus courantes sont les tortues vertes : elles mesurent plus d'un mètre, pèsent 150 kg et ont 2 écailles entre les yeux. La tortue imbriquée, beaucoup plus difficile à observer car elle pond plus vite, est plus petite et elle a 4 écailles entre les yeux. Dans le musée, il y avait une carte qui mettait en évidence la chute vertigineuse du nombre de plages fréquentées par les tortues : en 1972, l'étude Frazier avait recensé 45 sites de ponte, alors qu'aujourd'hui, il n'y en a plus qu'une dizaine, à cause de l'urbanisation, de la pollution, de la détérioration des herbiers, mais aussi du braconnage et des prises accidentelles des pêcheurs dans leurs filets.

Aujourd'hui, il y a encore 800 montées de tortues par an à Moya, et c'est justement là-bas que Mathias m'a emmené hier soir, après m'avoir demandé de m'habiller avec des vêtements sombres. Nous avons rejoint un couple qui était accompagné par une amie en vacances, venue admirer les richesses naturelles de Mayotte dans un cadre qui respecte les valeurs de l'écotourisme, prônées par Mathias depuis la création de son agence Bleu Ylang il y a bientôt trois ans.

Au clair de lune et autour d'un plat de samossas, Mathias m'a expliqué que les nouvelles prédations subies par les tortues sont dangereuses car leur équilibre est déjà fragile. Les prédateurs apportés par l'homme, comme les meutes de chiens errants et les rats qui mangent les œufs, s'ajoutent aux prédateurs naturels que sont les crabes, les oiseaux et les petits requins de récif. En plus, les tortues marines ne savent pas rentrer leurs pattes et leur tête dans leur carapace, ce qui les rend très vulnérables quand elles sont à terre pour pondre.

J'ai été très étonné d'apprendre que les tortues qui pondent et se reproduisent ne sont pas les mêmes que celles qui se nourrissent sur les herbiers, car elles ont deux zones de vie bien distinctes, l'une consacrée à la reproduction, l'autre à la nutrition, situées à des centaines de km l'une de l'autre, voire même éloignées de plus de 1.000 km !

Le plus étrange, c'est que les tortues reviennent toujours pondre sur la plage sur laquelle elles sont nées. Lors de l'émergence, quand les 100 à 200 œufs éclosent en même temps environ 50 jours après avoir été pondus, la nuit les bébés sont attirés par la faible lueur de l'horizon pour se diriger vers la mer. Tout comme lors de l'approche des pondeuses aux abords de la plage, il ne faut surtout pas utiliser de lampes torches ou de flash pour ne pas perturber le cycle naturel.

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Une fois qu'il a atteint l'eau, le bébé tortue va dériver pendant plusieurs mois hors du lagon, dans le désert océanique où il va se cacher dans de petits écosystèmes, comme des bois flottants ou des bancs d'algues, et se nourrir de zooplancton et de petits crustacés. Quand il atteint 20 cm, il va commencer à se rapprocher des côtes et devenir herbivore.

Ce n'est qu'à l'âge d'une douzaine d'années (elle mesure alors 50 cm) que la tortue atteint la maturité sexuelle. Elle va alors migrer pour retrouver sa plage de naissance pour se reproduire. Mathias m'a raconté qu'on ne comprend toujours pas très bien le mécanisme, peut-être que ce sont la position des étoiles, les lignes magnétiques terrestres ou encore les odeurs qui la guide. Toujours est-il que la tortue va se reproduire pendant 3 à 4 mois à Mayotte, période pendant laquelle elle ne mangera plus et vivra sur ses réserves, puis retourner vers sa zone d’alimentation pendant 3 ans avant de revenir pour un nouveau cycle.

Elle continuera ainsi jusqu'à sa mort, vers 60 ans…

Les femelles font une montée tous les 20 jours environ, ce qui fait qu'elles vont pondre en tout 1.000 à 1.500 œufs chacune ! Les mâles profitent de leur épuisement après la ponte pour aller les féconder dès leur retour à l'eau… L'accouplement dure plusieurs heures, parfois en surface, et la femelle peut conserver la semence du mâle dans une poche pendant plusieurs jours et décider elle-même du moment le plus propice pour la fécondation.

Après le récit de cette histoire, Mathias nous a emmenés sur la plage où des gardiens-animateurs employés par le service environnement du conseil général étaient chargés d'accueillir le public non encadré (pour leur dire d'étendre leurs lampes !) et de mesurer et baguer les tortues pondeuses. Mathias m'avait prévenu qu'il fallait être patient pour pouvoir observer une ponte, mais nous avons eu beaucoup de chance : une tortue était déjà en train de creuser sa cavité corporelle juste derrière nous ! Avec ses deux pattes avant, elle projetait du sable très loin, et même des roches allant jusqu'à 1 kg, pour pouvoir installer son énorme carapace et se camoufler. Tant qu'elle n'a pas entamé la ponte proprement dite, la tortue est très méfiante et peut s'arrêter à tout moment si elle sent un danger. Grâce à la lunette à infrarouges de Mathias, j'ai pu la regarder à distance sans la déranger.

MAGAZINE / Carte Postale - Les TortuesMais dès qu'elle a commencé à creuser le puits de ponte avec ses pattes arrière, elle terminera son travail jusqu'au bout, même si elle est entourée d'observateurs curieux : ce n'est qu'à ce moment-là qu'on peut l'approcher. Une fois le puits de 40 cm de profondeur et 30 cm de large creusé, elle va déposer du mucus pour humidifier le nid. Elle va pondre les œufs pendant une demi-heure, qui ne cassent pas car leur coquille est molle : on dirait des balles de ping-pong ! La tortue rebouche ensuite le puits sans trop tasser avec ses pattes arrière, puis fabrique un leurre avec ses pattes avant : elle va faire une petite butte et un faux trou pour tromper les prédateurs. Pendant l'incubation des œufs qui dure 40 à 60 jours, la température va décider du sexe des futurs petits : s'il fait moins de 24 °C, ce seront plutôt des males qui sortiront de terre.

Quand nous sommes repartis, il y avait trois autres tortues qui se hissaient péniblement sur la plage autour de nous pour accomplir à leur tour leur tâche. Parfois, elles creusent à l'endroit où il y a déjà eu un nid et elles le détruisent pour le remplacer par le leur. Alors que je prenais la barge pour rentrer chez moi, je me suis dit que j'avais vraiment eu de la chance d'assister à un tel spectacle, qui deviendra de plus en plus rare si on ne fait rien pour protéger l'environnement naturel unique de Mayotte.

 

Je t'embrasse très fort, chère maman,

Julien

 

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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