11/06/2010 – Entretien avec Toillal Abdourraquib

 

 

{xtypo_dropcap}I{/xtypo_dropcap}l dénonce l'absence de projets associatifs en cohérence avec les politiques communales, des subventions qui ne servent qu'à financer le "train de vie" des associations, l'organisation de voulés et de voyages de complaisance à Madagascar et aux Comores, l'absence de contrôle des fonds déjà alloués, et un risque de dérives financières très élevé. Il accuse même la municipalité de favoritisme et de prise illégale d'intérêt au sujet de la subvention de 40.000€ attribuée à l'Association des agents communaux… dont certains élus sont membres.

 

Mayotte Hebdo : Pourquoi avez-vous décidé d'envoyer ce courrier au préfet lui enjoignant de demander au contrôle de légalité d'annuler la délibération du dernier conseil municipal attribuant les subventions aux associations ?

Toillal Abdourraquib : Il y a deux raisons. La première, c'est que nous traversons en ce moment une crise financière et économique très grave dans la Collectivité de Mayotte, et il y a une obligation de gérer les fonds publics à bon escient. C'est aberrant de distribuer des subventions à un certain nombre d'associations sans qu'il y ait un projet à l'appui duquel ces fonds là peuvent être versés. 70 associations ont été sélectionnées par la mairie de Mamoudzou et on leur a donné une part de gâteau, sans qu'il y ait une définition précise et claire de ce que veut faire la commune de Mamoudzou en termes d'animation dans les quartiers, de prise en charge de la jeunesse.

 

"Ce n'est pas un objectif communal d'organiser des voulés !"

 

La deuxième raison, c'est que je considère qu'il faut faire en sorte que ça rentre dans la mentalité des élus qu'ils ont une obligation de bonne gouvernance. Si une association demande une subvention publique, il faudrait d'abord qu'il y ait des bases claires. Qu'est-ce que cette association va faire de la subvention qu'on lui a allouée ? Or, dans le cas précis, il n'y a aucune association qui présente un projet en bonne et due forme, qui définit une démarche cohérente dans la mise en œuvre de ce projet et ils ont de l'argent sans qu'on sache ce qui est fait de cet argent.

Des fois on organise des petits voulés quelque part pour que les gens se retrouvent, mais non, ce n'est pas un objectif communal, d'organiser des voulés ! L'objectif communal, c'est de structurer le réseau associatif de manière à ce qu'il y ait une émulation pour lutter contre la délinquance, pour développer les activités sportives et culturelles. Ce n'est pas de donner de l'argent comme ça, sans qu'il y ait des directives données par la mairie.

 

"Il n'y a jamais eu d'appels à projets associatifs"

 

MH : Ces subventions, qui doivent normalement servir de levier d'accompagnement aux associations qui doivent produire leurs ressources propres, ne servent donc qu'à financer leur "train de vie" ?

TA : Oui. On donne de l'argent à l'association et elle est libre d'en faire ce qu'elle veut. Or, ce n'est pas la mission de la mairie, qui a l'obligation de définir une politique. Lors de l'appel à projets associatifs lancé par une mairie, celles qui ont le profil et qui y répondent au mieux peuvent bénéficier de la subvention. Mais il n'y a jamais eu d'appels à projets ici. Un élu donné va dire : "Tiens, j'ai telle association dans le quartier", il met deux bouts de papiers sous l'aisselle, et demande tant d'argent pour que cette association fasse de l'animation. Il n'y a pas de politique claire définie par la commune en termes de vie associative.

 

"Je ne suis pas contre les associations. Je suis contre les aberrations de gestion"

 

MH : Selon vous, quels sont les critères définis par la mairie pour attribuer les subventions ? Est-ce qu'ils sont clientélistes ou objectifs ?

TA : Non, il n'y a pas de critères objectifs. Un élu de quartier identifie une association, par exemple qui fait du m'biwi, et lui demande de monter un dossier qu'il va défendre au conseil municipal pour qu'elle ait une subvention. C'est donc donné en fonction des affinités de proximité avec les élus en question. Ces subventions ne sont pas attribuées parce que nous attendons un impact sur la société. Par exemple, pour organiser des activités sportives pour qu'il y ait une excellence, pour mener une action pour l'insertion des jeunes désœuvrés… mais il n'y a pas ça.

La mairie doit définir des critères objectifs pour attribuer ces financements : d'abord que l'association existe réellement, c'est-à-dire avec des statuts, des dirigeants, un plan comptable, et qui évolue selon les normes définies par la loi. Ensuite il faut se demander : est-ce que l'objet social de cette association répond à la politique de la commune ? Est-ce qu'elle contribue à régler certaines difficultés dans les quartiers ?

Je ne suis pas contre les associations. Je suis contre les aberrations de gestion. Les associations ont la charge de mettre en place les politiques publiques dans les quartiers.

 

"Aucun bilan financier des fonds alloués n'a jamais été déposé"

 

MH : Vous dénoncez également l'absence de contrôle des fonds qui ont déjà été alloués, évoquant l'organisation de voulés ou de voyages de complaisance à Madagascar et aux Comores sans aucune retombée positive pour les administrés…

TA : Oui, le contrôle est inexistant aujourd'hui. Il y a beaucoup d'associations qui reçoivent des subventions tous les ans, mais quand elles déposent leur dossier de demande de subvention de l'année n+1, elles n'ont pas déposé leur bilan de l'année n, pour savoir comment elles ont utilisé ces fonds. C'est pourtant une obligation légale : l'article L2251-4 du code général des collectivités territoriales oblige les associations à déposer un bilan financier à chaque fois qu'elles demandent une nouvelle subvention.

Il faut qu'on sache quels sont les frais de fonctionnement et comment est gérée l'association. Quand on donne des fonds publics, il y a l'obligation de rendre compte de la façon dont l'argent a été utilisé. Il n'y pas d'automaticité, la commune donne, mais avec une convention qui fixe les conditions d'utilisation des fonds. Or, aucun bilan n'a jamais été déposé.

 

MH : Vous évoquez aussi des subventions versées sur des comptes bancaires tiers qui n'appartiennent pas directement aux associations…

TA : Oui. Récemment, l'agent de la mairie qui est en charge de l'instruction des dossiers a été pris à parti par des associations qui n'avaient pas eu leur subvention. Il leur a répondu que c'est parce que leur association n'avait pas de Rib, et qu'on ne paie pas cash. Il fallait donc verser à une autre association qui reverse ensuite les fonds, ce qui est illégal.

S'ils n'ont pas de Rib, ça veut dire qu'ils n'ont pas officiellement renouvelé le bureau lors de leur dernière assemblée générale : ils ne l'ont pas déclaré à la préfecture, ne sont pas allés à la banque pour mettre à jour le titulaire de leur compte, c'est pourquoi ils n'ont pas de Rib. En attendant, on verse à une autre association qui doit leur reverser la subvention en espèces. Il y a donc de gros risques de dérives financières. On n'a pas le droit de subventionner une association qui va en subventionner une autre ! Le fait que ça transite par un compte tiers avant d'arriver à l'association qui figure dans une délibération officielle du conseil municipal, c'est illégal.

 

"Il y a même le maire et des adjoints au maire qui voyagent grâce à cette association pour aller à Madagascar et faire du tourisme"

 

MH : Vous accusez même le conseil municipal de favoritisme et de présomption de prise illégale d'intérêt au sujet de la plus grosse subvention attribuée : les 40.000€ versés à l'Association culturelle et sportive des agents de la municipalité de Mamoudzou (ACSAMM), dont certains élus sont membres…

TA : Il y a 70 associations dans la commune de Mamoudzou qui ont été subventionnées. Certaines existent, sont actives et font des compétitions tous les week-ends ou presque. Il y en a d'autres qui dorment et un jour, on entend qu'ils font du m'biwi, un autre jour du chigoma, une autre fois qu'ils sont partis à Madagascar parce qu'ils ont reçu une subvention. Ce n'est pas normal.

Sur les 224.000€ budgétisés, l'Association des agents de la commune de Mamoudzou en a eu 40.000€, c'est-à-dire presque 20% du budget. Les autres associations qui sont structurées, qui donnent des résultats comme l'association de football de Rosador, celle de Kawéni, le FCM de M'tsapéré qui sont les champions de Mayotte et qui vont même faire des compétitions en Métropole, on leur donne 4.000€ ! Ils ont pourtant besoin d'équipements, de matériel, de rafraîchissements durant les matchs. Et l'Association de la mairie, qui n'a aucune activité, qui fait une activité une fois par an, on lui donne 40.000€. Qu'est-ce qui se cache derrière ? Pourquoi ce privilège ? Pourquoi favoriser une association parce qu'elle est constituée des agents de la mairie ? Elle n'a pourtant aucun impact direct sur la vie associative. C'est malsain. Ca n'a pas de sens.

Je considère que c'est une prise illégale d'intérêt parce qu'il y a même le maire et des adjoints au maire qui voyagent grâce à cette association pour aller à Madagascar et faire du tourisme, prétextant qu'ils vont faire des compétitions sportives. Si le préfet ne réagit pas, je saisirai le tribunal administratif.

 

"La plupart de mes collègues n'ont pas conscience d'être dans l'illégalité"

 

MH : Selon vous, comment se fait-il que vous soyez le seul élu, sur les 45 que compte le conseil municipal, à être choqué par ce fonctionnement ?

TA : Vous me forcez à être désagréable vis-à-vis de mes collègues. A chaque vote de budget depuis deux ans, j'ai attiré leur attention en disant qu'il faudrait qu'on revoie nos critères d'attribution des subventions aux associations. Ce n'est pas normal. Je sais que c'est dilapidé. Je suis du village et je sais ce qu'il s'y passe. Je sais que cela va avoir des retombées politiques. Déjà, ça fuse de partout, on dit : "C'est Toillal Abourraquib qui ne veut pas que nos associations aient des subventions, il veut que nos associations meurent". J'assume.

Je crois qu'ils n'ont pas pris conscience de la gravité de la situation. Je suis désolé de dire que la plupart de mes collègues sont des "bras cassés", parce qu'ils ne connaissent pas la démarche. Ils ont été élus mais ils n'ont pas le savoir, ils ne savent pas qu'ils peuvent se heurter à un mur qu'on appelle la loi, la compétence, le savoir-faire. Nous sommes 15 conseillers dans l'opposition et 30 dans la majorité, mais la plupart n'ont pas eu la chance d'avoir la connaissance, de savoir comment fonctionnent les institutions. Ils n'ont pas conscience d'être dans l'illégalité.

Ma première motivation est d'abord pédagogique. Il faut qu'un jour on sache qu'une décision du conseil municipal peut être attaquée, et si elle est attaquée, c'est le conseil municipal lui-même qui n'est pas crédible. Il y a aussi le risque d'aller en prison parce qu'on a fait un acte illégal qui est condamnable. On risque d'être discrédité parce qu'on fait un travail qui n'est pas sérieux. J'avais annoncé au conseil municipal que j'allais écrire au préfet et attaquer cette décision pour faire une leçon de choses, que les élus sentent qu'il y a un danger, une épée de Damoclès qui est sur eux. Quand on utilise de l'argent public, on ne peut pas faire les choses n'importe comment.

 

"Vis-à-vis de la loi, cette délibération est déjà viciée dans sa forme"

 

Ma deuxième motivation, c'est qu'il faut connaître comment fonctionnent les règles en matière de subventions, de gestion des fonds publics. La troisième leçon, c'est que je ne peux pas cautionner des choses de ce genre parce que je serai dans le même moule. J'ai eu la chance, contrairement à mes collègues, d'assumer un certain nombre de responsabilités, j'ai été directeur des ressources humaines dans une entreprise de télécommunications à Moroni, puis je suis allé au Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) et à Mayotte j'ai dirigé le Groupement d'intérêt public (GIP) qui s'occupait de la politique de la ville.

Pendant les trois années où j'ai exercé cette responsabilité, je m'occupais de la prise en charge de la jeunesse. Ca m'a permis d'avoir un peu plus de "background", d'expérience, par rapport aux autres en matière de vie associative, d'aide à l'insertion, de prise en charge de la jeunesse. C'est cela qui me permet d'être un peu au-dessus de la mêlée. Je ne vais pas dire que je suis un expert en la matière, je ne suis pas pédant ni vantard, mais j'ai un petit "plus" de par les différentes activités que j'ai eu à assumer, qui me permet d'avoir un œil bien différent que celui des autres.

 

MH : Vous dites également dans votre courrier que dans le PV de délibération, votre voix "contre" n'a pas été prise en compte…

TA : Oui, c'est écrit que c'est une décision prise à l'unanimité mais c'est faux, c'est à la majorité des voix moins 1. Sur les 33 voix des conseillers présents, il y a une personne qui s'appelle Toillal Abdourraquib qui a voté contre. Vis-à-vis de la loi, cette délibération est déjà viciée dans sa forme.

 

Propos recueillis par Julien Perrot

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