{xtypo_dropcap}P{/xtypo_dropcap}ermettez-moi, pour édification des lecteurs de MH et des puissants – et dans une tradition toute byzantine que vous ne renierez pas – d’esquisser le "portrait du prince", en l’occurrence le vôtre, tel qu’il me fut révélé lors de votre entretien matutinal avec le Docteur Martial Henry.

Commençons par reconnaître que le match était par trop inégal : benoîtement, le Docteur Henry ne sait parler que de ce qu’il connaît et, accessoirement, il a contribué à changer les conditions de vie de ses compatriotes. De surcroît – comble de la maladresse – il en rend compte avec des mots simples et compréhensibles par tous.

Dans ces conditions comment pouvait-il prétendre emporter notre conviction ? Face à vous que pouvait-il espérer ? Vous, qui êtes la fougueuse expression de la pensée positive, la réincarnation de Hegel dont vous maîtrisez assurément tous les renversements dialectiques. L’héritière directe d’Anta Diop dont les finesses linguistiques sont votre pain quotidien.

Face au Docteur Henry qui ne le savait sans doute pas, vous professez que l’histoire est une science. Vous êtes comme à l’accoutumé bien trop modeste Madame Ousseni. Depuis bien longtemps vous avez transcendé ce concept. Vous êtes une véritable magicienne. Sans effets de manche, une authentique prestidigitatrice, une alchimiste, une thaumaturge. Vous recréez le monde à votre image. Braudel et les besogneux de l’école des annales n’ont qu’à bien se tenir. Vous vous jouez avec un art consommé des rythmes et des échelles temporelles de l’histoire. Le temps long ? Qu’à dieu ne plaise, c’est votre affaire ! L’histoire de l’océan Indien commence il y a plusieurs centaines de milliers d’années, et tant pis si les scientifiques de la préhistoire n’ont plus qu’à pointer au chômage.

Le temps court ? Au diable l’avarice, vous vous en occupez aussi ! La course de pneu est une tradition de l’archipel des Comores. Pour preuve, cette pratique a bercé votre enfance. C’est même une tradition authentique et ancestrale. Denis Papin, Goodyear et Michelin n’étaient que de misérables suivistes, des imposteurs, des pâles imitateurs. Et comme vous ne manquez pas d’air, Madame Ousseni, et que vous respirez, gageons que chaque matin, vous vous félicitez d’en réinventer le principe.

Vous avez mille fois raison Maîtresse : nous ne nous occupons pas assez de toutes ces sciences merveilleuses : la science de l’argile, la science de la chaume ou du banga, la science des courses de pneu…

J’ai moi aussi de douloureux souvenirs d’enfance, notamment celui de ma grand-mère maternelle, victime à 99 ans d’une crise identitaire pour n’avoir qu’insuffisamment étudié la science de la machine à laver. Le pauvre Docteur Henry ne doit pas aller beaucoup mieux quand il regarde le basket sur Canal Plus. Maoulida est au plus mal de n’avoir pu présenter l’option "course de pneu" aux épreuves du Baccalauréat. Et que dire de ma femme mohélienne définitivement aliénée le jour de l’obtention de son permis de conduire.

Finalement, dans ce cataclysme, les seuls qui s’en sortent à peu près sont les pauvres de Madagascar à qui vous avez vendu la "malgachisation" pour mieux les défendre du Français en français. C’est généreux, mais il est vrai, Madame Ousseni, que vous ne manquez pas non plus de grandeur d’âme.

Pour l’étude de toutes ses sciences, je vous conseille si ce n’est déjà fait de vous rapprocher d’Alain Kamal qui est un pionnier dans l’étude de la science de la momification égyptienne. De sources bien informées, il planche actuellement dans les locaux de la DIC à l’insu de l’autorité paternelle sur l’ontologie du crabe de mangrove.

En attendant, j’avoue que dès la rentrée prochaine, je suivrai votre conseil et que j’amènerai le plus souvent possible mes élèves à la plage. Nous y organiserons de grands voulés profs-élèves, démocratiques et identitaires à souhait. Ce sera là, l’occasion de me réconcilier avec mon corps d’inspection, lui aussi très ouvert au monde et qui me reproche avec de plus en plus d’insistance de défendre des causes perdues : enseigner la grammaire et les règles élémentaires de la syntaxe.

Je pense même ouvrir sous peu une école libre et alternative sur la plage de N’goujat. Venez m’y rejoindre Fatima, nous y planterons un chêne à l’ombre duquel vous pourrez rendre une justice sereine.

Je sais que j’ai tort de me moquer, que ce n’est pas bien. D’autant plus que je vous comprends. Je sais qu’à tant défendre l’opprimé, votre situation sociale ici devient de plus en plus précaire. Qu’être femme n’arrange rien à l’affaire. Que malheureusement vous n’êtes pas suffisamment  noire pour prétendre à une quelconque dignité. Force est de reconnaître avec vous que Barack Obama, "prince du monde" et "quoique métisse" (les 2 expressions sont de vous) s’en tire beaucoup mieux.

Je sais surtout, Madame Fatima (vous le dites lors de l’entretien) que puisque vous êtes noire, vous avez besoin que l’on vous dise que vous êtes belle. Alors je vous le dis et, sans fausse pudeur, je l’écris : "Madame Fatima Ousseni vous êtes belle". Vous êtes même très belle, historiquement très belle. Vous êtes une merveilleuse descendante de l’espèce des guenons. L’étant moi-même du singe, je sais de quoi je parle, et à ce titre vous ne m’apprendrez pas à faire des grimaces.

Puisque je me suis publiquement déclaré, permettez-moi Madame Ousseni de redevenir sérieux et de vous confier un secret : j’ai grassement soudoyé la direction de MH pour qu’à titre tout à fait dérogatoire et exceptionnel elle fasse fi des règles de la déontologie journalistique et vous transmette mon téléphone si vous en faites la demande. Appelez-moi donc en toute confiance. Malgré les forces d’occupations, je ne suis toujours pas sur écoute et même ma femme n’en saura rien.

Pour que vous ne soyez pas déçue, je préfère vous prévenir tout de suite : je n’ai pas encore l’âge d’offrir des pots de yaourts à la jeune fille fougueuse que vous serez toujours.

J’achèterai quelques bananes, et tout simplement entre nous, nous les consommerons dans mon petit banga.

Enfin, pour conclure et pour vous prémunir aussi contre toute jalousie : je connais l’homme dont parle le Docteur Henry avec tant d’à propos : il habite pour l’éternité à l’entrée du village de Kani Bé. Et c’est à lui que l’essentiel de mes pensées vont.

 

Ra Hachiri

Oussama Gratouillé