{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ême en Métropole, une opération d'une telle envergure serait exceptionnelle. Depuis le 25 mars, quatre vagues successives d'arrestations parmi les douaniers du port, les transitaires et les commerçants-importateurs ont mobilisé 52 fonctionnaires de la Paf, du Gir, et les 7 enquêteurs métropolitains du SNDJ (Service national de douane judiciaire), un service disposant d'une compétence sur tout le territoire national. 27 personnes ont d'ores et déjà été mises en examen dans cette affaire et d'autres vont suivre dans les prochaines semaines (voir encadré).
Tout a commencé le 9 octobre 2007, avec la saisie par les douanes de 7,5 t de tabac dans un container contenant officiellement des matelas. Dans les jours qui ont suivi, le transitaire ayant procédé aux formalités d'importation du container incriminé a porté plainte, dénonçant un pacte de corruption au sein même des douanes de Mayotte. Le parquet a alors décidé d'ouvrir une enquête confiée à la Paf et au SNDJ qui a abouti à l'ouverture d'une information judiciaire devant le juge d'instruction en juin 2008 et à la mise en examen d'un transitaire et d'un douanier placés sous mandat de dépôt.
Soupçonnant un système de fraude généralisée, au-delà de cette affaire de tabac, le juge d'instruction a demandé aux policiers et au SNDJ de continuer leurs investigations, décidant d'y adjoindre les moyens du Gir à partir du mois de février. L'analyse de dizaines de déclarations douanières, l'audition de dizaines de personnes, à Mayotte comme en Métropole, et l'étude des patrimoines des différents suspects a permis "d'apporter des indices graves et concordants de l'existence d'un système de fraude assez généralisé, mais pas systématique", a tenu à souligner le vice-procureur Thomas Michaud.
Les douaniers fermaient les yeux sur le travail des clandestins au port
Les importateurs transmettaient aux transitaires des fausses déclarations douanières qui minoraient la valeur des marchandises importées qui étaient ensuite validées par les douaniers corrompus. Le prix d'un container, quelle que soit la marchandise qu'il contenait, était devenu "forfaitisé" à une taxation de 3.000-3.500 €. Les commerçants ont ainsi pu faire de gigantesques économies et les douaniers pouvaient arrondir leurs fins de mois. Les enveloppes en liquide qui leur étaient remises en échange de leur passivité pouvaient totaliser plus de 2.000 euros par mois, que certains n'ont pas hésité à investir dans l'immobilier… Du côté des importateurs, certains ont avoué avoir minoré de plus de 70 % la valeur de leurs marchandises et ainsi économisé plus de 80.000 euros en deux ans. Suivant les cas, les importateurs payaient directement les douaniers ou passaient par le transitaire ou un second intermédiaire qui prenaient leur commission au passage.
Avec des formalités douanières aussi expéditives, les importateurs étaient fortement attirés par l'offre des transitaires véreux, ce qui leur permettait non seulement de réaliser d'importants gains financiers mais aussi de satisfaire leur clientèle. La corruption généralisée des douaniers permettait également d'offrir un "marché réservé" aux transitaires qui pouvaient faire travailler des étrangers en situation irrégulière sur le port. En établissant une surveillance aux abords du port pour observer les aller et venues des containers en dehors des heures d'ouverture, le soir et le week-end, la Paf a pu identifier les commerçants qui attendaient à l'entrée.
Une belle occasion de tout remettre à plat
Jean-Bernard Gautier, officier de douane judiciaire au SNDJ, a effectué un long travail d'études des documents douaniers pour trouver des anomalies dans les factures : il a par exemple décelé la même écriture pour 20 commerçants différents, des dates qui ne correspondaient pas ou des quantités sous-évaluées. Les tarifs douaniers pratiqués étaient "extrêmement bas, avec souvent une autre écriture, et les valeurs déclarées étaient très très faibles". Les fausses factures étaient établies à partir de factures vierges récupérées dans les pays d'où provenaient les marchandises importées, essentiellement Dubaï.
Thomas Michaud estime que le préjudice pour la Collectivité n'est pas évaluable "car on ne sait pas vraiment ce qu'il y avait dans ces containers…. Sûrement des centaines de milliers d'euros qui auraient pu servir à refaire les routes ou construire des écoles". Cette pratique existe "depuis toujours" et fait même référence à l'entraide mahoraise… Un douanier a dit lors de son audition qu'il fallait une opération de cette envergure pour tout remettre à plat. "Une belle occasion pour la direction des douanes de reconstruire son service" a commenté M. Michaud. Le transit au port est fortement perturbé depuis deux semaines, quand on sait que près d'un tiers des effectifs ont été arrêtés. Les douaniers corrompus risquent jusqu'à 10 ans de prison ferme et 150.000 euros d'amende.
Julien Perrot
27 personnes mises en examen dont 19 placées en détention préventive
Depuis le début de cette affaire, 27 personnes ont été mises en examen pour des faits de travail dissimulé, aide au séjour, importations de marchandises prohibées, corruption active ou passive et complicité, faux et usage de faux. Parmi elles, 8 douaniers, dont 7 placés en détention préventive et un sous contrôle judiciaire, 4 transitaires écroués et 19 commerçants-importateurs, dont 8 placés en détention préventive et 4 sous contrôle judiciaire. 40.000 euros en liquide ont également été saisis, ainsi que de nombreux documents douaniers, fausses factures ou factures vierges. 2 personnes ont été interpelées en Métropole et 3 autres suspects seront présentés au juge d'instruction la semaine prochaine.
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