09/01/2009 – La polyandrie mahoraise : Un business inimaginable

Si tout le monde connaît les fâcheuses conséquences de la polygamie (plus de charges, un temps partagé, plus de dépenses d'énergie, plus de chance de rupture, conflit familial…), dieu sait combien sont les Mahorais qui se lancent dans l'aventure, dans ce défi. Et quel défi ! Celui de maintenir l'amour de plusieurs femmes en même temps. Cependant, il existe quelques avantages à mettre en avant. En effet, certains hommes voient en la polygamie l'évanouissement d'une lassitude chez un couple. Aussi, en mettant la main sur deux épouses – ou trois, voire plus pour les plus inébranlables – la plupart d'entre eux se réapproprient un plaisir à la fois sensuel et sexuel, abandonné au cours des années, des mois et parfois même après quelques semaines passées avec une seule et même compagne.

Et les femmes dans toute cette histoire ? Que ressentent-elles ? Quelle est leur position à ce sujet ? Si certains hommes n'osent pas l'imaginer, "la polygamie féminine" demeure une chose qui se pratique bel et bien dans les sociétés humaines, et légalement, notamment dans des tribus africaines et sud-américaines; elle porte pour nom exact : la polyandrie. Toutefois, cette expression s'emploie beaucoup plus souvent chez les espèces animales, où ce phénomène n'est pas exceptionnel. On retrouve la polyandrie au sein de certaines espèces animales telles que les chimpanzés, les crapauds, les phoques ou encore des oiseaux. Là, les femelles s'accouplent avec plusieurs mâles. Seulement, nous vivons dans un univers différent où la polyandrie n'est même pas évocable tant elle est mal perçue. Mais ce plaisir perdu des hommes, évoqué dans les précédentes lignes ne peut-il être vécu, ressenti par les femmes ? Nous le demandons !

"Un polygame est un lâche"

Dans cette enquête sur le terrain réalisée par Mayotte Hebdo, les réactions sont irrévocables. A écouter les jeunes demoiselles, dames mariées et "vieilles filles" des quatre coins de l'île, la réponse apparaît d'une seule et unique voix. "Bien sûr que oui, nous pouvons être lassées de notre mari", s'emballe Fatima*, jeune femme de polygame au milieu de ses copines. "Je peux même vous assurer que les femmes ressentent beaucoup plus ce sentiment que les hommes. Souvent c'est nous qui déclarons notre flamme, mais souvent c'est nous qui voulons raccrocher en premier." Alors pourquoi rester, peut-on s'interroger ! Une question qui n'aura pas à être posée, la jeune mariée de Koungou y répondra en poursuivant dans son élan : "Mais si moi je reste auprès de mon époux, c'est par amour pour lui, mais c'est avant tout pour mon amour propre", jure-t-elle.

Victime de la polygamie mais préférant rester dans l'anonymat, une originaire de Dembéni estime qu'"un polygame est un lâche. Comment peut-on aimer deux femmes ? Comment peut-on jouer avec les sentiments d'une personne comme ils le font ?", accable-t-elle. Regards penchés vers l'interlocutrice, visages remués de haut en bas comme pour dire "éwa", les cinq-six amies autour sont d'accord. Beaucoup de Mahorais s'engagent de manière officielle dans la polygamie. Mais plus nombreux encore sont ceux qui préfèrent accaparer des conquêtes sans aucune démarche administrative ni légale, autrement dit avoir une ou plusieurs amantes. Localement, ceux-là sont désignés dans certains villages comme étant des "polygames au black".

"Polygame au black, ils le sont tous"

Des amantes, il y en a partout dans le monde, c'est presque normal. Seulement à Mayotte, c'est comme qui dirait dans le sang pour un homme d'avoir plusieurs copines : "Une ? Non, c'est impossible ! Je ne me vois pas avec une seule femme.", se persuade Abdou. Contrairement à Fatima, le Tsimkouriote de vingt-deux ans ne voit aucun inconvénient à exprimer sa position. D'ailleurs, père d'un petit garçon, il a été clair avec la mère de son petit, dès le départ. "Bien avant qu'elle tombe enceinte, je lui ai dit que je ne pouvais pas être qu'avec elle. Au départ, elle n'avait pas accepté et on n'était plus ensemble, mais au bout d'un moment ma copine est revenue. On n'en a jamais reparlé, mais elle sait bien ce qu'il se passe. Par contre je fais gaffe, j'aime et je respecte ma copine et jamais je me promènerais publiquement avec une autre fille", affirme le basketteur de quelques soirs en achevant sa cigarette.

Abdou rejette sa dernière bouffée de fumée de ses poumons et enchaîne : "Elles ne doivent pas faire ce qu'on fait ! Elles, elles doivent rester fidèles à leurs copains ou à leurs maris. C'est comme ça, ça a toujours été comme ça. Pour moi, une femme qui trompe son mec est une pétasse et elle ne mérite aucun pardon", ne manque-t-il pas de maudire. Problème pour Abdou, c'est que les mentalités changent ! Et si sa femme est toujours fidèle envers lui, et si la polygamie a toujours été comme ça, et si Mayotte musulmane accepte la polygynie tout en condamnant la polyandrie, il n'empêche : la révolution des Mahoraises, après tant d'années de silence – imposé-, veulent à leur tour goûter au plaisir d'une nouvelle chair.

Les femmes se révoltent

Pourtant en couple, elles sont de plus en plus à éprouver le désir de tester un autre homme, simplement par attirance sexuelle, pour confirmer un sentiment ou pour raisons strictement financières. Certaines – même si elles sont encore très rares – n'hésitent pas à le montrer ouvertement, quitte à se faire traiter de tous les noms d'oiseaux, y compris ceux qui n'existent pas… Comme la plupart des jeunes habitants de Tsingoni, Ayouba Abdou connaît une villageoise trompant son mari, mais qu'il n'a toutefois pas voulu salir pour leur famille : "Je ne dirais pas son nom, mais elle habite là, tout près", affirme-t-il en pointant du doigt la maison de l'heureuse élue.

"Tout le monde sait ce qu'elle fait, mais son mari ne veut pas ouvrir les yeux et nous traite de menteurs. Ça fait longtemps que nous avons arrêté d'essayer de convaincre le gars, et sa femme continue ses conneries", se désole le lycéen de Coconi. Avoir deux copains, devenir "polyandre au black", cette épidémie – qui se propage à vitesse grand V à Mayotte – atteint les plus jeunes. Faïza*, seize ans, vient d'entrer au lycée à Chirongui, son village. Cette élève de seconde est amoureuse d'un Mahorais, étudiant en Métropole qu'elle fréquente depuis deux ans… mais elle vient de le tromper : "Mon petit copain ne vient que pendant les vacances d'été. Déjà que c'est dur de rester dix mois toute seule, quand en plus un garçon pour qui tu éprouves de l'attirance vient t'avouer ses sentiments… Il fallait que j'accepte, car je doutais de ce que je ressentais, mais maintenant je sais que ce n'est pas lui. Avant je disais qu'il n'y en aurait pas d'autres que mon petit copain, mais là je ne dirai plus rien et laisserai les choses aller, car en vérité on ne peut pas savoir ce qui peut se passer dans son cœur", conclut-elle avec moins d'assurance.

Un réseau fermé, un scandaleux business

À côté d'elle, sa copine Faou*, dix-neuf ans et beaucoup moins sentimentale, détient des positions bien différentes : "Moi j'en ai rien à cirer des mecs. Au début je tenais à mon copain, mais il me faisait trop de mal avec ses autres p…., il y en avait qui étaient mes copines en plus. Aujourd'hui, la roue a tourné, je sors avec celui que j'ai envie. J'en ai un ici (ndlr : au lycée modulaire de Chirongui), un autre au lycée de Kahani et un m'zungu que je viens de rencontrer", avoue sans aucun scrupule la lycéenne avant de lâcher : "Eux, ils s'amusent depuis trop longtemps, à notre tour de nous amuser".

Les collégiennes et lycéennes y vont donc doucement de leur premier pas dans la péripétie. Cependant, celles-ci apparaissent comme on pourrait dire des "amatrices", des débutantes, à côté de la réalité cachée de Mayotte. Car c'est un véritable réseau de femmes mahoraises qui passent par cette alcôve, une pratique scientifiquement calculée car quasi systématiquement liée à des fins matériels.

"Elles s'en parlent, se comparent et en rigolent sans y trouver la moindre gêne", balance une nouvelle anonyme, dans la crainte d'être bannie de toute manifestation en dévoilant son identité… on la nommera Mariame. "C'était lors d'un mariage. J'étais parmi un groupe de femmes quand l'une d'elles nous a demandé ce que nous avions reçu pour la St-Valentin, elle m'a visé en premier. Je lui ai répondu un parfum et là elles se sont mises à rire. Elles étaient une dizaine et toutes avaient reçu des cadeaux hallucinants, devinez par qui ? Leurs amants, souvent des élus".

"La polyandrie à Mayotte existe, mais grave !"

"Une d'elle se vantait d'avoir reçu 10.000 euros, juste pour se payer un voyage", poursuit-elle, "une autre a choisi sa voiture neuve au concessionnaire, achetée par son amant. J'ai ensuite compris pourquoi elles riaient, j'étais ridicule avec mon tout petit parfum…". Pour cette fidèle dame mariée et mère d'une fille, ce type de comportement est honteux. "Faire un crédit de plusieurs années pour ce genre d'investissement, puis dire à sa femme ne pas avoir d'argent pour le goûter des enfants pour l'école, c'est irresponsable".

Aucun sentiment donc de la part de ces dames, que du business. Et il semble qu'elles savent parfaitement où elles mettent les pieds. Pas moins calculatrices que rusées, elles n'hésitent pas à faire usage de leur talent de comédienne en présence de "leurs victimes". Sociale, très appréciée et donc toujours témoin de ces propos, Mariame n'arrête pas d'halluciner dans les différents regroupements de femmes : "la polyandrie existe à Mayotte, mais grave !". Celle-ci continue de raconter : "elles sont malines, extrêmement malines et une fois qu'elles ont eu ce qu'elles voulaient, elles disparaissent. Des expertes en la matière je vous dis !".

Bonne parleuse en déclarant ne pas vouloir apporter le trouble dans la famille du "financeur", actrice talentueuse pour faire semblant d'être énervée au retour suspect de son mari ou pour esquiver la compagnie d'un amant mal foutu; ce qui compte, c'est d'atteindre le but fixé. Construire ou finir sa maison, rembourser des dettes, voyager, compléter son commerce… les raisons peuvent être nombreuses, mais il ne s'agit certainement pas – ou alors très rarement – de relation sentimentale.

La polyandrie, un sujet tabou que ni les Mahoraises et encore moins les Mahorais souhaitent publiquement reconnaître, mais qui est pourtant bien réelle à Mayotte.

* : Prénoms d'emprunt

Ichirac Mahafidhou

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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