07/11/2008 – Départementalisation : Congrès des élus de Mayotte

Samedi soir et dimanche matin, la MJC de M’Gombani était comble pour ce congrès célébrant les 50 ans de la demande de départementalisation de Mayotte, même si très peu d’élus mahorais étaient présents. Seuls trois maires et un conseiller général ont répondu à l’appel du député Abdoulatifou Aly : Ibrahim Aboubacar, conseiller général de Sada et qui s’est dit plusieurs fois fils spirituel de Younoussa Ben Ali qui a fait partie du congrès de Tsoundzou, Mohamadi Bacar M’colo, maire de Dzaoudzi-Labattoir, Roukia Lahadji, maire de Chirongui et Ramlati Ali, maire de Pamandzi.

Même si les personnalités attendues ne sont pas venues, le député n’a pas manqué de verve pour défendre ses positions face à une assemblée composée essentiellement de personnes acquises à sa cause. Tout au long de la soirée et le lendemain matin, les déclarations se sont succédées pour défendre la position que les représentants politiques de Mayotte portent en eux depuis 50 ans et réclamer l’application stricte de la loi républicaine et du droit commun. Les élus réunionnais conviés par le député ont pu également faire part de leur expérience d’une départementalisation acquise en 1946.

Marcel Henry, ancien sénateur de Mayotte qui a fait partie du Congrès des notables de 1958, a pris la parole en premier pour rappeler qu’à cette époque « la voie de l’indépendance en vigueur dans le Tiers monde n’a pu nous être imposée ». Il a rendu un vibrant hommage à ses compagnons de lutte et au combat historique des Mahorais, rappelant que l’avènement de la Constitutionla Vème République a permis à Mayotte de réclamer légalement son changement de statut. « Je souhaite vivement que cette départementalisation, depuis si longtemps attendue, devienne une réalité concrète », a-t-il conclu sous les applaudissements.

Bayrou : « La France ne peut laisser cette déclaration d’amour sans réponse »

François Bayrou, le président du Modem, s’est ensuite exprimé pour rappeler que d’éminentes personnalités de sa formation politique, tel Alain Poher, ont relayé la cause départementaliste à Paris et a salué le combat des pères de la départementalisation : « Cette décision des sages de Mayotte de dire : nous voulons être Français, et même être pleinement Français, c’est pourquoi nous voulons être département, il faut mesurer ce qu’elle avait d’incroyable dans l’Histoire. En 1958, nous étions en pleine vague d’indépendances et cette petite île de l’océan Indien décide toute seule, contre vents et marées, contre le cyclone qui balayait en ce temps, de dire : nous voulons résister dans notre identité à la France. C’est quelque chose que l’Histoire retiendra, pas seulement dans celle de Mayotte, mais dans l’Histoire de tous les peuples. Ce combat poursuivi sans jamais fléchir et faiblir, c’est quelque chose qui ne devrait pas laisser indifférents ceux qui gouvernent la France. Une telle déclaration d’amour venant d’un peuple géographiquement et culturellement différent de la France a quelque chose de profondément émouvant : la France ne peut laisser cette déclaration d’amour sans réponse ».

Le député des Pyrénées Atlantiques a ajouté que « lorsque le peuple mahorais se sera prononcé, alors il ne faudra pas tergiverser pour donner une réponse. Je suis pour qu’on réponde « oui » à la demande des Mahorais et en faire un département français. Il faudra réfléchir avec les élus pour étudier les formes de la fiscalité et éventuellement l’organisation du RMI, mais ce n’est pas un bienfait pour une société que le département soit seulement un distributeur d’allocations. Il faut établir une priorité : l’éducation. C’est à partir de la volonté d’éducation que la grande Histoire de Mayotte sera portée par un grand élan », a tenu à souligner cet ancien ministre de l’Education nationale.

Pour lui, le 101e département doit être « construit dans une co-responsabilité entre les élus et le gouvernement. Nous avons besoin de cette réflexion, au-delà des frontières politiques passagères et des étiquettes politiques parfois mouvantes pour discuter en toute liberté dans un sentiment de respect réciproque. » François Bayrou a ensuite déclaré qu’il était « profondément ému » de fêter ce 50e anniversaire, « une année qui j’espère sera l’année pendant laquelle Mayotte sera devenue, au su et au vu de tous, un département au sein de la République française. »

Et l’ancien candidat à l’élection présidentielle de conclure : « Je ferai tout ce que je peux pour défendre cette orientation. Je serai toujours aux côtés des élus mahorais pour que Mayotte ait le destin qu’elle a souhaité il y a 50 ans ».

« Le département va assurer des conditions de vie meilleures pour la population »

Ibrahim Aboubacar, conseiller général de Sada et rapporteur du comité sur la départementalisation a ensuite pris la parole pour prononcer un discours mémorable (voir extraits) dans lequel il a martelé : «  »Nous ne doutons pas que la population de Mayotte votera massivement pour la départementalisation ! » A sa suite, le député Abdoulatifou Aly a affirmé que « nous ne connaissons qu’un seul type de département et c’est celui-là que nous voulons, comme en Métropole et à la Réunion. On ne peut pas nous le refuser. Nous, les Mahorais, même si nous sommes musulmans, même si nous avons de grands handicaps en matière d’éducation ou en matière de développement, nous sommes autant Français que Nice et la Savoie qui sont devenus Français bien après nous ! »

La délégation d’élus réunionnais est ensuite intervenue à la tribune. Thierry Robert, vice-président du conseil général délégué au logement et à l’habitat et maire de Saint-Leu, a affirmé que « le département va assurer des conditions de vie meilleures pour la population », avec notamment des moyens conséquents pour l’éducation. « Même s’il y a des inconvénients et des devoirs, les avantages sont extrêmement importants car vous pourrez bénéficier d’aides accrues du gouvernement. Il y a des côtés négatifs comme les impôts locaux, mais à côté de cela les avantages seront importants. Un département a des domaines de compétence comme la petite enfance, les personnes âgées, les réseaux routiers, le logement : tous ces domaines vont connaître une amélioration considérable. »

Thierry Robert a également proposé son soutien logistique pour monter un « Pacte mahorais », à l’image du « Pacte Réunion », pour améliorer les habitats insalubres et construire des logements neufs : « Nous sommes déterminés à vous venir en aide pour partager notre expérience. Les élus réunionnais sont disposés à aider nos frères de l’océan Indien ». Le maire de Saint-Leu a ajouté que la consultation de mars 2009 est « chance inouïe qu’il ne faut pas laisser passer. Il vous manque l’égalité sociale. Il n’y a qu’un seul type de département en France, donc il n’y a pas lieu de dire qu’il faudra faire des étapes ou aménager un calendrier. Il faut que vous vous battiez pour que le gouvernement actuel prenne acte de la départementalisation dans les plus brefs délais ».

« Quand la Réunion est devenue un Dom en 1946, elle était bien moins développée que Mayotte aujourd’hui »

Wilfrid Bertile, vice-président du conseil régional et ancien député de la Réunion, auteur d’une thèse de doctorat en droit sur la départementalisation, a rappelé que « Mayotte était un peuple avant que les Français n’arrivent, contrairement à la Réunion, et c’est votre richesse, ce qui fait votre force. Le département est un statut très centralisateur qui nivelle les différences et il vous faut conserver votre identité », a-t-il prévenu. Il a également souligné que le statut de département permet d’accéder aux financements européens grâce au statut de région ultra-périphérique de l’UE : « A la Réunion, les deux tiers des investissements publics sont des crédits européens aujourd’hui », a-t-il constaté.

Le juriste a également rappelé que « quand la Réunion est devenue un Dom en 1946, elle était bien moins développée que Mayotte aujourd’hui. Ce retard économique avait été exploité au départ par les opposants à la départementalisation car le sous-développement a perduré jusqu’aux années 1960. Mais sur le plan économique, culturel et social, la départementalisation a été un grand succès. Il y a eu des progrès considérables dans l’éducation et la santé et un recul de la misère grâce à la politique sociale. »

Wilfrid Bertile a néanmoins souligné qu’au niveau économique, la départementalisation a été un échec car « on ne décrète pas le développement économique, il faut des projets. Il est urgent de mettre en place un projet économique ici avec vos atouts dans la pêche et le tourisme. La main d’œuvre sera plus chère, mais il y aura une meilleure productivité ». Il a également prévenu que la Réunion n’est pas toujours un modèle car le chômage y est très important et que les inégalités sociales se creusent avec des conséquences négatives comme l’augmentation de la délinquance.

Jean-Yves Morel, conseiller municipal à la Possession, est ensuite monté à la tribune pour affirmer que les Mahorais ne doivent pas avoir peur de perdre une partie de leur identité culturelle car son expérience à la Réunion lui a prouvé que c’était faux. Pour lui, au contraire, grâce à la départementalisation opérée à la Réunion, « le créole est plus facile à défendre. Vous pourrez mieux défendre votre identité quand vous serez département. Je suis intimement convaincu qu’après avoir passé l’étape de la départementalisation, c’est plus facile de vivre son identité ». D’autant que pour lui, « les relations entre nos collectivités locales et l’Etat sont aujourd’hui sur un pied d’égalité, dans une co-responsabilité, et c’est ça que la départementalisation pourra vous apporter ».

« Nous voulons provoquer un sursaut pour que la loi républicaine s’applique ici »

Le député Abdoulatifou Aly a ensuite parlé au micro pendant un long moment (voir extraits), sans véritablement engager de débat avec le public, constitué principalement de Mahoraises qui ne comprenaient pas bien le français et qui sont rapidement sorties de la salle. Ce qui ne l’a pas empêché de lancer des diatribes virulentes contre le gouvernement qui n’applique pas avec zèle les lois de la République sur le sol mahorais, notamment en ce qui concerne la formation des instituteurs qui, par leur manque de qualifications, explique que le public dans la salle ne comprenne pas bien la langue de Molière. Le député a résumé les revendications des élus mahorais en déclarant : « Nous voulons provoquer un sursaut pour que la loi républicaine s’applique ici. »

Les débats se sont clos vers 0h30 et un maoulida ya chengué constitué de danses et chants traditionnels a eu lieu toute la nuit, jusqu’à la reprise des déclarations officielles le dimanche matin, qui ont largement repris les propos tenus la veille. Si les élus et le public mahorais n’ont pas vraiment été à la hauteur de ce congrès, force est de constater que l’initiative du député a eu le mérite d’engager le débat, au moins d’apporter des éléments intéressants à la réflexion, en vue de préparer la population à la consultation décisive du mois de mars.

Julien Perrot

 


 

Extraits du discours d’Ibrahim Aboubacar, conseiller général de Sada, rapporteur du Comité sur la départementalisation

 

« Il faut expliquer les avantages et les inconvénients de la départementalisation, nous dit-on, mais je voudrais tout simplement rappeler que, certes ce débat sera pour nous l’occasion d’un questionnement sur nous-mêmes, mais ce débat dépasse largement cette dimension-là. Il sera aussi un questionnement de la France, un questionnement de ses valeurs, un questionnement de la façon dont elle applique ses valeurs entre tous ses citoyens. Et c’est d’ailleurs pour cette raison-là que nous avons souhaité un débat parlementaire parce que cela est prévu dans les textes et dans la loi qui régit actuellement Mayotte. Nous souhaitons que ce débat puisse être organisé à l’Assemblée nationale pour que la représentation nationale également puisse avoir l’occasion de se positionner et de réfléchir sur ce que signifie pour la France la départementalisation d’une île peuplée de musulmans, de Français d’origines diverses et qui au fond d’elle-même clame son rattachement à la France. »

« On nous parle de la laïcité, on nous parle de l’égalité entre les hommes et les femmes, on nous parle de la fiscalité, mais les Mahorais n’ont jamais dit : nous voulons être dans la République française et ne pas honorer les devoirs des citoyens. Tous les Mahorais comprennent que dans la vie il y a des avantages et des inconvénients. Et ceux qui agitent ces éléments-là comme matière à effrayer la population, je crois qu’ils n’ont pas compris que la population est très avertie de cela. »

« Nous savons bien que derrière cela, deux questions sont murmurées : la question internationale et la question financière. Lorsque la départementalisation des quatre vieilles colonies a été réalisée en 1946, notre pays sortait de la guerre : il était détruit mais il était debout. Et la décision de la départementalisation des quatre vieilles, c’était une décision politique qui donnait du sens à la relation que la France voulait nouer avec des populations qui avaient montré leur attachement à être aux côtés de la France dans des moments difficiles. Notre attachement, cela fait 50 ans que nous le disons en voulant être département d’Outremer. Et quelles que soient les difficultés que traverse notre pays, nous serons là, dans notre pays, pour les vivre car si nous voulons être dans la France, c’est pour y vivre dans les instants de bonheur et de malheur. Nous sommes parfaitement en mesure et en situation de comprendre ce que peuvent être les difficultés de la nation. Ce que nous demandons tout simplement, c’est que la nation ait un langage d’honnêteté vis-à-vis de ses enfants de Mayotte parce que s’il y a quelque chose qui déstabilise Mayotte, ce ne serait pas l’instauration des dispositifs dignes pour aider les populations qui en ont besoin, c’est plutôt l’absence de ces dispositifs qui font qu’aujourd’hui beaucoup de Mahoraises et de Mahorais quittent Mayotte, vont à la Réunion ou ailleurs et cela déstabilise beaucoup plus notre territoire. »

« Il y a des espaces de vie, il y a des situations ici qui ne sont pas dignes de notre nation. Et c’est pourquoi je dis que le gouvernement nous interrogera autant nous-mêmes que notre pays et que la façon dont notre pays respecte les valeurs de la République sur ce sol. »

« On nous dit : « la question internationale » mais nous savons très bien que jamais les Comoriens ne seront heureux à l’idée que Mayotte soit un département français d’Outremer. Ce n’est pas notre problème, nous continuons notre chemin, ils continuent le leur, nous vivons en bon voisinage mais nous n’entendons pas que notre sort, après que nous ayons décidé qu’il ne soit pas lié au leur, soit mêlé au leur dès lors que nous parlons de développement économique ou des questions d’intégration dans la République. Notre modèle, ce sont les départements français d’Outremer et notamment la Réunion. Nous évoluerons avec eux lorsque la réglementation évoluera, mais pour l’heure nous souhaitons que le droit commun de la République soit appliqué à Mayotte. »

« La seule chose que nous demandons, c’est qu’une fois que nous aurons fait notre choix, ce choix soit respecté par tous, à commencer par les dirigeants de la nation, que le gouvernement en tire les conséquences dans l’année qui suit et non pas à nouveau au terme de 10 ans. »

 


 

 

Extraits des différentes interventions d’Abdoulatifou Aly, député de Mayotte et organisateur de ce Congrès des élus

 

« Les Mahorais de Métropole ou de la Réunion peuvent s’inscrire dans les communes pour pouvoir voter à Mayotte à une consultation, même s’ils restent inscrits sur les listes électorales où ils habitent. »

« Pourquoi à Mayotte on est incapable de donner aux Mahorais un maître qualifié pour donner un enseignement satisfaisant du français ? C’est honteux, c’est scandaleux ! Comment la Francela Constitution et nous refuser l’accès à cette langue ? Toutes les langues locales sont garanties en France sauf à Mayotte, c’est une inégalité de traitement ! C’est scandaleux ! L’Etat français est le premier à violer la loi sur ce territoire ! » peut-elle avoir le toupet de ne pas nous donner de maîtres qualifiés ? Comment peut-on inscrire le français comme langue nationale dans

« Comment peut-on accepter cela ? Dans le cadre du département, si la France ne respecte pas la loi, c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui condamnera la France. Comment la France peut-elle accepter que les Bretons aient leur langue et leur culture et refuser la même chose pour nous ? C’est inscrit dans la Constitution. La France que j’aime a dans son article 1erLa France est un pays où n’importe qui, y compris les responsables au gouvernement, doit respecter la loi. Il y a deux types d’écoles ici, avec des maîtres qui ne sont pas formés comme il faut. Comment l’Etat français peut-il oublier ce devoir inscrit dans la Constitution ? » l’interdiction de distinguer les gens et nous garantit la diversité. C’est cette France-là dont nous avons besoin à Mayotte, car nous ne la retrouvons pas ici, c’est pour ça qu’il faut devenir un département.

« L’évolution institutionnelle en France doit être démocratique, on ne peut pas nous refuser le département si les Mahorais le choisissent. Le monde entier fera comprendre à la France qu’elle ne peut pas nous refuser, nous, de devenir un département si nous le souhaitons. »

« En France, il n’y a qu’un type de département, à Mayotte aussi. Si ce n’était pas un statut intéressant, nos amis réunionnais ne l’auraient pas choisi. Les Mahorais qui s’exilent à la Réunion l’ont bien compris en s’exilant là-bas. »

« Si nous avons la liberté de choisir notre destin, nul n’est mieux placé que nous-mêmes pour savoir ce que nous avons choisi. La France que nous aimons, que nous avons appris à aimer, c’est celle qui respecte le choix des populations et qui est fière de mettre en œuvre le droit et la loi française. Si nous réclamons depuis 50 ans la départementalisation, c’est toujours en respectant la loi française. En 1958 déjà, la Constitution nous le permettait. Les articles 53 et 73 de notre Constitution nous donnent le droit de choisir ce que l’on veut devenir et d’opposer à la France, si cela est nécessaire, un autre statut dont nous ne voulons pas. Nous réclamons d’accéder pleinement à la nationalité française, à l’état civil et à la propriété, comme le proclame l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. »

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