{xtypo_dropcap}T{/xtypodropcap}rès peu de personnes avaient fait le déplacement vendredi matin pour écouter M. Labrune, un ancien banquier devenu spécialiste du microcrédit, alors que ce système de financement est parfaitement adapté à la situation économique mahoraise. Président de la commission "économie et finances" du conseil économique et social, M. Labrune a déclaré que si son syndicat avait pour objectif la mise en place des minima sociaux à Mayotte, il fallait "d'abord créer les conditions économiques pour le faire".
Le microcrédit est pour lui "une possibilité de sortir du chômage et des minimas sociaux, en respectant les individus" et en leur permettant même de créer leur entreprise. Au niveau national, le microcrédit a permis la création de 24.000 entreprises et de 71.000 emplois en 2008, ce qui prouve que c'est "un élément économique non négligeable", qui permet de soutenir les personnes qui n'ont pas accès au crédit bancaire.
"En attendant les grands investissements de l'Etat, le microcrédit entrepreneurial permet de créer sa petite entreprise et d'être beaucoup plus libre qu'un salarié", a-t-il ajouté, avant de faire un rapide rappel historique de ce mode de financement original (voir encadré).
Contrairement à une idée reçue, Muhammad Yunus, le créateur de la première "banque des pauvres", "a vu que les gens dans l'extrême dénuement se faisaient un point d'honneur à rembourser leur dette". En Métropole, le microcrédit entrepreneurial est apparu il y a une vingtaine d'années. Il ne faut pas le confondre avec le microcrédit social qui, lui, permet de restructurer les finances des ménages surendettés.
L'Adie de Mayotte est la seconde de France, après la Corse
"Il n'y a pas de réussite du microcrédit s'il n'y a pas d'accompagnement fort, quelqu'un pour aider l'entrepreneur à faire de la gestion et ne pas confondre par exemple les gains et les recettes. Cela ne veut pas dire de la tutelle permanente, mais aider et prévenir les risques", a rappelé M. Labrune.
Selon les statistiques de la Caisse des dépôts et consignations, le microcrédit a profité à des personnes dont 40% avaient un niveau de formation inférieur au BEP ou au CAP. 70% d'entre elles étaient chômeurs et 20% titulaires des minima sociaux. "Ces personnes ne sont pas solvables et elles sont rejetées par la cotation bancaire des projets", a-t-il résumé, rappelant que l'objectif est de les préparer à la bancarisation future. Même si le taux de survie au niveau national n'est que 57% sur 3 ans, 54% de ceux qui ont osé entreprendre et ont échoué retrouvent ensuite un emploi.
Installée à Mayotte depuis 1996, l'Adie est le seul organisme à délivrer des microcrédits sur notre île. Elle a un rôle d'intermédiaire : elle emprunte pour prêter, et prend donc elle-même un risque auprès des banques et de la Caisse des dépôts et consignations – à Mayotte, auprès de l'AFD.
La délégation régionale de Mayotte est la seconde au niveau national en termes de production, après la Corse : "Il y a un vrai potentiel pour le microcrédit ici, qui correspond à une demande par rapport à la situation économique", explique Dassami Faharidine, la déléguée régionale de l'Adie. "En Métropole, il faut aller les chercher, alors qu'ici les gens viennent et on sélectionne".
60% des bénéficiaires sont des femmes qui très souvent n'ont pas été scolarisées
Financée par l'Etat à 20% et par le conseil général à 60%, le reste étant de l'autofinancement, l'Adie a accompagné 2.200 projets depuis sa création, soit près de 10 millions d'euros prêtés, et son objectif est d'atteindre 600 projets cette année, avec plus de 1.670.000 € déjà dépensés.
Le maximum de crédit accordé est fixé à 6.000€, et peut être cumulé avec un prêt sur l'honneur à taux zéro du même montant. Le montant moyen des prêts, limités à 2 ans, est de 2.700 €, comme la moyenne nationale.
Le taux d'intérêt de ces prêts est fixé à 9,71%, car les 6 conseillers effectuent un travail d'accompagnement comptable et de gestion gratuit, en se rendant régulièrement sur le terrain. "On pose des questions sur le sérieux et l'honnêteté de la personne, puis on monte un dossier qui passe devant un comité formé de 4 bénévoles et des conseillers", explique Dassami Faharidine.
Le taux d'impayé à Mayotte est de 3,51%, contre 6,58% au niveau national. La moitié des porteurs de projets sont des commerçants et des importateurs de marchandises venant de Dubaï, de la Chine ou de Maurice. "Presque la moitié des vendeuses du marché de Mamoudzou ont bénéficié d'un microcrédit", constate la déléguée régionale. Les autres bénéficiaires se répartissant dans les secteurs de la restauration, de l'agriculture, de l'artisanat, des taxis, de l'électricité ou de la plomberie.
Avec une moyenne d'âge de 48 ans, 60% étaient des femmes qui très souvent n'ont pas eu la chance d'être scolarisées et qui n'auraient pas pu avoir de travail sans le soutien de cette structure d'accompagnement. Victime de son succès, l'Adie, au départ une "banque des pauvres" avec un objectif d'insertion sociale, se dirige de plus en plus vers le fonctionnement d'une institution bancaire classique, tout en restant une association d'intérêt public.
Le microcrédit peut se combiner au statut d'auto-entrepreneur
La limite de l'Adie est qu'elle demande qu'une personne dans l'entourage de l'entrepreneur se porte caution en cas de non-remboursement. D'autres associations qui peuvent se cautionner elles-mêmes, comme France Initiative, déjà installée à la Réunion, pourraient venir en complément de l'Adie, comme le préconise M. Labrune.
Le microcrédit peut aussi être associé au statut d'auto-entrepreneur créé par Hervé Novelli il y a un an. Ce statut permet de s'affranchir des formalités administratives – il faut compter une heure et demie seulement pour s'enregistrer – et si le chiffre d'affaires ne dépasse pas les 36.000 € annuel, l'impôt est "forfaitisé". Autant de solutions pour sortir de la précarité ou du chômage, avec de nombreux exemples de par le monde de "self made men" qui ont réussi à créer de grandes entreprises à partir d'un microcrédit.
Julien Perrot
Le microcrédit, une "banque des pauvres" qui se développe à vitesse grand V
Le système du microcrédit a été inventé il y a une trentaine d'années par le professeur d'économie bangladeshi Muhammad Yunus. En 1976, lors d'une séance de travaux pratiques d'un cours d'investissement, il propose à ses étudiants d'interroger les fabricants de tabourets en bambou des plus proches villages.
Les 42 femmes artisans ont besoin de 27 dollars au total pour développer leur activité. Or, toutes les banques refusent de financer ce trop faible montant à des clients a priori insolvables. Le professeur déclare avoir eu honte de cette situation et prête la somme de sa propre poche. En permettant aux producteurs d'acheter d'avance le bambou sans subir les variations importantes de prix. Ils réussissent à créer des emplois et à rembourser intégralement le professeur Yunus.
Il décide alors de créer la Grameen Bank, un organisme qui propose des prêts aux plus pauvres du Bangladesh, qui a accordé aujourd'hui environ 3 milliards d'euros de crédits à plus de 2,4 millions d'emprunteurs. Le 13 octobre 2006, la mise en place et le développement à grande échelle de ce système ont été récompensés par le prix Nobel de la paix attribué conjointement à Muhammad Yunus et à sa "banque pour les pauvres".
Le 24 janvier 2005, un rapport de la Banque mondiale a recensé 10.000 institutions de microfinance dans 85 pays au service de 130 millions de personnes, pour un encours de 30 milliards d'euros. L'Asie et le Pacifique totalisent 83% des comptes ouverts dans les pays en développement. Au Cambodge, cela concerne 400.000 personnes, et 18.000 nouveaux comptes sont ouverts chaque année au Kenya. Mais c'est surtout en Amérique latine et en particulier en Bolivie que le système connaît un grand essor.
Depuis 1999, la méthodologie de crédit adoptée par les institutions de microfinance prend de manière croissante la forme d'un produit individuel flexible, ressemblant plus aux produits bancaires classiques. La forme choisie à l'origine était basée sur la méthodologie de crédit collectif, utilisant les mécanismes d'épargne locale et de caution solidaire et la supervision des pairs pour couvrir le risque de crédit. Se sont rapidement ajoutés des financements extérieurs reposant sur un système de titrisation des portefeuilles de crédit.
En France, le principal opérateur est l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie). Elle délivre 10.000 à 13.000 microcrédits par an à des chômeurs ou Rmistes créateurs de leur propre emploi, ou à des travailleurs pauvres. L'association compte plus de 130 agences sur toute la France, dont une à Mayotte depuis 1996, avec 460 salariés et un réseau de 1.500 bénévoles pour étudier et accompagner les projets.
Avec Wikipedia
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