05/06/2009 – Archéologie : A la recherche des cités swahilies

 

{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Comment s'est constitué le peuple swahili ?

Stéphane Pradines : Le peuple swahili s'étend du sud de la Somalie, Mogadiscio, au Mozambique, en incluant l'archipel des Comores et jusqu'à la côte nord-ouest de Madagascar. La constitution du peuple swahili est liée à deux choses : la fuite vers les rivages de l'Afrique de l'Est des minorités religieuses chiites persécutées, et le commerce des esclaves, de l'or et de l'ivoire qui y amenait marchands arabes et persans. Les Swahilis sont issu d'un métissage d'Africains, Perses, Arabes, Bantous et Indiens, il n'y a pas un Swahili mais des Swahilis.

La langue swahilie est de base bantoue, à laquelle s'ajoutent de l'arabe et du perse, ainsi que des mots indiens baloutches. On assiste à une réarabisation de la langue à partir du 18e-19e siècle par les Omanais, avec un ajout de mots arabes.

Le terme "swahili" vient de l'arabe "sahel" : le rivage. Ce terme n'apparait qu'au 17e siècle, au moment où les Blancs ont cherché à cataloguer les différentes cultures africaines.

 

Mayotte Hebdo : Qu'est ce qui caractérise le peuple swahili ?

Stéphane Pradines : La constitution de la culture swahilie a lieu entre le 10e et le 12e siècle. Le peuplement mythique des Shiraziens se fait à ce moment là. La culture s'étoffe entre le 13e et le 15e siècle.

Les Swahilis ont une religion commune qui est l'Islam. Leur architecture apparait au 10e-12e siècle avec partout les mêmes méthodes de construction : des maisons en pierres de calcaire corallien, très élaborées. Les Swahilis ont déjà des notions d'urbanisme, on retrouve également des toilettes dans toutes les maisons, ce qui est très moderne. Chaque cité frappe sa propre monnaie, ce qui ne se faisait pas dans les autres cités d'Afrique noire à l'époque et montre une grande richesse.

C'est une population complètement tournée vers l'océan Indien. A l'intérieur des terres elle prend des éléphants, des esclaves et de l'or, pour le commerce avec le monde arabo-persan. Les cités swahilies ont des moyens technologiques très avancés, elles dominent les autres populations, cependant les traces écrites et fouilles archéologiques montrent qu'il n'y avait presque pas de conflits avec les peuples voisins. Au contraire, plusieurs tribus travaillaient pour les cités swahilies, véritables cités-états qui faisaient appel à des tribus extérieures pour leurs ressources, la chasse, etc.

 

Mayotte Hebdo : Comment s'organisait une cité swahilie ?

Stéphane Pradines : Pour l'organisation géographique, on trouvait au centre des bâtiments en pierres pour les waungwana : l'élite de la cité, les vieilles familles de marchands qui détiennent le pouvoir politique. Autour, ce sont les wazalia, qui vivent dans des maisons en torchis – dans certaines cités dans des maisons en pierres – ce sont des bantous islamisés, qui font de la céramique, des perles, de l'élevage… Ce ne sont pas des esclaves, ils sont intégrés à la cité mais pratiquent des activités moins "nobles". A partir d'un moment on trouve des enceintes pour protéger les cités. En dehors, ce sont ceux considérés comme des barbares. Toutes les cités sont situées au bord de la mer, sauf Gédi qui est à 7km du rivage.

Il y a deux systèmes politiques : dans le premier ce sont des clans qui dirigent la ville sous la forme d'une sorte de conseil des anciens auquel participent les familles les plus riches. Le système shirazi, au 13e-15e siècle, fonctionne avec un sultan, une famille dirigeante. Dans certaines cités on trouve les deux systèmes combinés : un sultan entouré d'un conseil.

 

Mayotte Hebdo : Mayotte et les Comores sont-elles intégrées au monde swahili ?

Stéphane Pradines : Absolument. Je ne suis pas spécialiste de l'archipel, mais les Comores apparaissent dans le mythe de fondation des villes shiraziennes : un sultan et ses six fils quittent Shiraz (Perse, ancien Iran), chacun des fils fonde une ville : Mogadiscio, Gédi au Kenya, Mombasa, Kilwa en Tanzanie, Zanzibar et une ville aux Comores, certainement à Ngazidja. On retrouve également les Comores dans les voyages de Simbad le marin au 9e siècle. L'histoire de l'archipel des Comores est totalement liée à la côte swahilie.

Les tombes shiraziennes de Tsingoni sont les mêmes que celles que l'on trouve à Lamu. La mosquée de Tsingoni est faite sur le même modèle que les mosquées swahilies : le pilier face au mihrâb se retrouve dans les constructions du Yémen et d'Oman. On décèle des influences variées dans l'architecture de la mosquée de Tsingoni.

 

Mayotte Hebdo : Qu'est-il advenu de la civilisation swahilie ?

Stéphane Pradines : Du 13e au 15e siècle, c'est l'explosion des cités swahilies. Ensuite, c'est l'arrivée des Portugais en 1498 avec Vasco de Gama, qui cassent l'économie swahilie et s'installent jusqu'en Inde à Goa, où ils cassent le lien de commerce entre l'Inde et l'Afrique orientale. Les cités ont survécu aux Portugais, elles existent toujours au 19e siècle. Kilwa y est un centre d'exportation d'esclaves important, c'est la grande époque de la traite des noirs avec le sultanat de Zanzibar.

Par la suite, avec la colonisation britannique qui interdit le commerce des esclaves et l'ouverture du canal de Suez, l'économie swahilie est démantelée. Au Kenya et en Tanzanie, la colonisation donne le pouvoir aux tribus de l'intérieur des terres, les Swahilis perdent leur richesse et leur influence. Il y a eu une diffusion de la langue swahilie avec les caravanes négrières, elle est parlée au Burundi, au Rwanda… mais il n'y a pas eu de diaspora, les Swahilis restent installés sur la côte.

 

Propos recueillis par Hélène Ferkatadji

 

Conférence ce samedi 6 juin à 18h à la MJC de M'gombani sur le thème "Culture swahilie : bilan des fouilles archéologiques en Afrique de l'Est"

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