{xtypo_dropcap}U{/xtypo_dropcap}n kwassa a chaviré au large de Mayotte, sur la trentaine de passagers seulement onze personnes ont été retrouvées. Pendant deux jours, ils ont survécu en restant accrochés à une épave à la dérive. Jeudi dernier, l’annonce de ce nouveau drame a ébranlé la communauté mahoraise. Le temps de comptabiliser les victimes et de regretter une fois de plus la mésentente entre les deux gouvernements et tout était oublié.

Mais pour Zainaba, cette mère de six enfants, tout comme pour les onze rescapés, c’est une autre histoire. Impossible d’oublier ces compagnons d’infortune, ceux qui n’ont pas survécu au voyage. C’est en allant faire des démarches à Mayotte, pour régulariser sa situation, que cette mère de six enfants dit avoir été embarquée par la police aux frontières. Nous sommes le jeudi précédant le drame. "Ils m’ont expulsée le jour même vers Anjouan. Je me suis alors retrouvée là-bas sans argent."

Pendant quatre jours elle survit ainsi grâce à l’aide de personnes charitables qui lui fournissent de quoi se nourrir. C’est aussi pour l’aider qu’un couple avec trois enfants lui propose de repartir avec eux. Le mari avait été expulsé en même temps qu’elle. "Je leur ai dit que je n’avais pas d’argent pour payer les passeurs. Ils m’ont alors proposé de m’avancer l’argent en attendant que je puisse les rembourser." Après plusieurs hésitations, la femme accepte finalement de reprendre la route vers Mayotte.

 

"Les hommes ont essayé d’aider le plus de monde à s’accrocher à l’épave"

 

C’est dans la matinée du lundi qu’ils quittent finalement Anjouan. Ils sont 26 sur la barque, mais en mer ils croisent une barque plus chargée. Les passeurs se sont alors arrangés entre eux pour délester la seconde barque de six passagers, se souvient la femme. Une manœuvre qui l’a tout de suite alarmée. "J’ai vu que l’embarcation commençait à prendre l’eau. Je leur ai signalé, mais personne ne m’a écoutée. On m’a juste déclaré que nous les Grands-comoriens on faisait toujours des chichis. Sur la barque nous étions que deux Grandes-comoriennes : moi et une jeune fille qui était enceinte d’environ cinq mois. Alors j’ai préféré me taire."

Malheureusement, la suite des évènements vient confirmer ses inquiétudes. Vers 17 heures, alors que la barque se trouve en pleine mer, l’eau commence à rentrer encore plus vite dans la barque. Ils se mettent tous à écoper, sans succès, avant que les passeurs ne décident de faire descendre tous ceux qui savent nager. Seuls les enfants et les femmes restent à bord.

"À ce moment-là, la femme qui m’a aidée à payer mon trajet m’a suppliée de veiller sur ses enfants si jamais il leur arrivait malheur." Une promesse que Zainaba n’aura pas à tenir… Sous l’assaut des vagues, la barque se casse en deux, projetant les passagers à l’eau. En dépit des efforts déployés, la petite famille ainsi que plusieurs autres passagers disparaissent sous les vagues. "Les hommes ont essayé d’aider le plus de monde à s’accrocher à l’épave. Chacun d’entre nous avions pris les enfants survivants sur le dos. Certains en avaient même deux sur eux."

 

"L’Etat comorien nous fait subir la pire misère"

 

Commence alors le plus éprouvant de l’épreuve. Pendant plusieurs heures, ils s’accrochent ainsi à l’épave. Une nuit passe, puis une journée sans eau ni nourriture. Malgré les douleurs provoquées par leurs membres endoloris, ceux qui portent les enfants sur leur dos refusent de les abandonner. C’est finalement les morsures du soleil et du sel qui viendront à bout des plus fragiles. Un à un, ils meurent de déshydratation.

"Durant la seconde nuit, certaines personnes ont commencé à délirer. Ils avaient des hallucinations et ils disaient : "venez on va dormir", avant de lâcher l’épave…" Des moments éprouvants pour Zaïnaba, mais pour elle la douleur ressentie à ce moment n’est rien en comparaison de la douleur des souvenirs. Et malgré les sanglots, elle insiste à plusieurs reprises pour continuer.

"Je veux que les gens sachent ce qui se passe là-bas, pour que notre gouvernement trouve rapidement une solution. L’Etat comorien nous fait subir la pire misère, ils doivent commencer à prendre en compte la souffrance de la population et se réconcilier avec la France." Elle conclue son témoignage en racontant l’histoire de cet enfant de cinq ans. Après avoir survécu pendant deux jours accroché au dos d’un rescapé, il mourra seulement une heure avant qu’ils ne soient découvert par une barque de pêcheurs.

"Il a dit : je veux de l’eau, je lui ai répondu qu’il devait attendre qu’on arrive à la maison. Il a répété de nouveau qu’il voulait une boisson. Et ce furent ses derniers mots…" La femme reste silencieuse, incapable de continuer. Son esprit reste hanté par l’image de cet enfant de cinq ans. Lui aussi est resté là-bas malgré les efforts de l’homme qui le portait. "On voulait ramener son corps pour lui offrir un enterrement religieux." Comme tous les autres, Son petit corps erre désormais quelque part dans ce purgatoire, sur la route de l’eldorado.

 

Halda Toihiridini

 


 

Aynoudine Salime, cadre aux urgences – Comment ces rescapés ont été pris en charge à leur arrivée ?

 

Après une telle épreuve, de quoi souffrent ces personnes à leur arrivée ?

Nous avons récupéré 11 personnes : 8 adultes, dont une femme enceinte et deux jeunes. Une fille de 15 ans et un garçon de 10 ans. Lorsqu’elles sont arrivées, ces personnes souffraient avant tout d’une fatigue importante. Elles sont quand même sont restées longtemps dans l’eau, sans boire, ni manger. Elles étaient déshydratées et souvent en hypothermie. Certaines ont été brûlées par le soleil. Elles avaient d’autres pathologies moins graves, comme des gerçures importantes aux lèvres à cause de l’action du sel et du soleil, ou alors des douleurs musculaires liées au fait qu’elles se sont agrippées à l’épave et aussi se sont débattues contre les vagues pendant deux jours. Mais ces personnes souffrent aussi d’un traumatisme qu’il ne faut pas négliger.

 

Comment ces personnes ont-elles été prises en charge, les mineurs notamment ?

On les hydrate beaucoup à travers des perfusions et on leur donne à manger. Ils ont été placés sous surveillance pendant 24 heures. Le temps de se reposer et après on les laisse sortir. Mais durant cette période, ils sont aussi suivis psychologiquement par la cellule d’urgence médico-psychologique. Il est important de les faire parler de leur souffrance psychologique. Après leur sortie, ils peuvent continuer à voir quelqu’un s’ils le souhaitent. Les mineurs sont récupérés par leur famille, il ne faut pas oublier que ces gens là ont de la famille ici pour la plupart. D’ailleurs, ces derniers peuvent aussi bénéficier d’une aide psychologique. Ils doivent pour cela se rendre au centre à côté de Ballou pour avoir une consultation.

 

Comment se passe la gestion des familles ?

Le plus dur du travail est de gérer les familles. Quand ils apprennent la nouvelle, ils viennent s’agglutiner devant les urgences. Ils veulent voir les patients. Si on leur dit qu’on n’a pas le nom de leur proche, ils se mettent à pleurer et il faut les calmer, ou alors ils insistent pour voir les rescapés pour les interroger eux-mêmes. Parce que lors de ces drames, il règne une confusion totale. Plusieurs kwassas partent le même jour et ils ne savent pas si quelqu’un de leur famille était dans l’embarcation qui a chaviré. C’est pour ca que j’ai dû sortir à plusieurs reprises pour donner les noms et les villages d’origine de chaque rescapé.

 

 

Dès l’annonce du naufrage, nous avons vu débarquer une centaine de personnes. A 19h, le parking des urgences était plein. Nous avons été obligés de placer un gardien pour filtrer les entrées. Certains passagers du kwassa habitaient ici depuis plusieurs années, d’autres ont des contacts sur place. Avant de partir de là-bas, ils les informent de leur arrivée imminente