04/06/2010 – Industrie

 

 

{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Eco : Le rachat des hydrocarbures par Total à la Collectivité en 2003 a-t-il été soumis à des conditions ? Est-ce en clair un monopole et si oui, avez-vous du mal à l'honorer comme pourrait en témoigner l'affaiblissement de la qualité de l'accueil en stations ces dernières semaines ?

 

Philippe Goron : Effectivement, beaucoup de personnes pensent que nous sommes en situation de monopole de droit. C'est entièrement faux. Lorsque nous avons racheté en 2003 l'ensemble des actifs de la Compagnie mahoraise des hydrocarbures (CMH), l'ensemble était vétuste et plus du tout dimensionné pour absorber le développement à venir de Mayotte. Avec cette acquisition d'un montant de 13 M€, il a été prévu que nous, société Total, nous investissions 17 M€ pour moderniser les installations existantes et développer les activités. Chronologiquement, il fallait d'abord refaire le dépôt des Badamiers. Nous nous sommes principalement focalisés sur ce chantier pour le remettre le plus vite possible aux normes. Au départ, il était envisagé de le refaire et de l'agrandir, mais l'on s'est très vite aperçu que le développement de l'île se concentrait sur Grande Terre, d’où la décision de construire un dépôt à Longoni. Ce dépôt de carburant a mobilisé jusqu'à maintenant la majeure partie de nos investissements, puisqu'à fin 2010 nous en sommes à presque 50 M€ hors acquisitions, dont 30 M€ uniquement pour le dépôt.

Le reste des investissements a été utilisé pour rénover un certain nombre de stations-service, pour la réalisation d'un dépôt aviation entièrement neuf et pour un centre de dépôt de lubrifiant également sur le site de Longoni. Effectivement, nous avons consacré à peine la moitié de ces 50 M€ d'investissements pour travailler sur la distribution en elle-même.

Lorsque nous avons racheté les hydrocarbures, dans le protocole d'accord il y avait effectivement un engagement pris par notre société pour remettre les installations courantes en état de marche et un engagement aussi pour développer par le futur des nouveaux points de vente. Ces nouveaux points de ventes sont au nombre de deux : un premier qui doit se situer sur la zone de Coconi, et un autre tout à fait au Nord, dans la commune d'Acoua.

Lorsque nous sommes arrivés, il y avait sept stations-service terrestres et deux marines. Si le nombre n'a pas évolué, et j'insiste sur ce point, les stations d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec celles de l'époque. Que ce soit en termes de capacité de stockage, de distribution et de niveau de sécurité, les stations terrestres ont parfaitement été revues pour coller à l'évolution de Mayotte.

Le programme est encore en cours de développement puisque nous prévoyons d'investir 30 M€ entre 2011 et 2020, et ces investissements à venir contiennent la rénovation dès cette année des stations de Pamandzi et de Longoni, qui seront refaites entièrement en 2011. Nous avons également prévu de construire celle de Coconi à partir de 2011.

Nous avons également d'importants investissements prévus pour le dépôt aviation pour accompagner au mieux d'éventuelles liaisons directes, puisque nos installations aujourd'hui ne permettent pas de ravitailler des gros porteurs de façon complète, ainsi que pour l'accroissement des capacités de stockage du dépôt de Longoni et la construction d'un atelier d'entretien de véhicules sur le site de Longoni qui sera livré avant la fin 2010.

Enfin, d'importantes opérations de création et de réfection des stations marines vont être lancées cette année. La station du quai Ballou est en train d'être complètement refaite avec des équipements neufs, auxquels se rajouteront des éléments de protection de l'environnement.

Nous sommes en concertation avec la CCI au sujet d'un projet de création d'une station intégrée aux nouveaux pontons de Mamoudzou qui sera installée d'ici la fin de l'année et à partir de laquelle nous proposerons quatre produits : essence, gazole, essence détaxée et gazole détaxé. Cette station remplacera à terme la station du quai Issoufali qui est trop vétuste et qui n'est plus adaptée à la distribution de carburant aux normes.

 

 

Kawéni, Passamainty et Majicavo ouvertes 7j/7, de 7h à 21h

 

 

ME : En termes de gestion des ressources humaines, avez-vous un problème de sous-effectif ? Beaucoup d'usagers se plaignent qu'il n'y ait pas en permanence autant de pompistes que de pompes.

 

PG : Nous sommes organisés aujourd'hui avec une équipe commerciale complète, et l'entreprise compte 178 salariés. Et les postes pour lesquels nous avons le plus recruté ces derniers temps ce sont les pompistes. Si effectivement ces dernières semaines il a pu être constaté des manquements au niveau des effectifs, c'est parce que dans la société il restait beaucoup de congés à prendre pour nombre de nos pompistes et la législation du travail veut que ces congés soient pris dans une période bien définie. Il est vrai que nous avons poussé pas mal de nos pompistes à prendre leurs congés. Est venu se greffer là-dessus le fait que nous avons une vague de congés maternité, puisqu'un grand nombre de nos pompistes sont des femmes.

Je le reconnais, nous avons eu quelques semaines délicates et difficiles au courant de ce mois de mai. Des difficultés qui ont été amplifiées par les nombreux jours fériés et mouvements sociaux qui ont agité l'île tout au long de ce même mois de mai.

Toutefois, face à ce constat, nous avons été amené à réorganiser notre mode de fonctionnement et notamment concernant les trois stations de la commune de Mamoudzou, Kawéni, Passamainty et Majicavo, qui elles posent problèmes. Nous avons décidé d'ouvrir ces trois stations 7 jours sur 7, hormis jours férié, à partir de 07h00 jusqu'à 21h00. Ceci devrait nous permettre de répondre à la demande qui se situe essentiellement sur Mamoudzou.

S'il y a eu des tensions ces derniers temps, c'est essentiellement lié à un cumul de jours fériés et de ponts, de grèves, de mouvement sociaux… autant d'éléments perturbateurs – un petit peu comme tous les mois de mai à Mayotte. Et aussi nous devons faire face à une culture de consommation différente, qui veut que beaucoup de nos clients ne font pas le plein mais préfèrent faire des ajustements de 10 ou 15 euros. On s'adapte, en attendant l'ouverture de la future station de Coconi, qui je l'espère verra le jour avant la fin 2011, en mettant des moyens supplémentaires.

 

ME : A-t-il été envisagé de mettre en place des stations ouvertes 24 heures sur 24, avec des systèmes de paiement par carte bancaire ?

 

PG : Ce système là est bien connu, mais nous l'utilisant en Métropole et uniquement en Métropole. Aucune station en Outremer ne fonctionne avec ce type de matériel. Il y a eu des essais qui ont été faits à la Réunion et qui n'ont pas donné satisfaction. Nous mettons un point d'honneur en Outremer à embaucher des pompistes pour assurer un service de qualité. Sur l'ensemble des 180 personnes employées par Total et SMSPP à Mayotte, plus d'une centaine sont des pompistes. Si l'on commence à mettre en place des automates, je vous laisse imaginer les conséquences et les répercussions sur l'emploi.

 

ME : Ce point d'honneur à embaucher des pompistes, est-ce un parti pris moral de Total ou une obligation contractuelle découlant du protocole d'achat de la compagnie des hydrocarbures ?

 

PG : C'est en aucun cas une obligation. Techniquement, nous pouvons très bien le faire. Mais l'impact au niveau de l'emploi serait immédiat, comme il pourrait l'être aux Antilles ou à la Réunion, et donc notre société ne souhaite pas le faire. Nous faisons partie de la zone Afrique/Moyen-Orient, et sur l'ensemble de ce périmètre, nous avons dans tous les pays un service de qualité avec des pompistes, au service de notre clientèle. Mayotte ne fait pas exception à cette règle commune.

 

 

Une pompe réservée aux deux-roues à Kawéni ?

 

 

ME : Et une expérience d'une station ouverte 24 heures sur 24 avec la présence d'un ou plusieurs pompistes ?

 

PG : Tout est possible, mais pour l'instant ce n'est pas envisagé. Il y a des sujets de réflexion, mais rien de décidé officiellement. Nous avons prévu de faire des tests sur la nouvelle station marine de Mamoudzou mais qui sera dédiée à une clientèle spécialisée. Maintenant, pour des raisons de sécurité, c'est assez délicat à mettre en œuvre.

 

ME : L'idée d'un pompe, peut-être pas sur l'ensemble de la journée mais au moins sur des horaires aménagés, qui soit intégralement réservée au ravitaillement des deux roues, et spécialement à Mamoudzou, est-elle saugrenue ?

 

PG : Ayant été par le passé directeur d'autres filiales et notamment africaines, comme au Burkina-Faso il y a quelques années, je vous dirais que c'est possible, puisqu'il y a effectivement dans ces pays des ilots spécifiques dédiés aux deux roues. Le problème à Mayotte c'est que lorsque nous avons reconstruit les stations-service, nous n'avons pas intégré ce type d'équipement.

Je pense qu'à l'époque il ne devait pas y avoir autant de deux roues qu'aujourd'hui, et nos prédécesseurs ont certainement jugé inutile de réaliser ce genre de module. Ceci dit, c'est une très bonne remarque que nous allons prendre en compte pour les nouvelles stations à venir et les réhabilitions complètes des stations de Longoni et de Pamandzi, mais j'avoue que pour les stations en place ce sont très travaux qui représenteraient un coût exorbitant. C'est quelque choses de très facilement envisageable en amont du projet, mais beaucoup plus difficilement réalisable sur une station existante.

 

ME : Pouvez-vous faire un point sur la législation en vigueur à Mayotte concernant l'approvisionnement des jerricanes et des nourrisses de bateaux ?

 

PG : La législation française et européenne en la matière est très claire : il est interdit de transporter une quantité de carburant en bidon dans une quantité supérieure à 30 litres. Au-delà, le consommateur et le vendeur sont répréhensibles, tout simplement et tout logiquement pour des raisons de sécurité; une voiture ou une camionnette, ce n'est pas fait pour transporter du carburant. Nous avons pour ça des véhicules qui répondent à des normes drastiques, ce qu'on appelle ADR, antidéflagrant. Un véhicule de particulier ne peut absolument pas répondre à ces critères.

Toutefois, en dessous de trente litres, le transport est toléré normalement pour le dépannage, même si nous faisons preuve de bonne intelligence, en corrélation avec les douanes, pour les propriétaires de bateaux mais aussi pour mieux accompagner la transition des modes de consommation, tout en se mettant progressivement en conformité avec les normes européennes.

 

ME : Vous prévoyez d'investir 30 M€ sur les 10 prochaines années. Quels seront les chantiers les plus significatifs ?

 

PG : Par exemple, nos dernières projections font état de plus de 10 M€ à investir en 2017 et 2018 pour l'augmentation des capacités de stockage du dépôt d'hydrocarbures de Longoni. Ce sont des travaux qui sont nécessités par l'augmentation estimée des consommations de carburant, et notamment celle d'EDM, notre plus gros client, qui a prévu d'augmenter ses capacités de production énergétique.

5 M€ en 2011 et 4 M€ en 2012 pour la création et la réhabilitation des stations dont nous parlions tout à l'heure. Il y a également beaucoup de logistique, dont des camions neufs, puisque la norme Total nous impose de travailler avec des camions qui ont moins de 10 ans ou moins de 1,5 million de kilomètres. Des dépenses d'entretien et de développement des boutiques, avec entre autre cette année le projet de création sur la station de Passamainty d'une baie de lavage, la création d'un dépôt de gaz à Longoni, l'extension du dépôt lubrifiant, des plans de formations et enfin des embauches : en un mois déjà, nous avons recruté et formé 10 pompistes pour augmenter les rotations afin de pouvoir effectivement ouvrir nos trois stations du chef-lieu 24h sur 24h.

 

Propos recueillis par François Macone

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