{xtypo_dropcap}Q{/xtypo_dropcap}u’évoque pour vous la commémoration de l’abolition de l’esclavage ?

En tant que descendant d’esclaves noirs, c’est forcément un évènement symbolique. Seulement, comme le rappelait le chef de l'Etat le 10 mai 2008, "l'esclavage est (…) une blessure qui marque encore les consciences… » Le décret de 1848 de Victor Shoelcher considérant l’esclavage comme un « attentat à la dignité humaine » ne représente qu’un affranchissement en droit. Les descendants d’esclaves n’ont jamais été affranchis « mentalement parlant » et sont toujours en quête d’une dignité… Aussi, pour moi, la dignité est un état par lequel le mental peut s’affirmer et se confirmer. Et pour l’acquérir fondamentalement, il faut commencer par retirer la « victimisation » que l’on a en soi. Chaque être humain détient en lui un sens de victimisation qui le conduit, selon son humeur, à se plaindre de son sort. Mais, ce sens est d’autant plus prononcé au sein des descendants d’esclaves noirs qu’il entretient une énergie de faiblesse en eux et les empêche d’avancer.

 

Pourquoi dites-vous cela ?

Parce que ce sens de victimisation les a induit à ne pas faire la distinction entre dignité de l’esclave noir, dignité du descendant d’esclaves noirs et dignité du peuple noir ! Or, le mental a besoin de la précision pour réaliser donc comment pouvait-on aboutir à une quelconque dignité sans savoir précisément quelle dignité revendiquer en premier ?!!

 

Et selon vous ?

C’est la dignité de l’esclave noir qui doit avant tout être reconnue. J’entends par là le fait de reconnaître sa force mentale ! Ayant été soumis à l’oppression, les esclave noirs ont toujours été considérés comme des êtres faibles mentalement mais en réalité, ne détenaient-ils pas au contraire une immense puissance mentale pour accepter et tolérer les coups de fouets qu’ils ont reçus et continuer, malgré les injures et les tortures, à tisser le coton, à couper la canne à sucre, à travailler sans relâche, ni aucune gratitude ?!! Trahis par leurs frères puis traités comme du bétail par leurs maîtres, ils auraient pu se tuer en masse, organiser un suicide collectif sous le poids de l’humiliation mais au lieu de cela, regardons ce qu’ils ont permis par la force mentale qu’ils détenaient : le développement du commerce, de la marine, de l’agriculture, des industries métallurgiques et textiles, des raffineries… à savoir l’évolution de la civilisation occidentale ! Il est évident que la traite négrière transatlantique et le processus esclavagiste ont largement favorisé la croissance de l’Occident : l’Angleterre, la France et même les Etats-Unis ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui si les esclaves noirs n’avaient pas existé !

 

Vous estimez que l’esclavage a eu des conséquences positives ?

C’est l’état d’esprit de l’esclave noir que je juge positif… il a été traité comme un « sous homme », pire qu’un animal, et il fallait résister. Mais il a résisté ! Aussi, je considère cet état mental qui lui a permis de résister comme un don inné dont il aurait hérité pour accomplir sa mission. C’est comme s’il avait été prédestiné pour donner au final un tel visage à la civilisation ! Donc, pour moi, il était loin d’être un « sous-homme », mais plutôt un homme (pour ne pas dire un « surhomme ») doté d’une toute puissance naturelle ! Et c’est précisément de cette « dignité naturelle de l’esclave noir » que son descendant doit fondamentalement prendre conscience et faire prendre conscience aussi bien au peuple blanc qu’au peuple noir, au peuple jaune, au peuple rouge et aux métis ; en somme, à l’humanité toute entière afin qu’elle soit enfin reconnue !!!

 

Ce qui n’est pas le cas selon vous ?

Non, sinon il y aurait déjà eu un texte officiel. La déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 reconnaît « la dignité et l’égalité inhérentes à tous les êtres humains » mais la dignité de l’esclave noir spécifiquement, elle, n’a jamais été reconnue ! En demandant une réparation de l’esclavage, une reconnaissance de la traite négrière comme un crime contre l’humanité, son enseignement dans les programmes scolaires ou encore l’adoption du 23 mai comme journée nationale du souvenir des victimes de l’esclavage, on voit bien que les descendants d’esclaves noirs sont à la recherche d’une dignité… Seulement, s’ils ne prennent pas conscience que c’est précisément la dignité de l’esclave noir qu’ils doivent avant tout revendiquer, leur combat s’avérera sans fin et ils ne se sentiront jamais pleinement affranchis « mentalement parlant »… car il y a une logique à respecter : la dignité du descendant d’esclaves noirs puis la dignité du peuple noir passe obligatoirement par la reconnaissance, au préalable, de la dignité de l’esclave noir !

 

Qu’est-ce qui vous fait affirmer avec autant de certitude que si cette dernière est reconnue, les descendants d’esclaves retrouveront leur propre dignité ?

Car partant de là, ils ne se considèreront plus en tant que victimes mais en tant que fils directs des fondateurs, des piliers de la civilisation occidentale ! Ils comprendront que c’est grâce à leurs pères que le monde moderne est tel que nous le voyons aujourd’hui et qu’étant les héritiers, ils n’ont pas à faire la charité ni à se glorifier pour que les droits de l’homme leur soient accordés ! Nous n’avons pas à chercher à nous glorifier : nos prédécesseurs nous ont déjà glorifiés de par ce qu’ils ont fait. Aujourd’hui, nous devons nous montrer dignes de l’héritage qu’ils nous ont laissé et qui est exposé chaque jour sous nos yeux lorsque l’on consomme du café, du sucre, du cacao ou du coton en provenance des Antilles ou des Amériques… Le descendant d’esclave noir n’a pas besoin qu’on le plaigne mais qu’au contraire, on lui tape sur l’épaule en lui disant « Bravo coco ! C’est grâce à tes ancêtres, qui ont coupé la canne à sucre, qui ont cherché et tissé le coton… qui ont fait tout ce qu’ils ont fait, que l’on a pu évoluer la civilisation occidentale ! » C’est de cela qu’il a besoin et non de chercher à tout prix à se victimiser… pour obtenir de la pitié en guise de dignité !

 

Vous n’êtes donc pas favorable à la Réparation ?

Je suis pour la réparation mais pour moi, réparer c’est faire reconnaître la force mentale colossale dont l’esclave noir a fait preuve ! Maintenant, si on considère que les esclaves ont travaillé comme des forcenés, que toute peine mérite salaire et donc que la réparation financière fait aussi partie de cette dignité, pourquoi pas mais alors une question se pose : comment évaluer les coups de fouets que nos pères ont reçu sur le dos ? Toutes les misères, les clous plantés dans le corps ? Pour moi, tout l’argent de la terre ne suffirait pas pour réparer les horreurs commises ! Aussi, supposons que la France accepte de payer des milliards en guise de réparation sans jamais reconnaître la dignité de l’esclave noir, quelle dignité aura t-on gagner ? Il adviendra un jour où l’on se regardera devant une glace et on réalisera que c’est sur le dos de nos ancêtres, du sang et des larmes qu’ils ont versés que l’on a pris tout cet argent ! Pour acquérir sa dignité, il ne faut pas regarder la monnaie qui va remplir nos poches mais le respect que l’on va susciter. Demander l’argent en guise de réparation sans revendiquer la dignité de l’esclave noir, c’est ne pas être digne. En revanche, faire un travail sur soi-même pour sortir du discours victimisateur et faire prendre conscience à chacun de la dignité de l’esclave noir afin qu’elle soit enfin reconnue, ça, c’est être digne car c’est retirer le poids de la victimisation qui pèse mentalement sur toute l’humanité !

 

Pourquoi sur toute l’humanité ?

Parce que la victimisation conduit à l’incompréhension, la colère, la révolte parfois même la haine… et comme le dit l’expression : « Qui sème le vent récolte la tempête ! » D’où le cercle vicieux infernal ! En revanche, si la dignité, soit la force mentale de l’esclave noir est reconnue, son descendant retrouvera forcément sa propre dignité et de là, trouvera la force qui est en lui pour pardonner non seulement aux maîtres et négriers blancs et à tous leurs descendants mais aussi aux négriers noirs et à tous leurs descendants, soit proclamer ainsi la dignité du peuple noir tout entier et l’union entre les peuples !

 

Vous ne pensez pas que cela est un peu utopique ?

Non. Tout comme les esclaves noirs ont trouvé la force mentale qui était en eux pour, malgré toutes les maltraitances subies, permettre les progrès de la civilisation, les descendants d’esclaves noirs doivent trouver la force mentale qui est en eux pour dire : « Je ne peux pas en vouloir aux blancs d’avoir mis mes pères en esclavage, car si j’en veux aux blancs, il me serait impossible de pardonner aux noirs qui ont troqué leurs frères en Afrique contre des textiles, des armes à feu, de l’alcool… ». Les descendants d’esclaves noirs doivent prendre conscience que leurs ancêtres les ont affranchis mentalement, de par ce qu’ils ont fait, et que c’est à eux qu’il incombe à présent d’affranchir mentalement l’ensemble du peuple noir.

 

Vous-même, vous avez pardonné ?

Je n’avais pas à pardonner. Qui pouvais-je incriminer voyant au final que chacun a accompli son rôle pour permettre une vie évolutive : le négrier (qu’il soit blanc ou noir) par sa malice et tout ce qu’il avait en lui, le maître, par sa dureté et tout ce qu’il avait en lui et l’esclave noir, par sa force mentale et tout ce qu’il avait en lui. Certes, certains avaient le bon rôle, d’autres étaient les boucs émissaires mais tous ont contribué à la positivité que nous voyons aujourd’hui ! L’évolution de la civilisation occidentale devait se faire donc je comprends ce qui s’est passé et je ne peux en vouloir ni au blanc, ni au noir, ni à personne car pour moi, telle était la volonté de la Nature !

 

Pourquoi de la Nature ?

Car pour que l’esclave noir trouve la force d’accepter tout ce qu’il a subi et qu’il est parvenu, malgré tout, à retrouver sa liberté, cela ne peut pas venir de lui mais d’une force qui vient de plus loin que lui ! Aussi, la reconnaissance de cette toute puissance naturelle des esclaves noirs sera, à mon sens, la voie vers la paix car elle conduira à une alliance de dignité entre les descendants d’esclaves noirs, les descendants de négriers et les descendants de maîtres !

 

Un dernier message pour les descendants d’esclaves noirs ?

J’ai envie de leur dire : le chêne résiste au vent mais la tempête qui le brise montre au chêne qu’il y a plus fort que lui. En revanche, le roseau qui se courbe et se relève après la tempête montre à la tempête : comme je me plis à ta loi, je peux vivre avec toi car après ton passage, je me remets debout pour continuer ma route ! Voilà ce que ce que l’esclave noir a fait et que je pourrai dédier à la nature des enfants d’esclaves noirs mais aussi à chacun… Car l’objectif de la vie est d’avancer d’horizon en horizon pour mieux voir ce que l’on voyait déjà et voir ce que l’on ne voyait pas !

 

Propos recueillis par Vanessa Attali

 


 

Quelques dates clés…

  • 23 mai 1848 : Décret de Victor Schoelcher proclamant l’abolition de l’esclavage en France
  • 10 décembre 1948 : Déclaration universelle des droits de l’Homme reconnaissant « la dignité et l’égalité inhérentes à tous les êtres humains » et interdisant « toute forme d’esclavage »
  • 23 mai 1998 : Marche silencieuse dans les rues de Paris pour le souvenir des millions de victimes de l’esclavage
  • 10 mai 2006 : Date du 10 mai fixée comme journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage
  • 23 mai 2008 : Première journée nationale en France du souvenir des victimes de l’esclavage colonial
  • DOM-TOM : Commémorations de l’abolition de l’esclavage le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, le 27 avril à Mayotte, et le 20 décembre à la Réunion

 

Paroles d’élus 

Nos élus ont rencontré l’artiste Jim Derry lors du congrès de l’ACC’DOM (Association des communes et collectivités territoriales de l’Outre-mer) qui s’est tenu en Guyane en novembre 2008.

Youssouf Mohammed, Maire de Bouéni : « Jim Derry a évoqué l’essentiel des choses dans ce monde et je pense qu’il faut suivre son chemin pour libérer le mental de l’humanité »

Abdou Madi Ahmad, ancien conseiller général de Mayotte et délégué au SMIAM : « J’ai trouvé les propos de Jim Derry très intéressants car même si on dit que l’esclavage est aboli, je pense qu’il n’est pas entièrement enterré ! On peut parler d’esclavagisme masqué… Il faudrait qu’il y ait une prise de conscience générale et je remercie en cela l’artiste Jim Derry de faire valoir ses idées !"

Ibrahim Amedi Boinahery, président de l’association des maires de Mayotte : « C’est un discours très intéressant et je vais prendre le temps de méditer dessus ! »

 

Le combat d’une association…

L’artiste Jim Derry est président de l’association humanitaire « Zégué zen » qui vise à venir en aide aux populations sinistrées par des catastrophes naturelles. Apolitique et areligieuse, cette association a également pour ambition d’encourager toute action visant à dépolluer la planète ainsi que le « mental » de l’homme qu’elle estime, en partie, responsable de cette pollution, du fait de sa faiblesse. Considérant que c’est notre sens de victimisation qui entretient une énergie de faiblesse en nous, elle compte, à travers son concept du « Zégué zen » (qui représente à la fois une nouvelle philosophie, un nouveau langage, de nouveaux jeux…), faire prendre conscience que le seul réel combat à mener au quotidien est un combat intérieur avec soi-même : celui de la positivité contre la négativité pour sortir de cette victimisation. Aussi, considérant ce sens plus prononcé au sein des descendants d’esclaves noirs, elle défend l’idée d’une nécessaire reconnaissance de la dignité de l’esclave noir déterminante, à ses yeux, quand à l'issue de la paix entre les peuples.

Pour info, l’association Zégué zen est née suite au cyclone Dean qui a touchée la Martinique le 17 août 2007. Sensible aux conséquences de cette catastrophe sur sa terre natale l’artiste Jim Derry a tout d’abord lancé une première action de dons de fournitures scolaires et grâce à ses partenaires, les magasins Champion, Huit à Huit, Euromarché et Carrefour Dillon, 70 000 € de fournitures scolaires ont été distribuées en main propre aux enfants des villes les plus sinistrées. Découvrant six mois après que de nombreux foyers étaient toujours en attente d’aides, il a monté le 4 janvier 2008 l’association Zégué zen. Pour l’anniversaire de Dean en août 2008, cette dernière a alors organisé en Martinique des galas à but caritatif avec notamment Mathieu Edouard et Bertrand Agot, finaliste et demi finaliste de la Star ac’ 7 originaires de l’île mais aussi des artistes locaux tels que Ekymose, les Sweet Myel, Stella Gonis, Sylvanise Pépin, Sister Majesty, Lobaï, Diclos… Au total, près de 4000 € de fonds ont été récoltés et reversés dans leur totalité aux CCAS du François, de Sainte-Anne et de Fort-de-France avec lesquelles l’association avait signé une convention : « les sinistrés concernés prioritairement étant ceux qui doivent reconstruire ou réhabiliter leur maison abîmée lors du cyclone et qui ont des difficultés à verser leur apport personnel afin de lancer les travaux. » Par ailleurs, suite aux quatre ouragans Fay, Gustav, Hanna et Ike qui frappent Haïti en août et septembre 2008,'association Zégué Zen a organisé une collecte et, en partenariat avec la Délégation départementale de la Croix Rouge Française en Guyane qui livrait une ambulance, a fait partir du Havre un container comportant 8500 paires de lunettes, des jouets, des vêtements, des produits de premier soin, des denrées alimentaires non périssables, des matelas d’hôpitaux… Ce dernier est arrivé à Port au Prince en avril et a été réceptionné par la Croix Rouge Haïtienne, en charge de la distribution, qui envisage d’organiser prochainement des journées portes ouvertes avec des ophtalmologues afin de remettre les lunettes et les autres marchandises aux plus démunis. l

Enfin aujourd’hui, l’association se mobilise en faveur de l'Italie qui a été frappé par un violent séisme début avril. En partenariat avec la Fondation Arezzo Wave Italia (FAWI) qui a pour objectif de promouvoir les jeunes talents en Italie et sur les marchés internationaux, elle met en place des concerts afin de collecter des fonds pour reconstruire des clubs et réaménager les salles détruites par le tremblement de terre à Abruzzo et y réorganiser des événements musicaux. L'objectif étant de ramener un peu de vie et de gaieté dans la vie des jeunes victimes du séisme. Son premier gala aura lieu le 27 juin à la Ferté-sous-Jouarre (en Seine et Marne) où se trouve une importante communauté italienne mais aussi son nouveau siège social. Là encore, des artistes renommés accompagneront l’association dans son combat qu’ils considèrent plus que positif car « au delà d’aider matériellement les populations touchées par des catastrophes naturelles, elle aide psychologiquement tout le monde ! » exprime le chanteur Bertrand Agot toujours présent à ses côtés.

Pour rejoindre vous aussi l’association, envoyer vos dons ou obtenir tout autre renseignement : Association Zégué Zen, 17 rue Michel Fauvet, 77260 La Ferté-sous-Jouarre Tél : 09 81 62 44 77 Mail : contact@associationzeguezen.fr

Site : www.associationzeguezen.fr