{xtypo_dropcap}T{/xtypo_dropcap}ounda : C’est assez rare que des fondateurs d’un mouvement musical africain débarquent à Mayotte. Puisqu’on vous a sous la main, comment avez-vous fondé le coupé-décalé ?

Lino Versace : En fait, avec des amis, on a improvisé des pas de danse en 2001. On dansait le coupé-cloué (il mime le geste avec ses mains) et on adaptait le pas aux musiques qui existaient quand on allait au Carré Blanc et à l’Atlantis (NDLR : boîtes de nuit africaines de Paris). Puis on a fait connaissance avec Douk Saga. Il dansait le coupé-cloué d’une manière décalée, c’est donc devenu le coupé-décalé. Par la suite, chacun a inventé ses pas.

 

Tounda : Pourtant, dans la presse africaine ou sur internet, des articles affirment que couper signifie faire un mauvais coup et décaler s’enfuir.

Lino Versace : Le problème quand on est Africain, c’est qu’on cherche toujours à détruire ce que fait l’autre au lieu de le valoriser. Où est-ce que nous nous sommes enfuis ?

 

Tounda : Vous attendiez-vous à ce que votre musique connaisse autant de succès ?

Lino Versace : Le plus difficile quand vous sortez un concept musical c’est de le faire connaître. Aujourd’hui, quand vous allez dans une boîte africaine, il y a forcément du coupé-décalé ! On est sûr que quand nous serons partis, le coupé-décalé existera toujours. Bob Marley et Tupac sont partis, mais le reggae et le rap sont encore là.

 

Tounda : Que savez-vous du public mahorais ?

Lino Versace : Je ne suis pas inquiet. Les Mahorais ont un peu la mentalité africaine et ont le sens de l’hospitalité.

 

Tounda : Vous avez évoqué feu Douk Saga (décédé en 2006). Que représentait-il pour vous et les autres membres de la Jet set (NDLR : collectif constitué des créateurs du coupé-décalé) ?

Lino Versace : Douk Saga était comme le capitaine de l’équipe. Quand le concept musical a été créé, il a osé sortir un single puis un album. Il a pris un risque et si cela n’avait pas marché pour lui, nous n’aurions pas réussi. On a tous suivi par la suite, il a fait un investissement moral et financier énorme. Mais à la manière d’une équipe de football, il était notre Zidane. Mais Zidane tout seul ne peut rien. Chacun d’entre nous a apporté beaucoup pour promouvoir le coupé-décalé. Nous étions complémentaires.

 

Tounda : Vous venez de parler de football. La transition est toute trouvée. Beaucoup de footballeurs professionnels ivoiriens et africains ont soutenu et promu le coupé-décalé. Quelles sont les relations que vous entretenez avec eux ?

Lino Versace : Didier Drogba a beaucoup participé à la promotion du coupé-décalé. Quand il jouait à Guingamp, il venait tous les dimanches à l’Atlantis pour danser. Et à chaque fois qu’il marquait, il dansait le coupé-décalé. Saliou Lassissi et Samuel Eto’o ont aussi beaucoup soutenu le mouvement.

 

Tounda : Quel est le footballeur avec lequel vous vous entendez le mieux ?

Lino Versace : (sans hésitation) Abdul Kader Keita qui joue à Lyon.

 

Tounda : Les textes de coupé-décalé sont le plus souvent très festifs. Pourtant votre musique est née à la même période que la guerre civile qui sévissait en Côte-d’Ivoire. Ne peut-on pas aborder des sujets sérieux dans le coupé-décalé ?

Lino Versace : La guerre a bien évidemment joué sur la nature des textes. Mais dans mon prochain album qui s’intitulera “L’amusement est terminé, maintenant on passe aux choses sérieuses”, les textes sont plus matures. Mais tout ce qui vient, c’est la volonté de Dieu.”

 

Propos recueillis par Faïd Souhaïli