{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}ayotte Hebdo : Pourquoi avoir laissé traîner les choses au point de laisser mourir la DAFP ? Deux ans et demi d’inactivité, c’est beaucoup…

Ahamed Attoumani Douchina : Au même titre que l’état civil, le foncier est pour moi un chantier majeur de la départementalisation de Mayotte. L’enjeu ici pour la CDM est de réussir un développement cohérent et harmonieux de notre île, à travers la mise en œuvre d’un grand nombre de projets d’aménagement et de développement du territoire. La majorité de ces projets sont consommateurs d’espace, ce qui fait de la maîtrise du foncier aujourd’hui un enjeu stratégique fort pour Mayotte. Donc sans ambiguïté aucune, le foncier est une priorité absolue pour le conseil général.

Mais cette question fait partie des dossiers difficiles dont j’ai hérité de mon prédécesseur, qui n’a pas su prendre ses responsabilités puisqu’il a laissé se détériorer les choses, sacrifiant ainsi l’intérêt des Mahorais les plus nécessiteux. C’est en effet depuis 2006 que ces services ne fonctionnaient plus. Dès mon arrivée à la présidence du CG en 2008, j’ai donc pris les choses en main et aujourd’hui, après plus de deux ans de sommeil, cette direction sort de sa léthargie pour servir les Mahorais. Bien sûr la restructuration n’est pas entièrement achevée, mais les changements sont déjà visibles.

Mais comme vous le savez, l’exercice n’est pas aisé, car il me faut à la fois réparer les erreurs de mon prédécesseur en remobilisant des services dont le fonctionnement était entravé, mais aussi en réhabilitant des cadres mahorais de haut niveau mis au placard pour des susceptibilités sans aucun intérêt pour Mayotte. Car vous savez que plus que jamais la CDM a besoin de mobiliser toutes les ressources disponibles pour mener à bien ses missions.

 

"Des tournées vont être organisées dans les communes pour rencontrer le public et accélérer les démarches"

 

MH : Avez-vous mobilisé les moyens humains nécessaires à la réalisation des missions assignées à cette direction ? Le personnel est-il formé pour cela ?

AAD : Le choix d’Ismaël Kordjee comme directeur n’est pas anodin, c’est quelqu’un qui a déjà fait ses preuves dans une situation similaire. Comme chacun le sait, il est pour beaucoup dans nos acquis en matière culturelle à Mayotte aujourd’hui. Homme de conviction, c’est un bourreau de travail, c’est une personne qui a un sens aigu du service à rendre aux Mahorais et des enjeux de développement de notre île. Pour preuve, il a refusé un poste important que je venais de lui proposer pour se consacrer exclusivement au foncier. Je suis confiant quant à sa capacité à nous sortir de cette situation difficile. En plus, son équipe d’encadrement va être renforcée pour plus d’efficacité. Pour ce qui est de la formation, mes services examinent un plan de formation que le directeur a proposé pour l’ensemble du personnel. Cela fait partie des moyens que j’ai décidé de mobiliser pour que cette direction réalise ses missions dans les meilleures conditions de travail possibles.

 

MH : Pourtant, les conditions matérielles de certains services ne semblent pas encore à la hauteur des enjeux…

AAD : Il est vrai qu’on ne peut pas exiger de la performance sans y mettre les outils. Mais, comme je l’ai dit tout à l’heure, l’organisation de la fonction foncière n’est pas encore achevée. Malgré une situation financière tendue au conseil général, j’ai donné des consignes strictes pour que cette direction sorte de sa précarité matérielle et qu’elle puisse enfin avoir les moyens de fonctionner normalement. Les signes de l’amélioration de la situation sont déjà au rendez-vous : des nouveaux locaux pour accueillir les services de la régularisation et des actes. D’autres locaux sont en cours d’aménagement pour accueillir dans les meilleures conditions les autres services et un matériel informatique flambant en neuf est mis à disposition. La commission du patrimoine et du foncier se réunit régulièrement maintenant, le public commence à être reçu normalement pour les opérations de régularisation, des tournées vont être organisées dans les communes pour le rencontrer et accélérer les démarches.

 

"Il devient urgent de s’accorder sur une politique foncière forte et cohérente permettant de mieux gérer cette ressource et de préserver pour les années à venir nos capacités de développement et d’aménagement"

 

MH : Avez-vous défini une stratégie en matière foncière ?

AAD : Notre stratégie foncière, identifiée comme telle, nécessite d’être affinée. Mais d’ores et déjà j’ai fait savoir que ma priorité, bien sûr, c’est la régularisation foncière. Il faut achever ce chantier qui est lourd mais indispensable pour les Mahorais. Cette étape est importante car elle permet à beaucoup de Mahorais de sortir de l’incertitude et de l’instabilité qui les fait se sentir tous les jours étrangers chez eux.

Parallèlement à cette politique de régularisation, il nous faut en effet arrêter les priorités permettant de définir une véritable stratégie foncière, pour répondre aux enjeux des politiques territoriales, tout en veillant à assurer une gestion maîtrisée de l'espace. Le foncier est donc, comme vous le voyez, une dimension fondamentale du développement de notre territoire et ce dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’urbanisme, du développement économique et agricole, de l’environnement… Il devient donc urgent de s’accorder sur une politique foncière forte et cohérente permettant de mieux gérer cette ressource et de préserver pour les années à venir nos capacités de développement et d’aménagement.

C’est dans ce but que sont programmées, en complément des états généraux, les assises du foncier qui se tiendront au mois de septembre 2009. Il s’agit en effet d’identifier l’ensemble des problématiques foncières de l’île pour mieux en tenir compte. Ces assises vont donc réunir des experts locaux et étrangers, les communes, les syndicats intercommunaux, les chambres consulaires, les sociétés d’aménagement, les syndicats et groupements d’agriculteurs, les associations de défenses des intérêts de la population…

Les conclusions de ces assises complèteront le travail engagé par le conseil général pour arrêter une politique foncière cohérente, qui doit permettre notamment de dégager rapidement les emprises foncières nécessaires à la réalisation de nombreux projets : équipements collectifs, urbanisation, activités de développement économique, agricole et environnemental… Il faut aussi pouvoir y intégrer la préservation des espaces naturels pour permettre à nos villes de respirer.

 

"Il faut que le décret permettant le transfert des zones urbanisées dans la ZPG puisse sortir car, malgré ses imperfections, ce texte est favorable à la population mahoraise"

 

MH : Ne pensez-vous pas que cette cohérence que vous recherchez risque d’être mise à mal par la situation des terrains occupés dans la Zone des pas géométriques (ZPG), domaine inaliénable de l'Etat ?

AAD : Ceux qui ne connaissent pas l’Histoire de Mayotte et l’attachement de sa population à la terre reprochent aux Mahorais de confondre la notion d’occupation et celle de propriété. Je considère pour ma part qu’il n’y a pas de confusion possible dans l’esprit des Mahorais. Ils ne font que revendiquer en connaissance de cause, la reconnaissance de leur bon droit. Il faut quand même se rappeler que tous les textes qui ont régi l'immatriculation foncière à Mayotte depuis 1904 prévoyaient que l'immatriculation foncière aboutissant à la délivrance d'un titre de propriété était facultative pour les terrains appartenant à des personnes de statut personnel. La preuve de la qualité de propriétaire foncier pouvait donc être apportée par tous moyens.

Si l’immatriculation de la propriété n’avait pas été facultative, si les transferts de propriété étaient soumis obligatoirement à déclaration, tous les Mahorais ne seraient pas aujourd’hui dans la situation dans laquelle ils se trouvent. Ceci, d’autant que les acquisitions par un Européen de biens appartenant à des indigènes constituaient les seuls cas dans lesquels l’immatriculation était obligatoire.

La politique de la régularisation foncière vise donc à réparer ces injustices, en reconnaissant les occupations coutumières. Cette reconnaissance pourrait aussi se faire sur les zones côtières, parce que l’occupation humaine du littoral est plus ancienne que dans l’arrière-côte. Traditionnellement en effet, les Mahorais sont des agriculteurs et des pêcheurs, vivant de la complémentarité des produits de la pêche pratiquée dans le lagon et des cultures vivrières plantées dans l’arrière-côte. Cette spécificité de l’économie mahoraise a ainsi dicté depuis longtemps l’installation de la population autochtone à proximité du rivage.

Il faut donc que le décret permettant le transfert des zones urbanisées dans la ZPG puisse sortir. Il va permettre une fois pour toute de fixer des règles de gestion plus globale de la zone urbaine de cette Zone dite des pas géométriques. Car malgré ses imperfections, ce texte est favorable à la population mahoraise.

 

"Les Mahorais en votant massivement pour le "oui" au référendum sur la départementalisation veulent être Français comme tous les autres Français, et conçoivent de payer des impôts comme tous les autres Français"

 

MH : D’ici 2014, un cadastre fiable devra être disponible pour permettre notamment la mise en place de la fiscalité locale. Les Mahorais sont-ils prêts à payer ces impôts ?

AAD : Je trouve que le débat sur la mise en place d’une fiscalité à Mayotte est quelquefois tronqué. Pourtant les Mahorais, en votant massivement pour le "oui" le 29 mars dernier, ont choisi le droit commun. En leur âme et conscience, ils ont accepté les droits et les devoirs qui sous-tendent ce nouveau statut. Ils ont acté le principe de payer des impôts. Il faut cesser de penser que les Mahorais seraient des inconscients qui suivraient têtes baissées les exhortations de leurs élus. Il ne faut pas sous-estimer la sagesse, le bon sens et l’intelligence de la population mahoraise.

Les Mahorais ont voulu rester Français pour être libres. Ici en l’occurrence, il s’agit de la liberté de participer comme tous les citoyens français qui se respectent à la solidarité nationale. On ne peut pas continuellement leur reprocher de dépendre des transferts de crédits de la Métropole et en même temps refuser de les voir consentir à l’effort collectif pour s’en défaire même un peu.

Il faut donc retenir que les Mahorais en votant massivement pour le "oui" au référendum sur la départementalisation veulent être Français comme tous les autres Français, et conçoivent de payer des impôts comme tous les autres Français. Du reste, ils en payent déjà largement. Evidemment comme tous les autres Français, ils payeront des impôts en fonction de leurs revenus. Ils ont très bien entendu et compris les discours des élus et du préfet sur les droits et les devoirs des citoyens. Ils ont fait un choix sans équivoque. Il est donc vain de continuer à les sous-estimer.

 

Propos recueillis par Julien Perrot