{xtypo_dropcap}"E{/xtypo_dropcap}n deux ans, on a ouvert les portes". En guise de préambule de son bilan, AKM se félicite d'avoir réussi à intégrer Mayotte dans des réseaux. "Il fallait désenclaver Mayotte culturellement et faire entendre les artistes qui pouvaient être intéressés", estime-t-il.

"Désormais Mayotte est inscrite dans un projet international qui intègre l'ensemble des festivals de la région." AKM fait référence au réseau musical "Indian ocean music network", créé en mai 2009 à Johannesburg par les opérateurs du secteur musical de la région océan Indien et dont il est membre du comité exécutif (secrétaire adjoint).

Impulsé par Zone franche, le réseau des musiques du monde, et au même titre que l'Agence pour la promotion des musiques d’Afrique centrale (Apromax), l'IOMN a la volonté de structurer un peu plus le paysage musical dans la région.

"Ce qui est possible aujourd'hui pour les artistes mahorais est qu'ils peuvent être programmés à des festivals en Afrique de l'Est et dans l'océan Indien", citant en exemple le duo Diho et Del qui sont invités au festival Sauti za Busara 2010 qui se déroule du 11 au 16 février à Zanzibar. Le directeur de ce festival n'est autre que le président de l'IOMN Yusuf Mahmoud.

Selon AKM, cette "visibilité de l'océan Indien" est accompagnée par "un point qui constitue un acquis" : la présence de la Sacem à Mayotte.

"Avant 2008, nous avions une mauvaise image dans l'océan Indien. Nous devions au CCAC (Centre culturel Albert Camus) la somme de 27.000 euros de cotisation pour participer à la coordination régionale pour la diffusion des artistes. Notre mission était de nettoyer l'image de Mayotte. Désormais, nous sommes inscrits dans les projets du CCAC."

 

"Il faut développer l'ingénierie dans le privé"

 

Pour le directeur de la Dilce, il y a eu une ouverture dans le monde de la musique. "Les producteurs connaissent Mayotte. Aujourd'hui on nous propose des artistes sans qu'on aille les chercher, manifeste-t-il. Si les festivaliers locaux travaillent bien, ils ont l'opportunité d'évoluer en connaissances des réels paramètres des échanges.

Cependant, explique AKM, "il faut développer l'ingénierie dans le privé" et cela concerne les moyens de travail, à l'instar des studios d'enregistrement et des lieux de répétition qu'il faut étendre.

Une particularité bien connue, et bien présente à l'esprit en saison des pluies : les lieux de diffusion manquent à Mayotte. Aucune salle de spectacle digne de ce nom n'existe sur l'île. En attendant l'implantation d'infrastructures culturelles prestigieuses, une association fondée sur le réseau des MJC de Mayotte a été créée en 2008. Son objectif est de faire des scènes couvertes au sein des MJC et de les équiper en matériel.

Après une dizaine de réunions organisées, AKM s'interroge sur le devenir de cette association qui devra collecter des moyens auprès des pouvoirs publics pour atteindre ses objectifs. "Si le réseau des MJC se développe, nous aurons plus de diffusions, plus de travail pour les artistes et cela permettra aux privés qui sont les véritables moteurs de l'économie culturelle, de s'impliquer davantage."

 

Quel est le bilan du développement des disciplines artistiques ?

 

Pour le théâtre, la direction de la Dilce a voulu "redynamiser les troupes", "les maintenir en vie" et tout cela par la formation. Aujourd'hui on peut distinguer six troupes de théâtre dont "trois sortent du lots". Des stages ont été organisés en 2008 dans le cadre du festival Passe en scène.

En terme de formation, AKM estime qu'il faut saluer l'AJ Acoua et Comidrame. "Ces troupes connaissent aujourd'hui le mécanisme du théâtre contemporain, ils comprennent le travail d'auteur, de metteur en scène et de comédien", encourage-t-il.

AKM qui est aussi connu pour sa brillante carrière d'auteur et dramaturge n'oublie pas de complimenter Nassuf Djaïlani et Yazidou Mandhui qui sont "des jeunes auteurs qu'il faut surveiller". Le cercle des auteurs de théâtre s'agrandit : "Nassur Attoumani et Alain-Kamal Martial ne sont plus les seuls", souligne-t-il.

Sur le domaine des arts-visuels, "l'impulsion était forte en 2009", avec la création du Bang'Art. En 2008 cette discipline n'était pas compétemment "oubliée", précise AKM, puisque 24.000 euros ont été attribués à trois photographes locaux "pour qu'ils puissent prendre le temps de travailler et pour que la photographie ait sa place dans l'action". Le fruit de leur travail sera présenté cette année 2010.

L'année dernière étaient organisées, dans un rythme maintenu, deux expositions par mois, avec des ateliers de peinture. "On a découvert le sculpteur Conflit avec son art ancien de Mayotte". En 2009, le jeune artiste mahorais a échangé pendant un mois de résidence, dans le cadre du "Jardin de la mémoire", avec trois sculpteurs de la région : une Réunionnaise, un Malgache et un Mozambicain.

 

Danse : "Il faut que d'autres troupes émergent"

 

En danse, AKM rappelle qu'il y a très peu de troupes de danse contemporaine à Mayotte. Le ballet de Mayotte (la compagnie de Jeff Ridjali) est la seule compagnie professionnelle de l'île. Depuis 2007, elle est financée dans une convention trisannuelle par l'Etat et le conseil général pour développer la danse contemporaine, par la création, la formation et la diffusion.

"Il faut que d'autres troupes émergent", estime AKM. Et ce ne sont pas les jeunes danseurs qui manquent à Mayotte. La Dilce a sensiblement travaillé ces deux dernières années avec Tropical B Boys Crew. Groupe de jeunes danseurs hip-hop de Kavani et Passamainty, TBBC a participé en 2008 dans le cadre de la Passe en scène, à un atelier avec le Centre chorégraphique de Caen, et était en résidence en 2009 avec le danseur chorégraphe tunisien Hafiz Dhaou.

La Dilce n'oublie pas les danses traditionnelles et a voulu structurer le secteur en s'appuyant sur le Comité des chants et danses traditionnels. C'est avec cette formation fédératrice que le service culturel du conseil général a organisé les éditions 2008 et 2009 du Festival des arts traditionnels de Mayotte (Fatma), Hishima et l'opération "Jour de tradition" qui doit se poursuivre encore cette année, sous une autre formule moins coûteuse.

 

Musique : la discipline la plus soutenue

 

Enfin, la discipline artistique la plus pratiquée de l'île, la musique, a été fortement soutenue ces deux dernières années. Mayotte a accueilli des grands noms de la musique : Tarika Be, Morgan Héritage, Ras Iqulah, Kimani Marley, 5 des meilleurs groupes sud-africains lors du Fim 2008, Pablo Moses, U Roy, Olivia Ruiz, Grace, Tumi and The Volume, Papa Wemba… "Nous avons soutenu fortement des festivals locaux tels que Jah Marley Festival et Milatsika. Nous avons fait en sorte qu'ils soient connus dans la région.

Trois résidences-créations, financées à la hauteur de 40.000 euros étaient organisées en 2008 pour les artistes locaux. "Pour le projet Cham, 20.000 euros ont été alloués à l'association Musique à Mayotte pour 2008-2009."

"On a appuyé fortement la musique urbaine", le Festirap a été arrêté dès 2008, remplacé par un Plateau hip-hop qui tourne sur l'île, au sud, au nord, en Petite Terre et à Mamoudzou. "Nous avons travaillé fortement sur la diffusion des artistes hip-hop. Les mérites ne reviennent qu'à Bo Houss, mais nous sommes très contents de le voir évoluer. Je crois que le premier artiste mahorais qui percera dans le monde de la musique sera issu du hip-hop. On n'abandonne pas la tradition musicale, mais on n'accepte pas que le m'godro ait le monopole", apprécie AKM.

 

Centre culturel : "l'impossible n'est pas possible"

 

Pour AKM, le bilan des deux précédentes années est "très positif". Toutefois, AKM reconnait qu'il n'a pas réussi à répartir équitablement le budget entre les différentes disciplines artistiques, affirmant que la musique a bénéficié de la plus grande part de leurs projets. "Mon regret, c'est de ne pas avoir pu développer mon domaine : l'écriture. La littérature est encore fragile".

Pour 2010, la Dilce compte mettre le point sur la formation, en théâtre et danse contemporaine, et continuer, en musique, à ouvrir de plus en plus les portes.

Un mot sur le centre culturel qu'on appelle aujourd'hui "parc culturel", le point "le plus difficile" et qui dépend le moins de lui, bien qu'il faisait partie du projet qu'il a proposé avant sa nomination à la direction du service culturel : "Je ne tiens pas à m'exprimer sur le projet du parc culturel car il n'est pas de mes compétences".

AKM qui s'était déclaré "réaliste" lorsqu'il présentait la première saison de sa programmation, dont le slogan était "Soyons réalistes, exigeons l'impossible…", se rend compte deux ans après que "l'impossible n'est pas possible". Il ne peut que souhaiter que ce lieu de pratique et de diffusion, que la jeunesse mahoraise attend depuis longtemps, puisse être une réalité un jour.

Pour finir, le directeur de la Dilce lance un appel : "Il appartient à chaque artiste et à chaque acteur de militer au développement de la culture et de travailler afin de perfectionner sa pratique. Pour faire carrière dans ce milieu, il faut bien sûr avoir des appuis, mais il faut d'abord être talentueux, persévérant et avoir une intelligence de travail. Malheureusement, il n'est pas donné à tout le monde d'être une star et ce n'est surtout pas l'argent public qui fait de nous une star."

 

Rafik