02/04/2009 – Tribune libre : L’île de Mayotte en devenir

 

 

 

{xtypo_dropcap}D’{/xtypo_dropcap}une manière générale et au regard de l’expérience d’autres peuples, le devenir est sans doute la motivation première de tout processus de pensée ou d’action engagé par les peuples et provocant les phénomènes de regroupements de masse dans le but de faire triompher l’idée d’un modèle de société ou le concept politique qui rassemble hommes et femmes dans la défense d’une cause commune. Le devenir dans son sens politique marque un désir commun exprimé par un peuple, une volonté commune tendant à atteindre un objectif socio-économique commun, parfois conceptualisé par un leader, ou par une collectivité de penseurs, le sens du devenir finit alors par se propager dans toutes les sphères sociales en s’exprimant comme le désir et la volonté du même aboutissement.

La revendication d’un devenir atteint son point culminant lorsque les couches populaires épousent les valeurs initiées par ses leaders ou sa classe dirigeante et qu’elles les font siennes. Dans ce cas, toute valeur autre qui ne va pas dans le sens du devenir souhaité par la masse est non avenue et ne peut avoir siège de cité.

Ainsi donc, il y a cinquante ans, le processus de revendication statutaire de Mayotte a été enclenché, son objectif : faire de l’île un département français. Au fil de l’histoire, les hommes et les femmes se sont succédés, de génération en génération la même parole a été divulguée dans l’ensemble des partis politiques et des couches sociales, les ennemis de la cause ont été désignées, les héros couronnés, puis mythifiés, immortalisés et portés par le peuple, si bien que la revendication départementaliste a constitué le seul et l’unique mot d’ordre des responsables politiques locaux. Il fut érigé en un idéal auquel l’ensemble du peuple doit se rallier, de telle sorte que le sens même de l’histoire de Mayotte ne saura être dissocié de la revendication départementaliste ou du devenir Département.

Depuis 1958, durant cinquante ans, sans cesse et au fil d’au moins trois générations, sous forme de renouvellement et de répétition des mêmes formules – "Nous voulons rester Français pour être libres" – les mêmes pensées et les mêmes idées sont revenues, une stagnation de cinquante ans. Les militants se sont relayés jusqu’au 29 mars 2009, date à laquelle les derniers porteurs du flambeau ont concrétisé l’aboutissement du processus de devenir en signant un plébiscite de 95% de vote en faveur du "oui" à la départementalisation.

S'il y eut cinquante ans de revendication, cinquante ans d’engagement et de militantisme pour un devenir commun auquel se sont ralliées plusieurs générations, c’est que chaque génération a eu conscience du point d’aboutissement attendu et régulièrement retardé par la France, à savoir le statut de Département. La transformation de Mayotte en Département en 2011, portant à sa satisfaction le désir, la volonté de ce devenir devenu réalité signifie–t-elle la fin d’une ère et le début d’une autre ou plutôt la continuité des mêmes discours et des mêmes clichés stériles puisant dans le passé militantiste les arguments, les raisons de s’exprimer et de légitimer le discours politique.

 

"Il est plus que temps de jouer enfin un nouvel air pour cette nouvelle ère qui s’ouvre"

 

Si c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour Mayotte, le devenir de l’homme et de sa société à l’intérieur du statut de Département sera et doit être la première préoccupation politique, économique et sociale. Cela implique dès lors une urgence de révision du discours politique, des zones de débat et une orientation nouvelle de la problématique sociopolitique et économique.

L’homme politique, l’intellectuel et les médias doivent avoir d’office un discours capable d’émettre les hypothèses d’une société en devenir, de proférer les projections sociales probables, de définir un mode de société souhaitable, d’enclencher une réflexion tournée vers l’avenir, de dépasser le discours de la presse et de la politique focalisé sur des bribes de mémoire, sur la sacralité d’un passé mythifié, le perpétuel retour des pères et mères d’une cause déjà acquise en se déclarant eux-mêmes héritiers du combat, d’aller au-delà de la revendication d’un combat quinquagénaire abouti le 29 mars 2009, de dépasser le systématique éloge des artisans mythifiés du mouvement, de finir avec la mystification religieuse de la politique.

Il est plus que temps de jouer enfin un nouvel air pour cette nouvelle ère qui s’ouvre, que les notes jouées par les épilogueurs du référendum, les rhéteurs du mouvement, les interlocuteurs politiques et médiatiques de la logomachie adoptent enfin le discours du défi, celui qui éclaire, qui annonce la réflexion réelle sur le nouveau devenir à féconder aujourd’hui, le défi d’inscrire le discours politique, médiatique et intellectuel enfin, enfin ! Enfin maintenant ! Autour des véritables questions des sociétés actuelles.

Car en votant à 95% pour la départementalisation de Mayotte, les Mahorais doivent comprendre qu’ils ont fait le choix d’intégrer un mode de société de modernité mesurée dans sa logique de consommation, de croissance, de profit, en un mot un mode de société capitaliste avec tout ce qui s’en suit, avec ses risques pour l’homme et ses périls pour l’environnement, ses avantages modernisants et progressistes et ses inconvénients écologiques. C’est uniquement dans ces zones nouvelles qui vont très vite devenir des réalités locales que le discours peut avoir un sens, au-delà de ces sphères de la problématique socio-économique et politique contemporaine aucun sens n’est envisageable.

Une page se ferme, une autre s’ouvre et les questions sont nombreuses : quel est le sens de sa lecture ? De gauche à droite ? De droite vers la gauche ? Quel sens donner à ces vocables nouveaux qui apparaissent : fiscalité, citoyenneté, égalité, pouvoir d’achat, mais surtout développement, progrès, croissance, profit, partage des richesses et le maître mot le capitalisme, la crise, la dette de l’Etat, la conjoncture… La liste est longue, mais voici les mots qui ont fondé depuis deux siècles les sociétés industrialisées, devenues sociétés capitalistes et sociétés de consommation que les Mahorais désirent et espèrent (même si nombreux seront ceux qui ne voudront pas l’admettre) ?

 

"Le monde entier est en quête de formules nouvelles pour repenser, recréer une dynamique qui pourrait relancer l’économie mondiale"

 

Cette réalité a été survolée par un mois de campagne électorale et plusieurs années de réflexion sur le devenir de Mayotte. On se focalise toujours et encore sur l’identité mahoraise et les spécificités, débat alors dépassé. La propagande pour le "oui", si elle s’est attardée sur un point pertinent, ce fut sur la fiscalité. Mot magique, définition à rebours, récitation des schémas prêts à exposer. Mais qu’en est-il de la globalité d’un système de développement reposant sur le concept de création des richesses dont parle aujourd’hui le secrétaire d’Etat à l’Outremer monsieur Yves Jégo, qui dès l’annonce des résultats du référendum fixe les lignes du devenir nouveau.

Selon le secrétaire d’Etat, la création des richesses doit se faire à travers la création des entreprises, l’emploi, la consommation et la croissance ? C’est cet espace de réflexion qu’il faudra aborder, de front et en connaissance des réalités locales avec une France et l’ensemble d’un Occident en crise.

Le penchant vers un modèle – la société de consommation, des industries de création de croissance à l’occidentale – bute de suite sur une réalité indéniable aujourd’hui : la chute d’un système capitaliste en crise. La crise que connaît l’ensemble du monde capitaliste s’exprime comme une mise en cause de l’ensemble des vocables normatifs et référentiels des systèmes d’organisation socio-économiques, celui-là même de la France entre autres. Les notions de consommations, de profit et de croissance, les mécanismes de création de richesses sont remis en cause par la crise actuelle qui fait de l’Occident le serpent qui se mord la queue.

Sans abris, chômage, seuil de pauvreté, corruption, endettement, démagogie sont la réalité de la France de Nicolas Sarkozy, cravachée en pleine figure par une crise qui étouffe son économie. Face à la saturation de ces sociétés, tout devenir est compromis, saturation du désir, saturation du matérialisme, crise sociale, crise individuelle, égoïsme, cupidité, fraude, corruption, une économie amorale et mafieuse, malversation d'un système économique détruit par ceux-là même qui constituent ses gardiens à Wall street, dans les grandes firmes devenues les maîtres du monde, les PDG des grandes entreprises de France, les PDG des banques.

Le grand problème des sociétés de consommation actuelles, c’est que leur industrie a créé un excès de désir, une surconsommation des produits d’une part et d’autre part des profits mal distribués, des amoralités d’un marché anarchique tels que le Président (le messie) Nicolas Sarkozy parle désormais de moralisation de l’économie du marché. Des décrets d’urgence sont pris par le Premier ministre François Fillon contre les patrons voraces qui bénéficient de stock options et de parachutes dorés.

La crise actuelle parachève un système qui a été pensé après la deuxième guerre mondiale et qui s’est institué en modèle de référence. Il est évident que le monde entier est en quête de formules nouvelles pour repenser, recréer une dynamique qui pourrait relancer l’économie mondiale, non pas un capitalisme éhonté et démoralisé mais une société produisant à la juste mesure de l’homme et distribuant les richesses pour le bien-être général.

 

"Quel modèle d’économie à Mayotte ? Quel modèle d’entreprise ? Quel tourisme ? Quelle place pour l’environnement ?…"

 

Cette question de l’homme prend tout son sens à Mayotte. Elle nous impose une réflexion qui doit nous éloigner des précipitations aveugles causées par cinquante ans de soif et d’attente. Elle doit nous éloigner de la voracité cupide de ces novices matérialistes qui contre toute valeur sont prêts à tout pour briller dans leur 4×4 au détriment de toute planification sociale réelle.

On pourrait estimer que ceci soit loin de Mayotte, à l’heure où nos réalités sont celles des pays sous-développés. On peut penser qu’il n’y a pas de sens encore à parler de société de consommation, que nos problèmes ne sont pas encore les effets pervers des développements.

Je réponds d’une part qu’il y a cinquante ans la préoccupation avait été un simple statut de département, aujourd’hui le penchant est la question du développement et du progrès social dans un département français. C’est depuis le 29 mars une réalité et les questions évoquées doivent nous préoccuper aujourd’hui, pour que dans cinquante ans elles ne constituent pas les premiers handicaps de notre société.

D’autre part, pas plus qu’il y a quelques semaines, les secousses provoquées en Guadeloupe par le collectif LKP, puis en Guyane, puis à la Réunion, contre le faible pouvoir d’achat, contre les inégalités, contre les profits énormes des patrons, contre des richesses non distribuées, la misère des locaux et l’opulence des patrons, n’avaient pas été pensées en 1948, lorsque les îles des Antilles s’assimilaient aux départements français de la République…

Il n’y a d’alternative que celle d’interroger le devenir des cinquante ans à venir qui nous met désormais face à une réflexion claire sans ambiguïté : quel modèle d’économie à Mayotte ? Quel modèle d’entreprise ? Quel tourisme ? Quelle place pour l’environnement dans ce penchant au développement et à la consommation ? Qu’est-ce qu’il faut introduire à Mayotte ? Qu’est ce qu’il faut éviter pour que cette génération ne soit pas coupable de la pollution qui définitivement plongerait notre île dans l’irrémédiable catastrophe écologique, tant la terre et la mer sont les premiers réservoirs alimentaires d’une population pauvre.

Alors, quel projet social et économique réel dans une société comme la nôtre ? Quel choix entre hausse des salaires, du Smig, des aides sociales et détaxation des produits de premières nécessités ? Entre une société de consommation massive polluante, surpermonétarisée et une société puisant dans son éthique morale les valeurs qui régulent l’économie et le marché ? Entre une société de surconsommation et d’importation massive qui pollue et une société qui préserve ses atouts naturels et qui les valorise? Entre une société vitrine, des déséquilibres et des inégalités qui incitent à la cupidité, au matérialisme, à la corruption et une société défendant la mesure de la suffisance et de la justesse ?

Faudrait-il transformer la terre et la mer ou former l’homme, l’orienter, l’éduquer dans un esprit écologique en mesurant toute l’action politique, économique et sociale à son profit dans un sens d’équilibre réel, afin que le Mahorais soit non pas une machine d’achat-vente, de producteur-consommateur-pollueur aspirant à posséder, homme vide sans pensée, sans éthique, mais un citoyen responsable, avisé, compétent qui peut répondre à l’exigence d’une société ouverte au monde et sur le monde, à l’abri des perversités des sociétés de consommation et des pollutions irrévocables ?

Quel devenir de Mayotte dans le statut de département ?

 

Alain Kamal Martial

Ecrivain, dramaturge

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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