Jeudi matin, Jean-François Colombet, le préfet de Mayotte, et Emmanuel Cloppet, le directeur de Météo France pour l’océan Indien, ont fait un point sur l’ouverture de la saison cyclonique qui s’écoule du 15 novembre au 30 avril. En l’espace de six ans, l’île aux parfums a vu trois systèmes dépressionnaires frôler ses côtes. Cette année, le sud-ouest de la région devrait connaître une activité légèrement supérieure à la normale.
Décembre 2019. Pendant de longues heures, la population de Mayotte retient son souffle et a pour ordre de se barricader chez elle, par peur d’être frappée de plein fouet par le cyclone Belna, qui passera finalement à 120 kilomètres à l’Est des côtés mahoraises pour se fracasser dans la région de Soalala à Madagascar. Et ainsi éviter au 101ème département le pire… « C’était un bon exercice pratique », introduit Jean-François Colombet, le délégué du gouvernement, qui se souvient avoir mis en place des liaisons radiophoniques avec les maires et les sous-préfets, disséminés aux quatre coins de l’île. « Nous avons eu de la chance, nous avons eu le « scénario du meilleur », avec un changement de cap soudain, plein sud, au moment de [son] approche finale », renchérit Emmanuel Cloppet, directeur de Météo France pour l’océan Indien. « Mais un jour ou l’autre, nous [en] aurons moins. »
Au cours des six dernières années, deux autres épisodes cycloniques marquent les esprits : Hellen et Kenneth. Le premier, le cyclone le plus intense jamais observé sur le Nord du canal avec des rafales maximales supérieures à 300 km/h, remonte à mars 2014. Un épisode marquant par les précipitations, 233 mm en 24 heures à M’Tsamboro et 220 mm à Combani, les coulées de boue et les inondations engendrées. Le second, en avril 2019, s’avère plus destructeur en Grande Comore et dans le Nord du Mozambique, qui comptabilise 45 décès, et pousse la plateforme d’intervention régionale de l’océan Indien à envoyer du matériel sur place. Si ce sont « des événements rares mais pas improbables », le risque cyclonique existe bel et bien à Mayotte, comme en témoignent les 16 passages à moins de 200 kilomètres du territoire au stade de cyclone tropical en 45 ans.
« L’histoire n’est jamais écrite à l’avance »
Que dire alors de la saison écoulée ? Son bilan est relativement dans la moyenne, avec dix tempêtes tropicales – un record malgré tout depuis le début de l’observation satellitaire – et six systèmes ayant atteint le stade de cyclone tropical. Deux particularités sont toutefois à noter : une activité cyclonique nettement inférieure à la normale, compte tenu de la durée de vie moyenne extrêmement réduite que les phénomènes ont passé à une intensité significative, et des trajectoires atypiques en direction de l’Est-Sud-Est que l’on peut définir comme inversées par rapport à la norme climatologique. « La prévision cyclonique opérationnelle reste délicate », rappelle Emmanuel Cloppet. « L’histoire n’est jamais écrite à l’avance… »
À quoi peut-on s’attendre pour la saison à venir ? Le contexte climatique de grande échelle suggère « des conditions plus propices à la formation cyclonique à l’Est du bassin » et « un retour à des trajectoires plus typiques orientées vers l’Ouest ou le Sud-Ouest ». En clair, Météo France s’attend à « un renversement des tendances par rapport à l’an dernier ». Et donc à des trajectoires d’Est en Ouest qui tendent à toucher plus durement les terres habitées. « Il est hors de mes propos de faire des prévisions sur un territoire aussi petit que Mayotte. Mais il y a un risque accru pour Madagascar et les pays situés à l’Est de l’Afrique. » En termes de chiffres, Emmanuel Cloppet envisage entre 9 et 12 tempêtes d’ici la fin du mois d’avril et entre 5 et 7 cyclones matures. « Chaque année, nous avons des systèmes dépressionnaires dans le Canal du Mozambique », souligne l’expert, qui précise le contour de sa pensée. « Nous n’avons pas besoin d’avoir un cyclone intense pour avoir des déluges. » Mais surtout, il faut garder en tête que toutes ces prévisions restent incertaines. « Il faut intégrer cette incertitude dans un système qui est un compte à rebours. Nous sommes incapables de connaître les conditions 72 heures à l’avance. »
15 à 20.000 personnes mises à l’abri pendant Belna
D’où la difficulté de gérer une crise cyclonique comme en 2019, notamment au niveau des alertes données à la population. « Je ne suis pas partisan de [les] galvauder, car après les gens n’y croient plus. Il faut les utiliser à bon escient », décrypte Jean-François Colombet. Alerte ou pas, Mayotte s’expose à un autre souci majeur, celui de ses habitats précaires et « le ravage des tôles qui sont des armes léthales ». Difficile dans ces conditions de se confiner… D’autant plus que le potentiel de mises à l’abri reste relativement modeste sur l’île, puisqu’il se limite principalement aux établissements scolaires. « À l’avenir, nous mobiliserons davantage les écoles pour la proximité », précise le préfet. Reste que bon nombre d’habitants, notamment ceux en situation irrégulière qui habitent dans les bidonvilles, ne veulent pas quitter leur logement, par peur de se faire dépouiller ou pire encore de se faire renvoyer à la frontière. Selon le locataire de la Case Rocher, entre 15 et 20.000 personnes ont rejoint un bâtiment public pour se protéger lors du dernier épisode. « C’est très suffisant. Belna ne va pas forcément nous aider à accélérer l’opinion publique. Or, la menace qui pèse sur Mayotte est grandissante. » Que faire alors pour inverser la tendance ? « Nous avons toujours coutume de penser que cela ne nous touchera pas », indique Madi Souf, le président de l’association des maires. « Nous sommes trop fatalistes ! À nos yeux, il suffit de se rendre à la mosquée et de prier pour éviter un drame. » S’en remettre au Tout-Puissant visiblement…
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