« Tant qu’on n’a pas vu la situation soi-même, on n’y croit pas »

Le secrétaire national du syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN), Bruno Bobkiewicz, est venu à Mayotte la semaine dernière afin de voir de lui-même la situation des établissements scolaires sur l’île. Il en a également profité pour rencontrer les adhérents locaux du syndicat lors d’une réunion, ce vendredi à Mamoudzou, afin d’échanger sur les différentes problématiques rencontrées par ces derniers. Pour le moins déconcerté, il entend bien faire remonter ses constats au ministère de l’Éducation national.

Flash Infos : Il s’agit de la première fois que vous venez à Mayotte. Jeudi, vous avez visité plusieurs établissements. Qu’avez-vous retenu de ces visites ?

Bruno Bobkiewicz : La première chose qui m’a marqué, ce sont les écarts qui peuvent exister entre certains établissements complètements neufs, extrêmement bien structurés et équipés face à d’autres, qui sont au départ sûrement de très beaux établissements, mais qui manquent d’entretien, qui sont en train de tomber en ruines, avec des toitures trouées ou encore des problèmes électriques. La deuxième chose qui m’a marqué, c’est la taille moyenne des établissements. En métropole, un collège compte rarement plus de 800 élèves. Ici, ça n’existe pas, le nombre d’enfants peut monter jusqu’à 1.600, et 3.000 pour les lycées. On est vraiment sur une taille moyenne d’établissement hors-normes, ce qui crée de nombreuses difficultés de pilotage, surtout quand on a beaucoup de personnels non titulaires. Un personnel de direction, qu’il ait 500, 1.500 ou 3.000 personnes dans son établissement, a la responsabilité de la totalité du fonctionnement. J’ai aussi été frappé par l’absence du système de restauration. J’avoue que je n’étais pas au courant, mais c’est pour cela que je suis content d’être là pour voir ça, le constater moi-même. Il y a une collation, mais ce n’est pas un repas. Or, avec la population défavorisée qu’on accueille ici, le minimum serait d’offrir un repas digne de ce nom une fois par jour aux élèves. J’ai compris que le recteur faisait de ce point un sujet important, qu’il y avait une dynamique engagée au sein du territoire pour améliorer cela, mais j’avoue que l’image des enfants assis sur des marches à qui on donne un sandwich est assez frappante. Enfin, au sujet de l’eau, on voit que cela a des impacts pédagogiques énormes. Quand on voit, dans le premier degré, que des enfants n’ont école que deux demi-journées par semaine, on redoute le niveau avec lequel ils vont arriver au collège. C’est une catastrophe. Il y a une vraie inquiétude de ce point de vue-là.

F.I. : Vous ne vous attendiez pas du tout à constater ce que vous venez de décrire ?

B.B. : Les collègues nous le racontaient évidemment, puis notre organisation au sein du syndicat fait que ces éléments nous sont remontés. Mais je pense que tant qu’on n’a pas vu la situation soi-même, on n’y croit pas. Je pense que c’est bien d’être venu voir ce qu’il se passait, de venir voir les barbelés autour des établissements scolaires. C’est frappant, je pense qu’il faut le voir pour le croire. C’est ce qui a motivé ma venue, ainsi que le fait d’être au contact de mes collègues. Ils vivent des choses difficiles, ils sont très engagés, je pense qu’ils en font bien au-delà de ce que fait le personnel de direction normalement. Ils ont besoin qu’on les écoute, qu’on soit à leurs côtés. C’est le rôle d’un syndicat, donc on essaye de le faire. C’est important d’être aux côtés de ses adhérents. La réunion de ce vendredi a pour but de les entendre sur ce qu’ils vivent. Parce que les personnels de direction sont souvent très isolés, seuls dans leur établissement. C’est d’ailleurs pour cela que le taux de syndicalisation des personnels de direction est souvent très élevé. Presque 50% d’entre eux le sont chez nous, et nous ne sommes pas le seul syndicat. À titre de comparaison, ce taux est de moins de 10% chez les enseignants. En effet, il y a ce sentiment de solitude, et la façon de le rompre, c’est à travers le syndicat.

F.I. : Vous avez rencontré le recteur de l’académie de Mayotte, Jacques Mikulovic, ce vendredi matin. Qu’est-il ressorti de votre échange ?

B.B. : L’ensemble des problématiques que je viens d’évoquer ont été abordées. Le recteur a conscience de la situation, il a une vraie envie, il a espoir, il y croit en tous cas. C’est le sentiment qu’il m’a donné. Il m’a semblé très à l’écoute, car il nous a quand même reçu pendant une heure et quarante-cinq minutes. Mais on constate que les marges de manœuvre ne sont pas toujours entre ses mains. Il est très « métropole dépendant », très « ministère dépendant », et donc il n’a qu’une marge de manœuvre limitée. Et même s’il a la compétence, il n’a pas les moyens financiers complets. Le ministre de l’Éducation nationale (N.D.L.R. Gabriel Attal) sait que je suis là, car nous en avons parlé. Il m’a demandé de lui faire un rapport sur ce que j’aurais vu. Le ministre m’a assuré qu’il avait très envie de venir, et je pense aussi qu’il faut, en effet, qu’il vienne voir la situation ici.

F.I. : Maintenant que vous avez pu faire ces constats de vous-même, que comptez-vous faire ?

B.B. : La prochaine étape est de faire remonter cela au niveau national, car notre syndicat siège dans toutes les instances nationales du ministère. Nous voulons qu’il y ait un focus particulier sur Mayotte, en demandant un plan particulier de rattrapage. Pour nous, l’axe général de ce plan est celui de l’attractivité. Et dans l’attractivité, il y a deux sujets : celui de la rémunération et celui des conditions d’exercice. Dans la rémunération, il y a en effet la question de l’indexation ou encore des classements d’établissement en éducation prioritaire pour tous, lycées compris. Puis il y a la question des conditions d’exercice, comment bien faire son travail en toute sécurité, qu’on soit personnel de direction, enseignant, conseiller principal d’éducation ou encore agent au sein de l’établissement. Tout cela passe par des investissements financiers et matériels.

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