Statistiques : Après Parcoursup, le parcours du combattant

Ils sont de plus en plus nombreux à décider de s’envoler vers la métropole pour poursuivre leurs études supérieures, une fois le baccalauréat obtenu sur l’île. Pourtant, près de la moitié décrochent avant l’obtention du diplôme convoité. Retard de l’apprentissage local, difficultés d’intégration, rupture culturelle, les raisons de cet échec scolaire sont nombreuses. Mais paradoxalement, les perspectives d’évolution aussi.

En 2017, l’âge moyen des Mahorais était de 23 ans. Au même moment, il s’élevait à 35 ans à La Réunion, 28 en Guyane et même 41 en métropole. Avec près de 10.000 naissances enregistrées sur son sol chaque année, pas étonnant que le dernier né des départements français soit aussi celui à la population la plus jeune. Mais Mayotte cumule bien d’autres records lorsqu’il s’agit de sa jeunesse.

En 2014, trois Mahorais sur quatre de 15 ans ou plus n’avaient pas de diplôme, et seuls sept habitants de l’île sur dix âgés de 20 à 24 ans étaient allés jusqu’au collège. Pour autant, la scolarisation à Mayotte s’est fortement intensifiée à partir des années 1980, avec le développement d’infrastructures scolaires. Et désormais, l’arrêt de la scolarité dès le primaire, très fréquente auparavant, devient un phénomène de moins en moins répandu. En 2018, sur les 122.000 personnes de 15 ans ou plus sorties du système scolaires, 27% détenaient un diplôme qualifiant (au moins un CAP ou un BEP). Si le constat est toujours alarmant, il montre néanmoins la douce progression de la scolarisation. En 2017, ils étaient 65% des jeunes de 16 à 29 ans à avoir quitté le système scolaire sans aucun diplôme, contre 80% huit ans plus tôt.

Mais le défi reste de taille : en 2019, l’académie ne dépassait pas les 42% de réussite au bac toutes filières confondues. Le chiffre le plus bas de France. En outre, 35% des personnes scolarisées ne maîtriseraient pas les bases de la langue française, et un bachelier sur cinq de moins de 25 ans présente encore des lacunes à l’écrit, souvent bien plus lourdes que celles de leurs aînés de plus de 45 ans. La faute, possiblement, à la scolarisation de masse, puisqu’auparavant, « le système était plus élitiste, tout le monde n’allait pas à l’école », rappelle encore l’Insee.

 

Le dilemme des études supérieures

 

Entre 2007 et 2017, l’île aux parfums est le DOM affichant le plus de départs de ses natifs vers d’autres territoires français. Selon l’Insee, 55% des Mahorais âgés de 21 à 29 ans quitteraient le territoire pour poursuivre leurs études, contre 44% dans les Antilles et 25% à La Réunion. En cause, à Mayotte, le faible nombre de cursus proposés et l’absence totale de certaines filières, bien que l’offre tend à s’étayer, notamment grâce aux efforts du centre universitaire de formation et de recherche universitaire.

Ceux qui font le choix de partir étudier ailleurs – majoritairement en métropole et, en de plus faible proportion, à La Réunion –, se heurtent encore à bien des difficultés. En effet, le taux d’échec scolaire des étudiants mahorais en dehors de l’île en première année est l’un des plus importants sur le plan national : plus de la moitié d’entre eux décrocherait avant l’obtention de leur diplôme, contre moins d’un quart pour l’ensemble du pays. Le phénomène est tel qu’en 2019, une jeune étudiante de l’université de Lyon décide de consacrer sa thèse à ce sujet. « Bien qu’ils aient reçu les mêmes enseignements que leurs camarades métropolitains, le contexte de vie et d’études complexe dans lequel ils déroulent leurs scolarités antérieures impacte grandement leurs résultats scolaires dans le supérieur et les défavorise en termes de compétitivité », résume Nassabia Ali Saanda, autrice de « La mobilité et l’échec des étudiants mahorais en métropole ». « La différence socioculturelle très marquée qui les assimile aux étudiants étrangers en mobilité limite leur intégration sociale et académique. »

Pour la thésarde, « le public mahorais manque de compétitivité par la représentativité bachelière d’une part et les orientations dans les filières de l’enseignement supérieur de l’autre ». Après études des orientations post-bac, la majorité des jeunes mahorais s’oriente vers un BTS, dont les trois quarts des élèves en bac technologique et 90% en bac professionnel. « Nombreux sont les étudiants qui se voient refuser leurs vœux dans les formations sélectives et se replient par conséquent sur la Licence. L’étude de Gury (2007) montre que les étudiants refusés en BTS et DUT qui s’inscrivent à l’université ont 1,8 fois plus de chance de quitter l’enseignement supérieur sans valider de diplôme. » Or, selon l’étude déroulée dans la thèse, deux tiers des étudiants en 2011 étaient inscrits en première année de licence, contre un tiers au niveau national. « Or, c’est la filière la plus exposée à l’échec. »

 

Des difficultés extrascolaires

 

Autre facteur déterminant : l’attribution des bourses qui, dans le cas de nombre d’étudiants mahorais en métropole, remplacent totalement les aides familiales. « Elles conditionneraient le choix même de poursuivre des études en métropole », envisage la thèse. « La perte de la bourse après deux échecs en première année expliquerait que la majorité des abandons surviennent à ce stade, ce qui est le cas de nombreux étudiants pour qui la première année dans l’enseignement supérieur est une année de test. »

Au-delà de l’aspect financier, un fort sentiment de retard scolaire et culturel peut se faire ressentir chez les étudiants mahorais confrontés au niveau de leurs camarades métropolitains, alors même qu’ils ont suivi les mêmes programmes. « La faiblesse (ou l’absence) de scolarisation des parents et les difficultés dans la maîtrise de la langue française renforcent davantage la distance culturelle comparée à la culture dominante des milieux aisés qui répond plus aux attentes des institutions. Dès lors, la distance culturelle serait à l’origine du sentiment d’auto-exclusion pour ceux qui ne se sentent pas à la hauteur des exigences des institutions et dans l’incapacité de rivaliser avec les camarades plus aguerris et favorisés par le contexte social et culturel », considère encore le document. « Les entretiens nous montrent que les étudiants mahorais manquent d’ouverture sociale même dans le cadre de la socialisation scolaire. » Car en quittant Mayotte, ces jeunes découvrent aussi une culture à mille lieues de la tradition de leur île, et la perte de repères impacte directement leur réussite scolaire. Et dès la descente de l’avion, le simple fait de se repérer au milieu d’un dédale de béton et d’immeubles relève pour certains du parcours du combattant. D’autant plus lorsque l’on sait les siens à 8.000 kilomètres de là.

Pour autant, cet échec scolaire régresse petit à petit. Auparavant, les jeunes Mahorais étaient encouragés à se concentrer davantage sur la réussite familiale. Mais, particulièrement depuis ces dix dernières années, les femmes ont leur premier enfant moins tôt et sont de plus en plus diplômées avant de fonder une famille. Alors, si le modèle social de l’île tend à évoluer, cela se fera inévitablement ressentir sur le parcours scolaires des enfants du territoire. Et déjà, nombreux sont ceux à revenir au pays diplôme en poche, pour fonder leur business sur place et faire prospérer l’île avec les compétences qu’ils ont développé en la quittant.

 

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