« L’humanitaire à coup de primes », ces propos d’Estelle Youssouffa qui ne passent pas

Invitée sur plusieurs plateaux télévisés, après l’annonce du gouvernement de vouloir supprimer le droit du sol à Mayotte, la députée mahoraise Estelle Youssouffa a fustigé les enseignants sur la chaîne Cnews, le 13 février. Selon elle, les délinquants à Mayotte « sont éduqués par le chevalier blanc de service, l’enseignant qui vient se faire de l’humanitaire à coup de primes à Mayotte plutôt que d’aller le faire en Afrique. Qui le bassine de grandes idées en lui disant tu auras tes papiers. (…) ils deviennent des bêtes sauvages », s’est-elle exclamée. 

« Dans le contexte de tensions que nous connaissons, il n’est pas très responsable de votre part de vous en prendre aux personnels enseignants de l’île. Nous sommes d’autant plus surpris que nous sommes disposés à dialoguer avec vous, mais que vous n’avez pas cherché à prendre notre attache avant de vous exprimer sur des sujets qui nous touchent de près », répondent Anssifoudine Port-Saïd et Henri Nouri. Les co-secrétaires départementaux FSU Mayotte indiquent que « la physionomie des enseignants dans le premier degré ne correspond pas à votre description tendancieuse ». Ils rappellent que la profession n’est pas épargnée par l’insécurité sur l’île, qui s’invite souvent aux abords des établissements. « Depuis 2018, nous avons exercé notre droit de retrait dans de nombreux établissements à la suite d’agressions de bandes armées », précisent-ils, citant les derniers exemples des collèges de Koungou et de M’gombani. Ils ajoutent qu’ils souhaitent « que les élèves que nous avons formés, puissent avoir les moyens règlementaires de continuer leurs études en métropole ».

Sur les primes, le syndicat rappelle que « beaucoup [d’enseignants] n’en perçoivent plus depuis longtemps » et qu’elles ne sont plus un facteur d’attractivité. En outre, « dans le premier degré, nous attirons votre attention sur le fait que, de plus en plus de collègues recrutés et formés localement demandent à quitter l’île. […] Enfin, au lieu de faire du prof bashing, en tant que députée de la nation, vous n’êtes pas sans ignorer que le métier d’enseignant n’attire plus et qu’une des raisons majeures en est la faiblesse des salaires pour des personnes diplômées bien souvent à bac +5. Ce problème national a des répercussions sur Mayotte », soutiennent les secrétaires départementaux. Ils indiquent ne pas vouloir passer ce genre de propos et demandent des excuses publiques de la part de la députée.

« Des rêves d’exotisme confortable »

Sur sa page Facebook, la députée a été plus nuancée, mais n’a pas souhaité faire d’excuses pour autant. « Loin de moi, l’idée de vous heurter sinon de rappeler quelques faits. Vous n’ignorez pas la position de certains (nombreux) enseignants à Mayotte qui s’engagent (c’est leur droit le plus strict) pour aider les jeunes sans papiers. Ces enseignants sont de passage sur l’île, avec des rêves d’exotisme confortable (pourquoi garder son poste et ses primes au lieu de partir directement l’humanitaire aux Comores si tel est l’objectif ? Venir à Mayotte pour des motifs financiers n’est pas honteux mais il faut admettre que c’est un élément clef de la prise de décision de venir) », réitère-t-elle. Sur la question des primes (indemnité de sujétion géographique), elle se mélange un peu en disant se battre pour que celles-ci aient le taux d’indexation mahorais (40%) à égalité avec La Réunion (53%). Elle affirme que cette prime « entraîne une différence de traitement avec les contractuels qui sont la majorité des enseignants à Mayotte (N.D.L.R. il y a bien une majorité de contractuels dans le second degré, mais pas pour le premier) ». En réalité, les professeurs à Mayotte ont le droit à la même indexation qu’ils soient titulaires ou contractuels, comme les autres fonctionnaires de l’île. L’ISG est bien une prime réservée aux professeurs titulaires, tandis que les contractuels recrutés à l’extérieur de Mayotte bénéficient d’une prime d’installation.

« Au-delà de ces échanges d’arguments qui ne nous mettront probablement pas d’accord, vous savez comme moi que l’Éducation nationale se disloque et qu’elle est à Mayotte en très grande difficulté avec une mission écrasante : mon mandat est de me battre au Parlement pour vous donner les moyens et les conditions de travailler dignement et en sécurité. Ce que je fais de mon mieux. Même pour ceux qui me critiquent ou se retrouvent victimes des bourreaux qu’ils ont naïvement contribué à protéger », ajoute-elle. « Nous avons en commun un engagement quotidien pour construire l’avenir et je veux vous dire ma sincère gratitude pour votre travail dont je ne peux qu’imaginer la difficulté », concède-t-elle, se disant en conclusion être à l’écoute des enseignants.

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