« Jusqu’à la fin de l’année, il ne devrait pas y avoir de fermetures d’écoles »

Avec des sujets actuels comme la crise de l’eau ou l’opération Wuambushu, l’inquiétude est grande dans les écoles, les collèges et les lycées. Entretien avec Jacques Mikulovic, le recteur de l’académie de Mayotte depuis le mois de janvier.

Flash Infos : Vous avez écrit aux maires et à la communauté éducative concernant la crise de l’eau. Comment le rectorat se prépare aux coupures ?

Jacques Mikulovic : Ce n’est pas de notre responsabilité directe. La plupart de nos établissements scolaires dont nous avons la gestion, collèges et lycées, sont sur le chemin de l’eau. Et pour les écoles primaires, un certain nombre le ne sont pas, mais le préfet de Mayotte fait tout son possible pour que l’activité quotidienne puisse se tenir. Normalement, jusqu’à la fin de l’année et sauf travaux, il ne devrait pas y avoir de fermetures d’écoles. Ce qui n’empêche que ça reste une problématique globale. L’Éducation nationale est un gros consommateur d’eau, et c’est normal avec le volume d’élèves. Donc, on va aussi sensibiliser et éduquer à l’économie, comme tout un chacun. Concernant les fermetures, on est rassuré par le préfet [qui s’oriente vers davantage de coupures nocturnes plutôt].

F.I. : On a vu le rectorat se pencher sur plusieurs scénarios avec des coupures moins prévisibles.

J.M. : On a peut-être réagi un peu vite en écrivant aux maires. Au début, il n’y avait pas de protocole clairement défini. La préfecture a repris les choses en main. Elle fait aujourd’hui le maximum pour que tous les enfants puissent aller à l’école et que l’activité de l’île continue. Effectivement, s’il y a des blocages la journée, ça devient difficile pour nous de maintenir la classe, notamment les petits. L’enjeu, ce sont les toilettes. Donc des cuves ont été installées pour permettre de faire tampon et tenir a minima la demi-journée entamée.

F.I. : Toutes les écoles sont concernées ?

J.M. : Nous, on a deux collèges qui ne sont pas sur le chemin de l’eau, ceux de M’gombani et de Passamaïnty. Des cuves ont été commandées dès janvier pour ces établissements et le rectorat qui en était lui-même dépourvu. Concernant les communes, on a 188 écoles et 107 ne sont pas directement sur le chemin de l’eau. Là aussi, des cuves ont été achetées.

F.I. : Il y a vraiment un scénario impliquant d’avancer la fin de l’année scolaire ?

J.M. : Ça n’a pas été une hypothèse évoquée. S’il faut réfléchir à un timing horaire différent, pourquoi pas ? C’est ça plutôt l’enjeu. Car si la coupure est à 17h, il faut que les gens puissent être chez eux avant.

F.I. : Est-ce qu’une cellule spéciale est en place au rectorat pour la crise de l’eau ?

J.M. : On a un protocole plutôt, qui est sur la forme d’un circuit d’informations. C’est-à-dire que le directeur d’école doit prévenir l’inspecteur, qui prévient le cabinet du rectorat. Et en fonction de l’horaire, on adopte une décision. La responsabilité est à la préfecture. Nous, on s’adapte à ses préconisations, tout simplement. La grosse difficulté si on a une annonce de coupure, c’est d’organiser le rapatriement des élèves. On est en lien avec la société mahoraise des eaux. On demande si la coupure est pour toute la journée ou que partielle. Si on ne peut pas maintenir l’activité l’après-midi par exemple, il faut qu’on organise le transport pour qu’il se fasse dès le midi.

F.I. : Outre les cuves, d’autres équipements sont-ils prévus ?

J.M. : On va tester dans un établissement un bloc modulaire toilettes avec récupérateur d’eau. C’est un petit peu comme dans les avions, avec de haute pression et une quantité d’eau diminuée. Ça permet de réduire la consommation d’eau de manière très significative. En toilette classique, on est à six litres d’eau, on passe là à deux litres. Selon le constructeur, on devrait baisser de deux tiers la consommation.

F.I. : Concernant l’opération Wuambushu maintenant, des élèves s’inquiètent pour leur sort et celui de leur famille.

J.M. : On a discuté là-dessus. Nos élèves ne sont clairement pas la cible de l’opération. Ce sont plutôt les délinquants. Je pense que l’école en soi n’est pas concernée par Wuambushu. Nos élèves ne peuvent pas être considérés comme irréguliers, puisque la plupart sont mineurs. Il y a de l’inquiétude que les chefs d’établissement nous remontent, mais il n’y a pas de raison d’en avoir. Je sais qu’il y a des enseignants qui sont inquiets, je vais sans doute les recevoir en audience pour les rassurer. C’est-à-dire que les dispositifs d’accompagnement des élèves qui visent à mieux les préparer aux examens pourront se réaliser. Notre mission est d’accompagner tout le monde vers la réussite.

F.I. : Et quel message doit transmettre un enseignant si un élève lui faire part de son inquiétude ?

J.M. : Il doit orienter l’élève vers l’assistante sociale. L’idée est d’informer nos élèves sur leurs droits. Qu’ils puissent se mettre en conformité avec la loi, c’est-à-dire obtenir des papiers très vite. Alors sans doute les démarches sont un peu longues et donc il faut qu’ils les entament le plus rapidement possible, dès septembre notamment pour les Terminales. C’est le rôle de nos assistantes sociales que d’accompagner les élèves qui sont en droit d’obtenir un titre de séjour ou même la nationalité française. On n’a pas de jugement à donner sur le reste.

F.I. : Des enseignants semblaient hésiter à revenir sur l’île avec l’opération en cours. Qu’en est-il réellement ?

J.M. : C’est de l’ordre de la rumeur. J’ai eu quelques données, ce mardi. Le taux d’absence était identique à l’an dernier, à la même période. Il n’y a pas eu d’incidences chez les élèves et les enseignants. Il y avait plus d’inquiétude avant l’opération, parce qu’il y a beaucoup de rumeurs. Là, on est sur un fonctionnement normal. J’en veux pour exemple un mail d’un proviseur du sud de Mayotte qui dit qu’il n’y a pas d’écart significatif par rapport à l’an dernier.

F.I. : Justement, en parlant d’insécurité, vous étiez au lycée du Nord. Comment c’est passé la rentrée à Acoua et à la cité scolaire de Dzoumogné ?

J.M. : Ça s’est bien passé. Au lycée du Nord, on a fait état avec les familles si tous les engagements ont été respectés. Et c’est le cas. On a travaillé de concert avec la préfecture, la gendarmerie, et puis bien sûr l’établissement, les familles et le service de la construction scolaire. On a mis beaucoup de moyens qui visent à reprendre une activité normale. On est à plus 200.000 euros et ce n’est pas fini. On a mis des portes quasiment blindées, il y a des barrières refaites, des fils barbelés qui ont été posés, un travail d’élagage important. On a renforcé aussi l’équipe de direction avec un proviseur en affectation provisoire [la chef d’établissement a des soucis de santé]. Toute cette dynamique contribue à rassurer les familles, on a besoin d’elles pour rassurer leurs enfants, pour que tout le monde travaille dans des conditions normales. On fait une rentrée progressive, d’abord les Terminales [mardi], on continue avec les Premières et les Secondes. En fin de semaine, le lycée sera en pleine capacité. Et à Dzoumogné, ça se passe bien avec la sécurisation de l’environnement par la gendarmerie. La dynamique de bandes a été cassée et cela contribue à une meilleure sérénité.

Un mois de l’écriture à la rentrée

Alors que le rectorat de Mayotte peaufine son projet pédagogique, qu’il espère présenter aux organisations syndicales en juillet, il compte instaurer un mois de l’écriture dès la prochaine rentrée. « C’est surtout au premier degré. C’est-à-dire que quel que soit la discipline abordée, on travaille les fondamentaux, parler et écrire. Au collège et lycée, ce sera peut-être pendant deux ou trois semaines, un temps collectif de remise en niveau avec cette médiation nécessaire de l’écriture », projette le recteur. Comme une préparation physique pour les sportifs, ce temps doit permettre de réduire une difficulté qui pénalise les élèves finalement dans pratiquement toutes les matières. « 74% des jeunes à la Journée de défense et de citoyenneté sont en difficulté de lecture et d’écriture. On ne peut pas se permettre d’avoir ce chiffre », constate le recteur arrivé il y a cinq mois et qui « espère créer une dynamique ».

Autre évolution que le rectorat veut mettre place, son projet « Hors les murs ». Il vient d’ailleurs d’être lauréat d’un programme d’investissement d’avenir à hauteur de six millions d’euros. Celui-ci consistera à réaliser des séances d’immersion des classes à l’extérieur des établissements « pour sensibiliser à l’espace environnant ». Des chefs d’établissements se sont déjà montrés intéressés pour expérimenter le dispositif à la rentrée 2023.

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