Jacques Mikulovic : « Mon créneau, c’est d’élargir le plan éducatif »

En ce jour de rentrée dans les écoles, collèges et lycées de l’île, le recteur de l’académie de Mayotte déroule son plan d’action et ses idées phares pour 2024. Cette année, le rectorat « s’organise pour qu’il n’y ait plus de rotations » à cause du manque d’eau, selon Jacques Mikulovic.

Flash Infos : L’école reprend ce lundi 15 janvier au terme de quatre semaines de vacances. Avant de pouvoir se reposer, les élèves et la communauté éducative ont été confrontés à une vague de violences aux abords des établissements. Ces derniers jours, anticipiez-vous « une rentrée sous tension » ?

Jacques Mikulovic : Premièrement, on n’a pas eu beaucoup de conflits dans les établissements. Les conflits sont souvent localisés devant les établissements. Maintenant, il y a eu un climat de tensions avant les vacances scolaires qui n’était pas serein, tant pour les élèves que pour le personnel éducatif. Se rendre au travail amène à des situations parfois compliquées notamment au niveau du transport scolaire. Des agressions ont déjà entraîné des droits de retrait des chauffeurs de bus. La deuxième problématique, c’est que les barrages augmentent le temps de trajet, ce qui peut miner le moral des agents et des professeurs. Tout ça n’est pas de notre ressort et malheureusement le rectorat n’a pas de résidences au sein des écoles pour héberger les enseignants. Le général de la gendarmerie de Mayotte [N.D.L.R. Lucien Barth], avec qui j’ai eu un entretien la semaine dernière, dit que la situation est plus calme qu’avant les vacances.

F.I. : Allez-vous pouvoir mettre fin aux rotations de classes dues à la crise de l’eau, qui s’ajoutent à celles en raison du sureffectif ? C’est le cas notamment à Mamoudzou et Koungou.

J.M. : Dans certains endroits, on a perdu beaucoup de jours d’école. On s’organise pour qu’il n’y ait plus de rotations du tout. Globalement, même si c’était très tendu, on était en dehors des périodes où il y avait une non-conformité de l’eau. C’était sectorisé, mais on est arrivé à un fonctionnement quasi normal en décembre. Une logistique lourde s’est mise en place.

L’apprentissage a forcément subi des conséquences. Dans certaines écoles, les élèves avaient seulement deux matinées de cours par semaine. Vous vous attendez à une baisse des résultats ?

J.M. : Nos évaluations nationales ont été faites au début du mois de septembre. On ne peut pas encore mesurer les effets de ces coupures, même s’il faut s’attendre à des résultats inquiétants, c’est sûr. On n’ose pas trop le dire, mais sur Koungou des écoliers ont eu treize jours d’école entre août et les vacances de la Toussaint, alors qu’on avait livré les cuves pendant les grandes vacances. Soit un tiers du temps scolaire. Ce qui m’agace au plus haut point. Je souhaite aussi qu’on clarifie l’histoire des enfants non scolarisés. Un enfant identifié par une association comme étant déscolarisé doit pouvoir être inscrit dans une école, quitte à ce qu’on soit conventionné avec l’association pour sa prise en charge. Parce que sur le papier, on n’a pas de places dans nos classes, mais toutes les classes de nos écoles ne sont pas pleines. Il y a donc un vrai débat. Faut-il mettre en rotation des classes à 15 ou alors organiser des classes à 30 qui ne soient plus en rotation ? On a une réflexion à avoir avec les maires, les inspecteurs et les directeurs d’écoles. Mon créneau, c’est d’élargir le plan éducatif, mais ça se fait en partenariat avec les communes. On va faire le tour de tous les maires pour voir ce qu’on peut faire dans les écoles. L’inspection générale nous fait des préconisations qui nous semblent intéressantes. La poursuite des travaux de scission de l’école en rotation en fait partie.

F.I. : Vous avez été nommé recteur de l’académie de Mayotte en janvier 2023. Après une année en fonction, quels sont les axes de travail sur lesquels vous allez plancher en priorité ?

J.M. : Pour nous, l’enjeu est de donner des perspectives, améliorer les savoirs fondamentaux ou encore avoir des filières professionnelles qui répondent aux desideratas des jeunes dans leurs parcours d’orientation. On a un travail de renforcement de l’estime de soi car on s’aperçoit que les jeunes ont peu confiance en eux. Notre ministre [N.D.L.R. Gabriel Attal, avant d’être promu Premier ministre] avait préconisé des cours d’empathie. On parle d’une expérimentation en école primaire. A Mayotte, cinq circonscriptions se sont portées volontaires et ont été retenues. Je porte aussi plusieurs idées autour du temps d’enseignement. Un enseignant a, en moyenne, 18 heures de cours par semaine. Donc 18 séquences d’une heure de cours. On s’aperçoit que le temps de concentration d’un élève excède difficilement 40 minutes. En faisant un bête calcul, lorsqu’on sait que le cours dure 55 minutes, si on fait un cours qui s’arrête à 45 minutes, le temps cumulé libéré permettrait de libérer des emplois du temps pour des projets transversaux. C’est une idée que je n’ai pas encore partagée. Cela permettrait de donner davantage de sens aux contenus des cours et aux savoirs. On pourrait aussi penser à travailler sur la formation aux premiers secours.

F.I. Vous militez aussi pour donner plus de place à la lecture au sein des établissements scolaires…

J.M. : Oui, il faut aussi qu’on travaille sur des partenariats avec la lecture publique. Travailler la fluence dans la lecture. Aujourd’hui, on est à 90 mots par minute [N.D.L.R., vitesse de lecture des élèves] à la fin de l’école élémentaire, ce qui correspond à un niveau CE2, alors qu’on devrait atteindre les 120 mots par minute. Tout est combiné. Plus vous avez de facilité à lire, plus vous allez enrichir votre vocabulaire. Connaître les mots et pouvoir lire, c’est interdépendant. Si on réussit à fluidifier la lecture, peut-être qu’on donnera davantage la volonté de lire aux élèves. Aujourd’hui, ceux qui ont une capacité à l’information et d’objectivation réussissent mieux à l’école. Le support téléphonique n’est pas à nier non plus, même si ça me désole qu’on passe trop de temps dessus. J’aimerais que nos enseignants sensibilisent au maximum nos élèves à l’existence de ressources puisque les parents complètent ce travail. Pas à la rentrée prochaine, mais à la rentrée suivante, on va d’ailleurs demander la création d’une classe prépa littéraire au lycée de Chirongui.

F.I. : Quel est le « ratio » actuel enseignants contractuels / enseignants titularisés ? Observez-vous une baisse des effectifs, éventuellement imputable aux crises de l’eau et de l’insécurité ?

J.M. : On renforce notre recrutement avec la formation et le maintien de la dérogation de recrutement des enseignants. Dans le second degré, on est à 57% d’enseignants contractuels. Malgré quelques mesures pour renforcer l’attractivité, notamment les 1.000 points complémentaires pour ceux qui restent cinq ans [en tant que titulaire], les titulaires manquent. Au cours des années précédentes, ce ratio oscillait entre 54 et 57%. On ne réussit pas à le faire diminuer. Sachant qu’à la rentrée prochaine, on va avoir 360 postes supplémentaires à créer. Cette année, on en avait 330 de plus et on a fait, techniquement, la meilleure rentrée faite depuis les cinq dernières années, selon les services, car on a pourvu tous ces postes. Cette année, les premiers bénéficiaires des 1.000 points vont partir. Clairement, on s’aperçoit que l’attractivité de ce dispositif n’est pas suffisante. Cela dit, l’enjeu à long terme est d’accentuer la formation des enseignants localement. Depuis la rentrée de septembre, on a eu entre 16 et 20 démissions. Ces enseignants ont démissionné en raison des faits de violence sur le trajet entre le domicile et l’établissement scolaire. Cette pression-là est nouvelle. Elle se fait ressentir chez les enseignants et les conjoints. On n’a pas d’abandon de poste. En dehors de cela, les enseignants sont globalement motivés dans leurs missions pédagogiques et je tiens à les saluer. Ils reçoivent tout mon soutien et mes encouragements pour cette nouvelle année.

Quels changements avec l’Université de Mayotte ?

Depuis le 1er janvier, le CUFR (centre universitaire de formation et de recherche) de Dembéni n’est plus, il est désormais remplacé par l’Université de Mayotte. Ce qui était au départ une antenne de l’Université de La Réunion va désormais pouvoir décerner ses propres formations. Car jusqu’à maintenant, ce sont les universités qui assurent les formations sur le site qui pouvaient le faire. « L’établissement va aussi pouvoir demander des accréditations pour les diplômes qu’il souhaite défendre », confirme le recteur, qui l’estime encore « limité par les capacités d’accueil. Il faut absolument que l’Université soit aidée par les collectivités locales pour l’aider à prendre de l’ampleur ». Alors que le statut d’institut national universitaire (Inu) ne plaît pas à tout le monde, « ses prérogatives pédagogiques, de recherche et de gouvernance sont exactement les mêmes que n’importe quel établissement d’enseignement supérieur autonome », fait remarquer Jacques Mikulovic. Pour continuer à grandir et avoir un pilotage autonome, l’Université de Mayotte doit posséder un conseil d’administration dans lequel siègent des professeurs des universités. Sauf qu’à Mayotte, ils ne sont que trois à avoir ce statut, il en faudrait douze de plus. « Il n’y a pas de raisons que cela n’arrive pas dans le futur », le recteur.

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