Pour honorer la mémoire du professeur d’Histoire-Géographie tué le 16 octobre 2020 après avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo pendant un cours, les académies organisaient vendredi une commémoration et une minute de silence. Le rectorat de Mayotte a répondu présent. Mais si les élèves du 101ème département ne connaissent que trop bien la violence, les enjeux d’un tel attentat terroriste ne sont pas exactement les mêmes de ce côté du globe.
“Je vous demande d’observer une minute de silence pour rendre hommage à un professeur d’Histoire-Géo, assassiné à 47 ans pour avoir enseigné nos valeurs et la liberté d’expression.” Les élèves obtempèrent sans rechigner. Les derniers mots du recteur de Mayotte résonnent dans le préau du lycée Younoussa Bamana, subitement plongé dans un silence respectueux. Mais la consigne à peine levée, voilà que le brouhaha repart de plus belle. C’est sans compter l’arrivée sur le tard d’un caméraman… “Attendez, on le refait s’il-vous-plaît !”, intime le proviseur à la foule indisciplinée.
Ce vendredi 15 octobre 2021, ce ne sont donc pas une mais presque deux minutes que les quelques élèves du lycée Younoussa Bamana présents auront passé la bouche close. Conformément à la volonté du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, l’académie de Mayotte organisait une commémoration en hommage à Samuel Paty. Le professeur au collège de Conflans-Sainte-Honorine avait été assassiné par un terroriste islamiste le 16 octobre 2020, il y a presque un an. En pleine période de la Toussaint, le rectorat a opté pour cette séquence vendredi dans les établissements ouverts dans le cadre du dispositif des “Vacances apprenantes”. Un autre hommage sera rendu lors de la semaine de rentrée, le 25 octobre 2021.
30 référents pour former les 8.000 personnels
L’occasion pour le recteur de rappeler l’engagement de son ministère depuis le tragique événement. “Ce qui a changé, c’est notre détermination renforcée autour du carré régalien”, souligne Gilles Halbout, en référence à cette organisation des ressources pour chaque académie, censée améliorer la réponse publique dans quatre domaines stratégiques : la protection et la promotion des valeurs de la République, la lutte contre les communautarismes, la lutte contre le harcèlement/cyberharcèlement et la lutte contre les violences scolaires. “Un point qui nous concerne particulièrement à Mayotte, ce sont les violences. Notre vigilance est renforcée autour du soutien aux enseignants et de la prévention”, insiste le responsable.
Pour répondre aux exigences de ce “carré régalien”, un programme de formation “pyramidale” a été mis en place au niveau national. “Sur notre académie, une trentaine de référents valeurs de la République sont en train d’être formés”, précise-t-il. Ces premiers de cordée seront ensuite chargés de former à leur tour leurs collègues. Un dispositif qui s’étalera “sur trois ou quatre ans”, puisqu’il s’agira de transmettre leurs savoirs aux quelque 8.000 personnels de l’Académie.
“Moi, si j’étais professeur…”
Pour les élèves réunis ce vendredi, cette journée visait aussi à travailler sur ces enjeux de citoyenneté, au travers d’ateliers pédagogiques sur l’esprit critique, la tolérance, la laïcité, ou encore le rôle d’un professeur au sein de la société. Dans une salle de classe, une vingtaine de lycéens, d’âge et de niveaux variés, étaient par exemple invités à se mettre dans les bottes d’un enseignant. “Moi, si j’étais professeure, je ferais en sorte que chaque élève de la classe se sente à sa place”, lit à haute voix l’une des élèves. “Moi si j’étais professeur, je serai prof d’histoire comme Monsieur Diop, je ne l’ai jamais eu avant, mais aujourd’hui après son discours, j’ai compris qu’il a un grand respect pour son métier et un grand sens de l’honneur”, lui emboîte le pas un autre de ses camarades, un peu intimidé par cette soudaine attention.
Miki, Momix… et Hamada
Et Samuel Paty dans tout cela ? L’un comme l’autre secoue la tête. Avant cette journée, le nom du professeur val d’oisien n’était pas arrivé jusqu’à leurs oreilles. “Maintenant, je crois que j’ai compris, c’est un prof, il faisait son travail, et il a dessiné le prophète et il y a des gens qui l’ont dénoncé à des terroristes et ils l’ont tué… C’est ça ?”, récite l’air concentré le jeune homme, guettant un signe d’approbation. “Oui, ça me choque”, hésite-t-il encore. Visiblement un peu éloigné de ces problématiques hexagonales, le garçon est plus bavard quand il s’agit d’évoquer les violences à Mayotte. « Ça ça me choque ! Parce qu’ils ont tué un de mes camarades. C’était cette année. Hamada, à Mtsapéré”, déverse-t-il un peu plus véhément.
Interrogé à ce sujet, le proviseur de l’établissement confirme que le jeune tué lors des affrontements à Bonovo la semaine dernière suivait bien sa scolarité au lycée Younoussa Bamana. En avril dernier, déjà, le meurtre d’un élève à quelques rues de là avait endeuillé tout l’établissement. “On avait fait la marche blanche, des cellules psychologiques, des séances de parole… Mais c’est vrai qu’on est un peu démuni face à ces violences. Ce n’est pas notre métier”, soupire-t-il.