Marqué par le décès de deux lycéens en à peine une semaine, le rectorat de Mayotte passe pour le bouc émissaire idéal. Face aux demandes sécuritaires de plus en plus insistantes, le responsable de l’académie, Gilles Halbout, défend sa position et appelle à l’union sacrée pour que l’ensemble du personnel éducatif, des jeunes et des parents d’élèves retrouvent un semblant de sérénité. Entretien.
Flash Infos : Depuis les décès de Miki et d’Ambdoullah, le rectorat est la cible de critiques concernant la sécurité de ses élèves. Comment les accueillez-vous en sachant que ces drames n’ont pas eu lieu dans les établissements scolaires ?
Gilles Halbout : Tout le monde dans cette île a une relation particulière avec l’Éducation nationale. Mais on ne peut pas nous rejeter tous les torts. Nous faisons notre possible pour apporter de nouvelles formations mais aussi pour rénover les bâtiments, alors que ce n’est pas notre rôle. Au bout d’un moment, nous ne pouvons pas tout faire… Nous pointer systématiquement du doigt quand quelque chose ne tourne pas rond ne va pas régler le vrai problème, qui est général au département et qui concerne bien souvent la sécurité publique.
C’est important que les habitants comprennent que nous ne sommes pas toujours les responsables. Lorsque des jeunes rejettent la faute sur un chef d’établissement ou sur un agent de l’équipe mobile de sécurité, c’est dur à entendre ! Si nous voulons que des enseignants s’engagent sur le territoire, il faut protéger les uns et les autres plutôt que d’accabler la communauté éducative, qui est parfois elle-même blessée dans l’exercice de ses fonctions. Il faut raison garder, prendre du recul et de la hauteur. Aller chercher des coupables, c’est injuste, malsain et contre-productif.
FI : Ce week-end, le gouvernement a réagi, par le biais de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, qui a partagé son indignation (voir encadré). Quelles réflexions sont actuellement menées à Paris pour apporter une solution pérenne à ces règlements de compte entre bandes rivales ?
G. H. : Nous devons jouer sur tous les tableaux ! Il faut travailler sur l’éducation, le bâti, l’accompagnement, le numérique… Avec le ministre, nous échangeons là-dessus pour apporter des réponses de fond, et non pas seulement des réponses sécuritaires. L’une d’elles passe par le recrutement de 265 nouveaux personnels à la rentrée prochaine. À nous de plus les cibler par rapport aux besoins du territoire.
FI : Vendredi dernier, vous avez rencontré les parents d’élèves en début d’après-midi. Quelles décisions ont découlé de cette entrevue ?
G. H. : Nous organisons une grande journée pédagogique ce mercredi avec des débats, des prises de conscience, des échanges dans l’ensemble des établissements scolaires. Certains proposeront des ateliers, d’autres inviteront les parents et les élus. Il y a de bonnes réactions, mais encore faut-il tout mettre en musique dans la pratique. Tout le monde commence à penser qu’il nous faut un retour global. Nous sommes passés d’une société communautaire à une société « individuelle », dans laquelle la population pense que c’est à l’État de s’occuper de l’éducation des enfants.
Il faut que les mairies prennent leurs responsabilités par rapport au système de garde et de périscolaire. Ce n’est pas normal que certains élèves ne soient pas encore pris en charge entre midi et deux… Il faut que les standards montent d’un cran partout ! De notre côté, nous avons également balayé devant notre porte. Nous savons que nous avons de grosses marges de progression, mais s’il y a une institution qui tient le coup sur l’île, c’est bien le rectorat. C’est une machine énorme qui fonctionne relativement bien. Après, nous comprenons l’attente qui pèse sur nos épaules, mais il faut savoir relativiser et ne pas toujours être dans des réactions de défiance. La plupart des collègues veulent s’impliquer dans le développement de Mayotte.
FI : Que répondre à des élèves et à des parents qui ont peur pour leur sécurité ?
G. H. : Déjà, il faut entendre les messages des élèves, comme ce fut le cas lors des Assises de la sécurité, et tous nous mobiliser. Par exemple, quand il y a un peu de tension, il faut que les parents soient là, regardent, participent, rassurent… Qu’un petit continuum garde un œil sur les enfants. Pour cela, il faut une mobilisation générale. Ce message semble en tout cas être passé ce lundi sur Mamoudzou puisque nous en avons vus plus que d’habitude.
FI : Très bien. Mais quand des parents s’investissent, ils sont sous la menace de contrôles inopinés. Pas plus tard que la semaine dernière, certains d’entre eux, qui accompagnaient les élèves jusqu’aux bus au lycée de Bamana, se sont fait embarquer…
G. H. : Il faut, bien évidemment, que les alentours des écoles soient un lieu sécurisé pour les parents, sinon nous n’allons pas nous en sortir. Si des interpellations s’opèrent… (il se coupe). Nous ne devons pas voir cela !
FI : Dans ces conditions, ne faut-il pas faire pression sur la préfecture pour renforcer la présence des forces de l’ordre aux abords des établissements scolaires ?
G. H. : Nous demandons constamment des renforts aux forces de l’ordre. Mais malgré leur présence, cela reste tendu puisqu’ils sont victimes d’attaques et de caillassages, comme à Kahani. La gendarmerie et la police doivent avoir un rôle dissuasif, or aujourd’hui ce n’est pas le cas. Je ne connais aucun pays où l’on se dit qu’il faut placer un gendarme derrière chaque individu. Sinon, nous serions dans un État policier. Je le dis et le répète, il faut une prise de conscience générale : ne rien lâcher et ne pas baisser la tête.
FI : Depuis quelques jours, le spectre d’un nouveau blocage comme celui vécu en 2018 prend de plus en plus d’ampleur. Cela serait une nouvelle épine dans le pied pour l’Éducation nationale, après les conséquences des deux confinements au cours de la dernière année…
G. H. : Tous les blocages, notamment ceux dans le Nord, nous désespèrent ! Ce sont les élèves qui en pâtissent en premier. Si je savais comment les débloquer, je signerais tout de suite. Certains adultes ne montrent pas le bon exemple aux enfants… Il ne faut pas répondre à la violence par la violence, mais prôner le vivre ensemble. Cela ne renvoie en aucun cas un bon message. Au contraire, cela prive directement l’accès à l’éducation pour une partie de la jeunesse. Nous pouvons nous parler normalement, nous n’avons pas besoin de rajouter des barrages.
Jean-Michel Blanquer réagit à l’assassinat de nos deux lycéens
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a adressé un communiqué le 16 avril pour évoquer la semaine meurtrière vécue par le rectorat du 101ème département. « C’est avec une profonde tristesse que j’ai appris la semaine dernière la mort du jeune Miki, lâchement assassiné devant la cité Nord de Mtsangadoua, son lycée. Ma peine est profonde à l’annonce, quelques jours plus tard, du meurtre d’Ambdoullah, élève du lycée Bamana à Mamoudzou. Ce jeune homme a, lui aussi, perdu la vie après une violente agression dont il a été victime sur la voie publique. Ces deux drames touchent des familles, des proches et les communautés éducative de ces deux établissements. Je tiens à leur adresser aujourd’hui tout mon soutien », a-t-il introduit. Avant de rappeler les valeurs républicaines et et d’apporter son soutien aux personnels du rectorat. « En une semaine, ce sont donc deux jeunes, deux lycéens, deux élèves de l’académie de Mayotte qui ont été tués par d’autres jeunes. Ces actes sont condamnables, il n’est pas tolérable que ces meurtres sur fond de rivalités de territoires perdurent. L’Éducation nationale continuera inlassablement à se mobiliser pour permettre aux jeunes de Mayotte d’apprendre, de se former et de se contruire en tant que citoyens respectueux les uns des autres. En ce moment douloureux, si nous pensons d’abord à celles et ceux qui aimaient Miki et Ambdoullah, je veux aussi rendre hommage et remercier, pour leur engagement, l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale qui, chaque jour, malgré les difficultés, mettent toutes leurs compétences et leur cœur au service de la jeunesse de Mayotte. »