Dans un livre publié le 30 août 2021 et bientôt disponible en librairies à Mayotte, des enseignants-chercheurs font le portrait d’une école mahoraise particulière, à la fois récente, et marquée par des spécificités locales : le plurilinguisme, les madrassas, la jeune formation des professeurs sur place… Un état des lieux nécessaire, au vu des innombrables défis qui pèsent sur l’éducation des enfants à Mayotte.
Le saviez-vous ? La toute première école publique laïque de Mayotte a été inaugurée à Dzaoudzi en 1864. Avant cela, et quand les Français prennent possession de l’île en 1841, le système éducatif repose essentiellement sur les écoles coraniques. Il faudra attendre les années 1990 pour que “les transformations du système scolaire s’accélèrent pour faire face à la massification de la population scolaire”, écrit Liliane Pelletier, directrice adjointe du laboratoire Icare de l’Université de La Réunion, en ouverture de “L’école à Mayotte – Approches plurielles”, paru aux Éditions L’Harmattan le 30 août 2021. Depuis la fin du siècle, la petite île de l’océan Indien est passée de quelque 5.000 élèves aux 106.000 annoncés par le rectorat pour cette rentrée scolaire… De quoi bouleverser toute une organisation !
La parole aux acteurs de terrain
Pour tenter de dresser un portrait de ce système éducatif en perpétuelle évolution, neuf auteurs, dont cinq chercheurs du laboratoire Icare, signent ainsi pour cette même rentrée un ouvrage collectif sous la direction de Maryvonne Priolet, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation au centre universitaire de Mayotte (CUFR). Objectif : interroger les particularités de l’école sur une île en proie à une croissance démographique galopante, et où le fort taux de pauvreté fait peser un enjeu majeur sur la scolarisation des enfants. Outre ces statistiques socio-économiques bien connues, il s’agit aussi pour les contributeurs d’étudier les représentations des différents acteurs – familles, enseignants, directeurs d’école notamment – au travers de travaux de recherche, établis via des questionnaires, des entretiens, des observations en classe, etc. Or, ces représentations se heurtent à un contexte particulier de plurilinguisme, de dualité de l’enseignement avec les écoles coraniques que fréquentent une majorité d’enfants, mais aussi de rotations, et d’enjeux de formation locale pour les futurs enseignants.
“Nous ne voulions pas une approche linéaire, c’est pourquoi nous abordons de nombreuses thématiques dans un ouvrage volontairement collectif. Et chaque chapitre donne la parole à des acteurs de terrain”, insiste Maryvonne Priolet, pour qui cette publication signe l’aboutissement d’une carrière passée sur les bancs de l’éducation, comme institutrice, conseillère pédagogique et inspectrice de l’Éducation nationale. “La découverte de l’école à Mayotte a été un élément déclencheur dans ce projet. En arrivant en 2017, j’ai eu envie de faire connaître à d’autres ce qu’était cette école, qui évolue encore d’ailleurs”, sourit la chercheuse. Un intérêt partagé avec les autres auteurs, Stéphanie Bachelot, Yannick Bureau, Philippe Charpentier, Daourèche Hilali Bacar, Gaëlle Lefer-Sauvage, Miki Mori, Liliane Pelletier, et Jean-Jacques Salone.
Le dilemme des langues régionales
Regard des parents, rapports aux langues, dilemmes de l’activité enseignante face à un modèle calqué de l’Hexagone, formation des professeurs, usage des tablettes tactiles par des enseignants d’ULIS-école (unités localisées pour l’inclusion scolaire)… En sept chapitres, « L’école à Mayotte – Approches plurielles » dresse ainsi un portrait fourni du système scolaire à un instant T, dans un contexte où les représentations évoluent très rapidement, reconnaît Maryvonne Priolet. “Quelque part, ce livre est déjà presque daté ! En 2017, nous avons pu voir le dilemme professionnel qui se posait pour des personnes qui se sentaient interdites d’utiliser dans leurs classes des langues autres que le français”, cite par exemple la directrice d’ouvrage, en référence à la reconnaissance récente du kibushi et du shimaoré comme langues régionales et la volonté de l’Éducation nationale de permettre leur enseignement à l’école.
Trois chapitres sur la formation de ceux qui enseignent
Autre évolution rapide : la formation des enseignants. Créé en 2017 pour former les professeurs des écoles de “la nouvelle école de la République”, sur le principe d’une alternance intégrative qui mixe expérience de terrain et formation universitaire, le Master MEEF du CUFR s’étend au second degré à partir de cette rentrée 2021, avec le français et les maths. “Avec la formation des enseignants, nous avons des promotions de 200 personnes qui vont sortir chaque année pour le 1er degré, et le nombre de contractuels sera réduit d’autant”, explique Maryvonne Priolet. Comme quoi, “on voit que tout est en devenir.”