« Des élèves à temps-plein dans les écoles, c’est ce qu’on vous doit »

A Mayotte pour deux jours, Philippe Vigier suit de près l’évolution de la crise de l’eau. Celle-ci remplit d’ailleurs une bonne part de son agenda, à défaut des retenues collinaires. Mais ce mercredi, ça s’est avéré qu’un sujet parmi de nombreux problèmes de l’éducation relevés par les parents d’élèves rencontrés à Tsimkoura.

La cinquantaine de parents d’élèves participant au congrès de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), ce mercredi, au collège de Tsimkoura, n’a sans doute jamais vu autant d’autorités assister à la restitution de ses ateliers. Élus locaux, parlementaires, recteur de l’académie de Mayotte, préfet de Mayotte, directeur territorial de la police nationale, commandant de gendarmerie de Mayotte et donc ministre chargé de l’Outremer ont pris place sur les chaises de la grande salle de l’établissement du sud de Mayotte. Une audience inédite, mais qui démontre le nombre d’enjeux du système scolaire, car outre le sujet de l’eau, ceux de la sécurité, la restauration, les classes surpeuplées, les moyens humains ou matériels inquiètent les parents réunis ce jour-là. D’ailleurs, ils estiment que ces problématiques pénalisent leurs enfants dans leur cursus. « C’est comme un coureur qui est très fort sur le bitume. Arrivé en métropole, sur la piste, il termine dernier, parce que les autres ont l’habitude. Ce n’est pas qu’il est moins fort, mais ce ne sont pas les mêmes conditions », image Hamida Maziki, mère de Sullyvan et Alyssa, deux élèves du collège de Sada.

Les participants aux ateliers ont remonté toute une liste de doléances, que ce soit sur le transport scolaire dont l’amplitude horaire oblige des élèves à se lever très tôt, la restauration scolaire (seuls quatre établissements scolaires ont une cuisine), la mise aux normes PMR (Personnes à mobilité réduite) ou les problèmes des classes surchargées. « Il faut scolariser tout le monde, ça fait partie de nos lois, on l’accepte. Mais nous aussi, on veut que vous les respectiez en nous donnant les moyens humains et matériels », demande Adidja Fatihoussoundi, coprésidente de la FCPE.

Philippe Vigier, ministre délégué à l’Outremer, a reconnu « qu’au-delà du sujet de l’eau, elle impacte tout », promettant d« accompagner ce territoire jusqu’au bout ». « Pour moi, des élèves à tempsplein dans les écoles de la république, c’est ce qu’on vous doit », concède-t-il. Il promet de demander un fonds de soutien scolaire à Gabriel Attal, le ministre de l’Éducation nationale, et une enveloppe de cinquante millions d’euros « pour améliorer les repas » et l’achat de livres scolaires.

Interrogé sur les rotations de classe à cause de l’eau qui s’ajoutent à celles en raison de sureffectifs des élèves, il répond : « Spécifiquement, pour les écoles, il faut augmenter le nombre de celles desservies par le chemin de l’eau et il faut aussi des infrastructures à créer. On en revient à la même question. Les infrastructures ne sont pas créées par l’État, mais par les élus locaux et les syndicats. On les accompagne, on est avec eux, on leur met des techniciens, mais on ne peut pas encore signer les actes de service ».

Des échanges tendus avec Estelle Youssouffa

Participant à la visite ministérielle, la députée mahoraise s’est montrée très vindicative après les discours du recteur Jacques Mikulovic et du préfet Thierry Suquet. Le premier a rappelé que la politique de construction et de rénovation des établissements du second degré, qui devrait bénéficier d’un coup de pouce de 130 millions d’euros par an (pendant cinq ans) grâce au contrat de convergence, est en marche. Cinquante autres millions d’euros par an seraient aussi fléchés pour les écoles. Le recteur a aussi fait un point sur les évaluations nationales dont les résultats viennent de tomber. « Mayotte arrive en queue de peloton, mais c’est le cas de tous les départements d’outre-mer. Je pense que les outils d’évaluation ne font pas sens ici », estime-t-il, décrivant par exemple un vocabulaire parfois centré sur la métropole.

Sur ce dernier point, Estelle Youssouffa a vu rouge. Regrettant que Gabriel Attal « ne soit pas là pour entendre les difficultés », elle réfute l’idée que ce soient les évaluations nationales le problème. Elle insiste plutôt sur la pression démographique liée à l’immigration et la violence dans les établissements. « Les élèves sont trimballés d’établissement en établissement avec leur violence », souligne-t-elle. « Qu’on arrête de pourrir les chances de nos gamins en les mettant avec tout ce qui se passe », s’emporte-elle également. D’autres parents avaient donné le ton en ouverture de la restitution. « Il faut éviter que la rentrée de Mayotte soit celle des Comores » ou « l’État fait de l’ONG pédagogique avec les enfants d’Afrique et des Comores », ont indiqué des membres du bureau de la FCPE.

L’insécurité a forcément été abordée au cours des échanges. « Les parents sont aussi des victimes. On se demande si les enfants reviendront sains et saufs à la maison », explique Adidja Fatihoussoundi, coprésidente de la FCPE. Si personne n’a minimisé ce problème récurrent à Mayotte, Thierry Suquet a rappelé qu’un effort avait été fait depuis août avec « un cinquième escadron de gendarmes mobiles pour ça ». A Mamoudzou, le lycée Younoussa-Bamana a été le symbole de ces affrontements réguliers entre bandes, avant qu’une accalmie ne soit notée à l’approche des vacances d’octobre. « Je remercie les parents et la police pour avoir passé beaucoup de temps à Bamana pour trouver une solution », tient-il à dire, avant de rappeler que les forces de l’ordre payaient un lourd tribut avec « 80 blessés sur le dernier trimestre ».

Recteur et ministre ont annoncé le recrutement de 50 AED (assistants d’éducation). Décrivant « des moyens considérables » pour la sécurité, Philippe Vigier a préféré l’empathie avec les parents présents. « Je peux comprendre la boule au ventre des parents. La sécurité est la première des libertés », a-t-il reconnu, avant de les remercier pour leur engagement. « J’ai entendu tout à l’heure que les parents sont démissionnaires. Vous êtes la preuve que non. »

Crise de l’eau : la course aux travaux continue

Depuis sa première venue, le ministre délégué de l’Outremer se fait aussi délégué aux travaux (et apparemment de la pluie). Pressant le syndicat des Eaux de Mayotte sur les chantiers, il a souhaité voir ceux du moment. Cette fois-ci, il en a visité deux, dans l’après-midi, à Tsingoni et M’tsangamouji. Le premier est un nouveau captage sur la rivière Mro wa Chirini, à Soulou. Les travaux terminés, et en attente du feu vert de l’Agence régionale de santé (ARS), ce sont 600m3 d’eau (avec la possibilité de passer à 1.000m3) qui pourraient arriver dans le réseau. Puis, le cortège s’est dirigé vers M’tsangamouji ou des travaux de doublement des canalisations sur trois kilomètres vont permettre d’augmenter le volume transféré de M’tsangamouji à Ourovéni (de 105m3/heure à 135m3/h). L’enveloppe est de sept millions d’euros pour huit semaines de travaux. Ailleurs sur l’île, les recherches de fuites continuent, tout comme les forages (celui de Coconi est le seul à pouvoir fournir prochainement 600m3 d’eau par jour), les travaux d’interconnexion Petite-Terre/Grande-Terre et à l’usine de dessalement de Pamandzi où la production attendue fin novembre est de 4.700m3 (contre 3.200m3 aujourd’hui). Le tout est de produire au-delà de 20.000m3 par jour une fois les retenues de Dzoumogné et Combani vidées, afin qu’elles se remplissent pendant la saison des pluies.

Attentif à la météo, Philippe Vigier a rappelé que celle-ci « devrait arriver bientôt ». « Inshallah », lui a répondu Ibrahim Aboubacar, le directeur général des services du syndicat.

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