Depuis maintenant un an, la préfecture de Mayotte s’est lancée dans une nouvelle mission de destruction des habitats informels dans le cadre de la loi Elan. 955 habitations ont été détruites depuis le début de l’année. Des centaines de familles se sont retrouvées démunies, sans aucune solution pérenne de relogement. Parmi elles, des enfants scolarisés qui doivent jongler entre les décasages et leur scolarité. Une partie d’entre eux est suivie par les autorités, mais le système n’est pas sans failles.
Démolir les cases en tôles et proposer des hébergements d’urgence, telle est la politique du gouvernement depuis un an à Mayotte. Rien qu’en 2021, les services de l’État recensent pas moins de 955 habitations détruites ! Et au moins autant de familles désemparées… Conséquence : « énormément d’enfants ont été déscolarisés à la suite de ces opérations », dénonce Pauline Le Liard, chargée de projet régional à la Cimade. Difficile dans ce marasme de quantifier l’adverbe « énormément » puisque ni le rectorat ni la préfecture, et encore moins les associations partenaires, ne sont en mesure de communiquer les statistiques sur le nombre d’enfants scolarisés qui ont été relogés, expulsés ou qui ont tout bonnement disparu avec leurs parents. Personne ne peut non plus informer sur le nombre d’élèves qui ont pu poursuivre leur scolarité, et encore moins ceux qui ont eu une année scolaire interrompue ou perturbée.
Pourtant, un dispositif de suivi existe bel et bien pour assurer la continuité de la scolarisation de ces enfants qui ont perdu leurs maisons. « Normalement, le service de la cohésion sociale fait une enquête avant le décasage auprès des familles pour voir qui a des enfants et où ils sont scolarisés. Les conclusions nous sont envoyées quand l’enfant ou la famille est relogée autre part. Cette procédure nous permet d’anticiper la scolarisation », défend le recteur Gilles Halbout. Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu… En effet, certaines familles refusent les propositions de relogement. Ce qui complique considérablement la tâche des institutions ! « Les familles refusent ces lieux puisqu’ils ne sont pas du tout adaptés à la composition familiale du ménage ni au lieu de scolarisation », soutient la représentante de la Cimade. Alors elles n’ont d’autre choix que de trouver des solutions par leurs propres moyens, dans l’intérêt de leur progéniture. « Ce que nous avons vu lors des précédents décasages c’est que globalement les familles trouvent toujours un point de chute pour leurs enfants pas loin », révèle le responsable de l’académie.
Le grand flou pour les enfants des familles en situation irrégulière
Mais qu’en est-il des parents qui sont en situation irrégulière et qui sont expulsés ou se sont évaporés dans la nature ? « Ceux-là, nous ne les voyons pas », admet Gilles Halbout. Pourtant avant chaque opération de destruction, l’association pour la condition féminine et l’aide aux victimes (ACFAV) mène des enquêtes sociales pour recenser le nombre de familles présentes et notamment les enfants scolarisés. Mais ces enquêtes sociales doivent être améliorées selon Lydia Barneoud, la présidente de l’association Haki Za Wanatsa, qui promeut et défend les droits de l’enfant. « Nous avons proposé en mars dernier que figurent sur les enquêtes les établissements scolaires d’origine des enfants. Cela a été confirmé récemment par la direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités et cela permettra, nous l’espérons, un meilleur suivi de ces élèves par les services du rectorat. » Car pour l’instant, « c’est au petit bonheur la chance » ! « Les professeurs réalisent à travers les absences que tel élève habitait dans le quartier détruit », ajoute-t-elle. De son côté, le recteur se veut rassurant, notamment pour les parents qui sont renvoyés dans leur pays d’origine. « Actuellement, nous travaillons avec les associations dans une logique de coopération pour que quand des familles sont en irrégularité et qu’elles doivent partir, nous essayons de leur trouver un bon système éducatif là-bas. »
Absence de suivi psychologique
Quid alors du suivi psychologique ? Car le décasage est sans conteste une situation éprouvante et d’une violence mentale considérable pour les adultes, et plus encore pour les enfants. Or, ceux qui ont la chance de retrouver les bancs de l’école n’en bénéficient pas à Mayotte… « Les enseignants en parlent, mais il n’y a pas de suivi particulier », reconnaît le recteur. « Les professionnels sur le terrain nous remontent des gros soucis car des élèves arrivent traumatisés. La scolarisation va être interrompue, bafouée ou pleine d’obstacles », précise Pauline Le Liard de la Cimade. Une réalité qui n’étonne personne, mais qui doit trouver des solutions.
L’association Haki Za Wanatsa œuvre en ce sens. « Nous travaillons avec l’ensemble des partenaires pour faire en sorte de ne pas pénaliser doublement ces enfants, dont on oublie souvent que la majorité n’a rien fait d’autre que de naître au mauvais endroit. Il en va de l’ambiance en milieu scolaire, mais aussi au dehors. C’est une question d’intérêt général. En cela, permettre leur suivi effectif, au-delà d’être un devoir légal et moral, est aussi crucial, pour l’avenir de l’île », déroule Lydia Barneoud. « Nous défendons le droit des enfants à ne pas être séparés de leur famille en cas d’éloignement, et celui, s’ils ont vocation à rester, de poursuivre leur scolarité, dans les meilleures conditions possibles. Au-delà du droit, il s’agit aussi de ne pas alimenter les tensions, ce qui n’a pour seul effet que d’ajouter du chaos à la situation déjà bien complexe et éprouvante pour tous sur le territoire. » Des principes que nul n’est censé ignorer, en théorie. En pratique, partagée entre l’envie d’en finir avec les bidonvilles et le respect des droits de l’enfant, la préfecture doit encore régler sa balance pour trouver le juste milieu.