Pour combattre l’ennui et changer l’image parfois négative autour de leur village, des jeunes de Tsoundzou 2 ont nettoyé la rivière et ses alentours. Poussés par un habitant, ils souhaitent créer une association.
8 heures, samedi 3 février, rendez-vous devant le Doukabé de Tsoundou 2. Huit enfants patientent sur les marches d’un escalier. Le plus grand a 16 ans, le plus petit, 9 ans, même s’il en paraît beaucoup moins. « On est là parce que c’est sale. On va ramasser les déchets et les mettre dans la poubelle », lance un membre du groupe. Ils attendent les sacs poubelle qu’Antoy Abdallah est parti chercher.
Cet habitant ne travaille pour aucune association. Mais il a proposé aux jeunes qu’il a rencontré le jeudi précédent de nettoyer la rivière de tous les détritus ramenés par la pluie. « Au lieu de rester sur Facebook où les gens sont méchants, je me suis dit que j’allais rencontrer ces jeunes dont on parle, directement dans mon quartier. S’il y a 1 % de chances que ça fonctionne, ce sera toujours mieux que de rester sur Facebook », raconte cet enseignant au lycée de Tsararano et agriculteur qui ne peut plus aller aux champs à cause des barrages.
« Vous avez besoin de quoi pour arrêter de faire le bordel ? », avait-il demandé d’emblée aux plus âgés, habitués à rester dehors, sous un abri, pour y passer leur journée, pensant s’adresser à des fauteurs de trouble. « Très vite la question de la nourriture s’est posée. Se demandant : « Qu’est-ce qu’on va manger à midi ? » C’est comme ça que certains décident d’aller chercher quelques euros autour. » Pour continuer la discussion, Antoy Abdallah prépare, de sa poche, un voulé. « L’ambiance devient très vite festive. » Ils s’occupent du repas, filmés par cet habitant qui poste sur Facebook : « voici les cafards dont vous parlez ». C’est ainsi qu’il propose de faire des activités comme celle de ce samedi, occupation de la journée et voulé à midi garanti.
Ni école ni terrains de foot ni MJC
Un discours appuyé par les plus jeunes qui attendent son retour à côté de la supérette. « Nous on n’est pas des délinquants », affirme l’un d’eux. « Peut-être qu’en faisant ce genre d’activité, cette image changera, petit à petit ». Depuis que les routes sont coupées, l’école et la collation qui vient avec leur manquent. Ils sortent de l’école coranique et n’ont pas mangé ce matin. La journée, ils s’ennuient ou jouent au football dans les hauteurs. « Quand des délinquants font des barrages, les adultes et les policiers pensent que c’est nous alors qu’on joue là-haut », détaille Ismaya, 16 ans. Ils disent aussi avoir peur de ces autres jeunes « qui veulent [les] frapper avec des mâchettes ». Pour s’occuper et moins traîner dans les rues, ils demandent un parc, un terrain de football et une piscine municipale. Mais aussi, une Maison des jeunes et de la culture (MJC) qui fonctionne. « C’est fermé. C’est devenu une école provisoire avec deux ou trois classes », livre Ismaël, concédant que des associations y viennent de temps en temps.
L’amalgame entre eux et les autres jeunes, ils y sont habitués. Comme aux scènes de violence. Lorsqu’un plus grand se fait sortir par le vigile du magasin car il n’aurait pas voulu payer des paquets de mouchoir, la colère prend vite le pas sur la raison. « Partez madame », comprennent tout de suite les enfants avec qui nous échangeons. L’individu en question sort du supermarché et se munit de grosses pierres qu’il balance à l’intérieur avant que le vigile n’ait le temps de baisser le rideau complètement. Une vitre de frigo est brisée, un scooter dehors, renversé. La police intervient un peu plus tard sans identifier l’auteur des dégradations et la vie reprend son cours. Antoy Abdallah revient. Les plus âgés, une dizaine, attendent au même endroit, sous leur abri. Ils ont vu de loin ce qu’il s’est passé mais ne veulent pas s’en mêler.
« On n’est pas des cafards, mais des êtres humains »
Il est bientôt 9 heures. Une éducatrice des Apprentis d’Auteuil, « Nana », est venue, curieuse. « Ce sont des jeunes qui sont toujours ici, très corrects, toujours respectueux », déclare-t-elle.
Les outils récupérés, les deux groupes partent en direction de la rivière. Les plus jeunes ramassent les déchets. Les plus âgés coupent le bambou tombé sur le sol à cause des dernières tempêtes pour libérer l’espace. Il est ensuite récupéré pour, par la suite, créer des bacs à plantes dans le quartier, ou du mobilier extérieur. « On dégage la vue et on pourra installer des tables et des chaises. Ce sera plus joli. On verra la route », explique Farad, machette à la main pour tout couper.
Il a 26 ans, tout le monde l’appelle « Smocky ». « On est mal vus. Alors qu’on n’est pas des cafards, on est des êtres humains comme les autres. Il faudrait que l’État nous laisse quelque chose à faire, trouver un emploi, faire des formations… » Il sait de quoi il parle. Farad n’est pas né à Mayotte même s’il y a fait toute sa scolarité. Pour des questions administratives, il ne peut pas travailler. « Alors on traine. Avec les grands, les petits, on discute. On en a marre de regarder tous les jours passer les voitures », décrit celui qui aimerait pouvoir apporter quelque chose à l’île.
L’idée d’une association
Antoy Abdallah a plusieurs idées à leur soumettre pour se rendre utiles : repeindre les murs tagués dehors et remplacer la tôle de l’abri avec du mobilier qu’ils pourraient faire eux-mêmes. Et créer une association : avec un volet pour changer leur image par le biais d’activités comme celle-ci, un autre, « plus lucratif », pour ramasser de la vanille, programmer des événements culturels et avec cet argent, préparer des déjeuners. « À terme, s’ils sont capables de manger un repas le midi, ça en fera au moins un dans la journée », détaille cet habitant qui a promis que, dès qu’il pourra retourner dans ses champs, il ramènera des boutures de vanille pour les planter.
« Du moment que ça m’occupe, c’est intéressant. On est plein à être là du matin au soir sans avoir rien à faire », lance Farad, enthousiaste. « On dit que ces jeunes-là sont des voyous, mais regardez ce qu’on peut faire quand on les occupe », réagit Antoy Abdallah. « Moi je ne suis personne, alors je ne comprends pas que l’État, les institutions, ne puissent rien faire. »