A Kawéni, c’est aussi la rentrée pour les recalés du système scolaire
Mourtadhoi Daoud est formateur au sein de l’association ACEKB. Ce jeudi, c’est le premier jour de cours dans la structure.

L’association culturelle d’éducation de Kawéni Bandrajou a aussi fait sa rentrée, cette semaine. Cette structure accueille des jeunes qui ne peuvent pas être pris en charge à l’école par manque de places. Face à la demande d’accueil toujours plus importante, l’association a dû s’agrandir. Si la plupart des reçus sont immigrés, il y a aussi des enfants nés à Mayotte qui ne sont pas régularisables en raison de la modification du droit du sol*.

Des enfants qui récitent l’alphabet, d’autres qui font une dictée dans des salles avec bureaux et tableaux tout neufs. A priori, tout ressemble à une école classique. Sauf qu’il s’agit là des locaux de l’association culturelle d’éducation de Kawéni Bandrajou (ACEKB). La structure accueille des jeunes de 3 à 25 ans non scolarisés.

Faute de place dans le système scolaire, ils sont reçus ici. Première étape à leur arrivée, « ils font un test de positionnement pour connaître leur niveau puis on les répartit selon leurs besoins », explique El-Fazal Chadhouli, chef de service au sein de l’association. Quelques jours après la rentrée des classes dans l’académie de Mayotte, ils sont déjà près d’une centaine dans les locaux d’ACEKB. Et de nouveaux jeunes arrivent en permanence. Ce jeudi matin, cinq autres attendent de passer leurs tests. « D’après mes connaissances, en France, il n’y a qu’à Mayotte que des enfants n’ont pas accès à la scolarité », déclare Nadjidou Bacar, le directeur de l’association. En majorité (environ 70%), ce sont des enfants issus du continent africain, des Comores et de Madagascar, le restant étant des Mahorais.

Apprendre à lire, écrire et parler

Fondée en 2018 dans le quartier de Bandrajou à Kawéni, où de nombreuses cases en tôle ont poussé au fil des ans, l’association avait pour but d’occuper les jeunes pour les éviter de tomber dans la délinquance. « Finalement, nous nous sommes rendus compte qu’une partie sans la nationalité française n’avait plus accès à la scolarité à partir de 16 ans, ce qui était source de délinquance à Kawéni », souligne le directeur. De là, l’association décide de changer ses missions pour accompagner ces jeunes dans l’apprentissage de la langue française, pour leur apprendre à lire, écrire et parler.

Les douze salariés d’ACEKB et les vingt bénévoles travaillent en partenariat avec l’État et les mairies pour les insérer dans le système scolaire. « Par exemple, dès que la mairie de Mamoudzou a une place, l’enfant quitte l’association pour être scolarisé dans une école de la commune », décrit Ahmed Abdallah, formateur au sein de l’association. Pamela attend son tour, la petite fille de 9 ans, issue de la République démocratique du Congo, suit la classe dans l’association depuis la fin de l’année dernière et espère qu’une place va se libérer dans une école bientôt.

Si les jeunes ne restent que quelques mois en moyenne dans l’association et le turnover y est fréquent, la demande pour y être accueillie ne faiblit pas. En plus de ses cinq salles de classe, ACEKB a dû investir les locaux de la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) de Kawéni et y installer deux autres classes pour prendre en charge tout le monde. Bientôt, ce ne sera plus nécessaire, un étage est en cours de construction sur le site de l’association pour ouvrir deux classes. Sur le territoire, peu de structures proposent un accompagnement similaire, alors les jeunes viennent de loin pour bénéficier des cours, certains d’Acoua, d’autres de Longoni, etc. Un partenariat avec Transdev a été signé pour permettre aux jeunes de venir.

Sortir de « cette vie de galères »

Environ 20 à 30 % des jeunes qui viennent ici sont nés à Mayotte. C’est le cas de Khaled Saindou Madi vêtu d’une chemise d’un blanc immaculé pour son premier jour de cours, ce jeudi. A 21 ans, être accompagné par l’association est une chance pour lui qui espère sortir de « cette vie de galères ». Après le bac, né de parents comoriens, il a déposé une demande de nationalité française qui lui a été refusée*. Sans perspective, il a vécu ces trois dernières années sans but dans le bidonville de Longoni où il a grandi. L’association dit recevoir de plus en plus de jeunes à la situation similaire.

Alors qu’ils se retrouvent dans une impasse administrative après leurs 18 ans, ACECKB réussit néanmoins à les insérer. « Nous avons noué des partenariats avec des centres de formation et des Maisons familiales rurales qui les acceptent mêmes sans papiers », précise le directeur.

Avec une démographie galopante et tandis que le nombre d’enfants à instruire à Mayotte n’a jamais été aussi important, le directeur est de plus en plus inquiet pour mener les actions de l’association. « Nous nous faisons discrets », raconte-t-il car « nous avons peur des représailles ». Nadjidou Bacar observe parmi la population mahoraise une hostilité de plus en plus visible à l’égard des immigrés. « Pourtant, nous faisons de bonnes actions, nous insérons les jeunes, nous les accompagnons », estime-t-il.

*Depuis 2018, un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut pas acquérir la nationalité française si au moins un de ses parents n’a pas été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois.