Il y a la très forte explosion démographique, face à laquelle il faut développer les infrastructures, et rattraper les retards : construire des écoles, des routes, des logements, gérer les déchets, les eaux usées, développer l’économie locale, protéger le lagon et les derniers restes de forêts de la pression anthropique. Tout cela doit se mettre en place sur fond de nouvelles normes à appliquer, de contraintes techniques, de règles de sécurité, d’exigences européennes…
La Métropole, les autres Dom se sont développés à une époque où ces normes n’existaient pas… Ce fut plus facile. Il y a d’abord eu la construction du gros oeuvre, dans tous les domaines, puis petit à petit faire les finitions, les détails, intégrer la mise en place de nouvelles normes, adopter les permis de construire, prévoir systématiquement des places de parkings, les accès pour les handicapés, les ascenseurs, les grandes échelles pour les pompiers, les rambardes de sécurité, les aérations, les issues de secours et les extincteurs dans les bâtiments, la climatisation pour le confort austral, les cantines scolaires, les vestiaires sur les terrains de sports… Ici il faut tout faire d’un coup !
Face à ce défi démographique, un slogan avait été lancé il y a quelques années : “1, 2, 3, Bass !…”. Il fut clair, simple… et efficace. Mayotte a changé de mode de vie, de mode de fonctionnement. Avoir 15 ou 20 enfants, plusieurs femmes, qui constituaient des signes de respectabilité, n’est plus tenable, plus possible.
Outre le planning familial, il y a un travail de rattrapage qui nécessite des moyens, une planification sur 5 ou 10 ans, et cela donnerait du travail dans le BTP, une visibilité. La ministre aurait pu annoncer un doublement des moyens pour les constructions scolaires, cela aurait été apprécié par tous ! Il y a aussi le personnel des collectivités locales, en trop grand nombre et de niveau bien trop peu élevé pour assurer les missions qui sont les leurs et pour conduire les projets ambitieux dont a besoin Mayotte. Il convient là de proposer un vrai pacte, avec les élus en place, les partis politiques, le CNFPT, le Centre de gestion de la fonction publique, l’Association des maires, les autorités de l’État et les syndicats.
Ils doivent se mettre d’accord pour lancer une grande opération, sur 2 à 5 ans si nécessaire, pour former ces agents, les réorienter vers des missions qu’ils pourront assurer (jeunesse, sport, environnement, éducation, santé, social…), leur proposer des cours de français, les préparer aux concours. Il faut arrêter de croire que les agents sont protégés par l’élu qui les a embauchés. Il faut faire comprendre à chacun qu’il en va de l’avenir de Mayotte.
Intégrés dans les fonctions publiques, avec 30 ans de moyenne d’âge, ils seront encore là pour au moins 20 ans. C’est une obligation, un préalable. Il faut proposer à ceux qui le veulent de s’installer à leur compte, dans le privé, avec des aides à l’installation, des primes de départ, financer des départs en préretraite. Cela permettra aussi et surtout, de les remplacer par des agents plus compétents, plus expérimentés, plus capables de faire avancer l’île et tous les projets qui dorment ou meurent… Il faut y mettre les moyens, pour pouvoir compter rapidement sur une fonction publique efficace, au service des citoyens et du développement de notre territoire.
Il y a aussi ce grave problème des clandestins. Quel territoire au monde peut se prévaloir d’accueillir 50 % de clandestins. Habitats insalubres, indignes, enfances abandonnées, misères, violence, inaccessibilité aux secours… Par ailleurs cela génère une très forte pression sur des services publics saturés, un système éducatif inadapté aux faiblesses en langue française de ces enfants, à l’absence de suivi des parents, de moyens d’étudier. Cela oblige le système sanitaire à gérer l’urgence, aux dépens d’une médecine de qualité que la population mahoraise est là aussi en droit d’attendre.
La concurrence déloyale dans l’agriculture, la pêche, le BTP, hier dans les taxis, le tourisme ou les femmes de ménage et garde d’enfants, freine le développement de ces secteurs. Les jeunes entreprises, à qui l’on impose des réglementations lourdes, des casques de chantier, des garanties décennales, des comptabilités, des cuisines aux normes, créatrices d’emploi et de sécurité pour les salariés, mais aussi des charges financières conséquentes, ne peuvent faire face et s’épuisent, se découragent.
Il y a quelques années, le préfet Boisadam avait déclaré que l’État seul ne pourrait pas lutter contre l’immigration clandestine, qu’il fallait le soutien de la population mahoraise. Aujourd’hui que la population réalise l’ampleur du phénomène et son impact dramatique pour Mayotte, et veuille agir, elle semble ostracisée, critiquée, condamnée, comme face à la délinquance. Les méthodes d’avant n’ont plus cours, mais que faire ?
La population, les élus ne savent plus comment relayer cette grave problématique auprès de la justice, des services de l’État. Que faire pour récupérer les terrains illégalement occupés ? L’État serait bien avisé de proposer des explications, une démarche légale à suivre et d’appuyer la population mahoraise dans ces combats qui risquent autrement de dégénérer.
Que la ministre ait prévu d’inaugurer une borne à eau – “pour les clandestins”, entendait-on partout dans les rues – et le CRA – “pour les clandestins” -, après la prison 3 étoiles – “pour les clandestins” -, a pour conséquence d’énerver une population qui ne demande qu’à bénéficier de “plus de France”, plus de liberté, plus d’égalité, plus de fraternité…
Il y a, je pense, un effort à consentir de la part de l’Etat, pour rattraper ces retards accumulés, à travers les constructions scolaires, la mise en place réelle et complète du cadastre, d’infrastructures comme la route par les hauteurs de Mamoudzou, dont la ministre aurait pu annoncer le lancement. Il y a une urgence pour la population à comprendre l’importance d’une fonction publique efficace et pour tous les acteurs à engager un grand plan de formation. Il y a enfin une vraie attente à lutter fortement contre l’immigration clandestine, pas à l’accompagner. Il faudrait là aussi que chacun se décide à condamner fermement tous ceux qui logent les clandestins et tous ceux qui les font travailler. Nos élus doivent s’exprimer, le dire haut et fort s’ils veulent réellement que la situation s’améliore, mais peut-être est-ce déjà un fonds de commerce pour certains ?…
Si ces mesures s’accompagnent du placement de Mayotte en zone franche globale – que la ministre aurait aussi pu annoncer ! -, la situation pourrait rapidement s’améliorer. Avec les enfants bien pris en charge dans l’une des 47 MJC (!), l’insécurité, la délinquance pourraient rapidement reculer, l’île pourrait retrouver sa propreté, sa beauté, le niveau de l’éducation et de la santé remonterait et Mayotte retrouverait toute son attractivité et sa joie de vivre.
Il est temps de s’y mettre, quitte à préparer les dossiers et les proposer à la ministre, pour son prochain déplacement…
Laurent Canavate
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.